Compte-rendu de François da Rocha Carneiro
Dans l’introduction, l’auteur revient sur l’utilisation de la notion de « métropolisation » par les acteurs locaux. Selon lui, cet usage est surtout performatif, dans la mesure où le discours devance la réalité géographique qu’il est sensé décrire : dire d’une grande ville qu’elle est « métropole » permettrait d’adopter des mesures qui feront effectivement de cette cité une métropole. Il se propose d’analyser la « gouvernabilité des grandes agglomérations » et le jeu des acteurs qui y évoluent à partir des expériences lilloise et lyonnaise, comparables et différentes.
Le premier chapitre permet de revenir sur les années de genèse, marquées par l’apparition de la notion relativement floue d’« aire métropolitaine » et par la naissance du Groupe Central de Planification Urbaine en 1964. Ce G.C.P.U. se trouve « à la jonction du politique et de la haute fonction publique » et ne peut cacher les ruptures entre échelles (nationale et locale) et au sein de l’appareil d’Etat. La création des Organisations d’Etudes des Aires Métropolitaines (O.R.E.A.M.) en 1966 s’inscrit dans le schéma métropolitain adopté par le G.C.P.U., qui installe ainsi un échelon local de la planification centralisée. L’O.R.E.A.M. Nord, qui s’étend de Dunkerque à Valenciennes et de Calais à Arras, doit prendre en compte la centralité de la conurbation Lille-Roubaix-Tourcoing sans délaisser pour autant le bassin minier qui affronte alors les premières difficultés de la reconversion. Les élus locaux, à l’origine indifférents à la mise en place de ces nouvelles structures, ne se les approprièrent jamais ce qui explique le sentiment d’inachèvement de la politique de métropoles d’équilibre.
Il faut attendre la fin des années 1970 et les années 1980 pour que les élus locaux lyonnais s’intéressent enfin à la métropolisation. L’appropriation par les élus lillois ne se met en place que dans la deuxième partie des années 1980. Les deux cas font l’objet des deux chapitres suivants. Dans la foulée de l’élection de Francisque Collomb en 1976 à la Mairie de Lyon et à la tête de la Communauté Urbaine (COURLY), les élus locaux s’impliquent de plus en plus dans cette structure. La jeunesse et la formation universitaire de l’équipe municipale à partir des élections de 1977 expliquent ce nouvel intérêt. La mise en place de l’agence d’urbanisme en 1978 favorise cet élan autour de dossiers thématiques supra communaux (P.O.S., habitat, exploitation du recensement de 1982). Ce processus d’appropriation s’achève par la rédaction en 1988 du document « Lyon 2010 : un projet d’agglomération pour une métropole européenne », rédaction à laquelle participent des élus. Ce texte est accusé par Charles Hernu, alors maire de Villeurbanne, d’être technocratique et de ne pas suffisamment prendre en compte le politique. Le succès de Michel Noir aux municipales de 1989 lui permet de « présidentialiser » la COURLY et d’« établir un contrôle centralisé de l’appareil communautaire » (p.108). Cependant, dans le chapitre 4, l’auteur rappelle les difficultés rencontrées entre 1989 et 1992 dans la mise en place d’un véritable pouvoir métropolitain lyonnais, en opposition avec les intérêts et des stratégies des autres territoires de la région. Il faut alors la rédaction d’une charte pour sortir momentanément de l’impasse qui se dessinait, rédaction dans laquelle le Préfet de Région tient une place importante (chapitre 6). Il peut ainsi à la fois « contrôler le débat et entretenir l’incertitude sur l’engagement de l’Etat » (p.254). Cependant, cette charte échoue. L’élection de Raymond Barre en 1995 permet alors d’apaiser le climat politique lyonnais et d’obtenir un accord pour maintenir la « Région Urbaine de Lyon », un temps menacée.
Les premières heures de la Communauté Urbaine de Lille (C.U.D.L.) sont intimement liées à l’arrivée du T.G.V. dans le Nord, discutée en 1984, au moment où se décide le creusement du tunnel sous la Manche (chapitre 3). Entouré de nombreux anciens étudiants en géographie devenus acteurs régionaux de l’aménagement, Pierre Mauroy, au départ peu motivé, a rapidement saisi le dossier T.G.V. pour s’imposer comme le médiateur incontournable, à la fois auprès des institutions nationales (dont la S.N.C.F.), auprès des élus d’autres régions, amiénois en particulier, et au sein même du paysage politique local. Il se trouve alors en opposition avec le président de la C.U.D.L., Arthur Notebart, qui craint le leadership de la ville centrale. Par son alliance avec les élus des autres grandes villes de la métropole (Roubaix, Tourcoing et Villeneuve d’Ascq), l’ancien Premier Ministre réussit à imposer à la fois ses projets d’aménagement, tout particulièrement EuraLille, et sa candidature à la tête de la C.U.D.L. à partir de 1989 (chapitre 5). La C.U.D.L. devient alors une structure de planification économique locale, par le Programme Pluriannuel d’Investissement, objet de passionnants jeux politiques. Pierre Mauroy privilégie alors les alliances avec les élus des petites et moyennes communes pour asseoir son pouvoir au sein de la Communauté. Il est par ailleurs relayé par le rôle actif et efficace du vice-président aux Finances jusqu’en 1995, Bernard Roman, qui privilégiait « la collégialité pour la définition finale des arbitrages » (p.240) et faisait de la transparence une véritable méthode de gouvernance. Cependant, dès 1992-1993, le P.P.I. se trouve pris dans des difficultés financières (chapitre 7). La solution se trouve alors dans un pragmatisme traduit par l’expression « P.P.I. glissant ». La C.U.D.L. continue d’être un théâtre indispensable à l’élu qui veut exister politiquement, comme l’illustrent les exemples de Marc-Philippe Daubresse, maire de Lambersart, et de René Vandierendonck, maire de Roubaix. Dès 1991, la révision du Schéma Directeur, confiée à M.-P.Daubresse, réfléchit sur l’extension transfrontalière de l’Aire Urbaine et sur le rôle du tunnel sous la Manche.
En conclusion, l’auteur souligne le rôle joué par quatre facteurs dans l’évolution du pouvoir d’agglomération : les sources d’innovations dans les représentations du territoire ; les jeux de rôle et de pouvoir issus de ces innovations ; les « dispositifs de médiation entre les intérêts politiques, territoriaux et institutionnels » ; le « jeu politique local ».
On appréciera autant la belle bibliographie qu’on regrettera l’absence de cartes (les deux reproductions à la fin de l’ouvrage sont de très mauvaises qualités et ne sont utiles que pour la nomenclature). On pourra aussi regretter, mais cela aurait été difficile pour l’auteur, l’absence d’une prolongation de la question jusqu’en 2005-2006, ne serait-ce que par quelques pages additives. Cela aurait permis en particulier d’analyser le rôle de la C.U.D.L. dans l’opération Lille-2004, faisant de la ville flamande la capitale européenne de la Culture pendant un an, à défaut d’être l’hôte des Jeux Olympiques.
L’ouvrage de Taoufik Ben Mabrouk est particulièrement aride et technique, mais une fois ces difficultés dépassées, on découvrira un passionnant tour d’horizon d’une question fondamentale dans la géographie de la France d’aujourd’hui. Ses analyses pourront en particulier être très utiles pour préparer les cours de 1e sur l’aménagement du territoire et sur le phénomène de métropolisation.
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