Recueil d’articles sur la diplomatie et les diplomates aux 16e et 17e siècles
Cet ouvrage est le fruit de rencontres autour de la figure de Brantôme sur le thème de la diplomatie, après avoir consacré d’autres rencontres aux Arts de la guerre. Chronologiquement, les neuf contributions ne coïncident pas exactement au temps de Brantôme (v.1540-1614), car elles débordent en amont sur la fin du Moyen Age et en aval très largement sur le XVIIe siècle. Ces limites de la diplomatie du temps n’épousent donc pas toujours les cadres biographiques. En effet, si Pierre de Bourdeille, abbé commendataire de Brantôme, c’est-à-dire jouissant des revenus de l’abbaye sans être clerc, témoigne directement, et plus souvent encore indirectement, de la vie de son temps, ses écrits (les Grands capitaines étrangers, les Dames galantes, les Dames illustres ou les Rodomontades et jurements des Espagnols…) se trouvent à la source de nombreuses anecdotes que retranscrivent fréquemment mémorialistes et historiens de ces temps. Son expérience diplomatique est somme toute très réduite, en dépit de ses séjours à la Cour, de sa proximité avec la reine-mère Catherine de Médicis, et de ses nombreux voyages dans la péninsule Ibérique, à Malte, en Italie ou en Ecosse, où il accompagna Marie Stuart, d’autant qu’il se retira assez précocement dans ses terres.Parmi ces neuf contributions, il faut souligner l’intérêt de celle de Denise Turrell : « Une représentation italienne du traité du Cateau-Cambrésis : les écharpes rouges et blanches de la Biccherna de Sienne (1559) » (p.9-26). L’auteur brasse avec bonheur l’étude de la diplomatie, de l’iconographie et de la propagande. A partir d’une représentation imagée de la conclusion de la paix du Cateau-Cambrésis, réalisée à Sienne par une biccherna, c’est-à-dire une peinture annuelle par laquelle s’ouvraient les livres de comptes de la ville, Denise Turrell mène une singulière enquête autour d’une anomalie présente dans la représentation : le port des couleurs blanches et rouges qui ne correspondent pas aux couleurs attitrées des protagonistes du traité de 1559. Cette anomalie débouche sur une passionnante enquête autour de la situation italienne, et plus particulièrement siennoise – en 1555, la ville se rend aux Espagnols – et toscane, puisque Florence absorbe la république de Sienne que les Espagnols lui cèdent alors. Cette réflexion permet à l’auteur de questionner avec une grande rigueur l’usage des couleurs comme vecteur de sens politique. Les manipulations historiques autour de ce thème et le « pacte du silence » des mémorialistes se concluent à la fin du XVIe siècle par une « recomposition emblématique » née des querelles confessionnelles françaises (p.21).
Restant en Italie, pays d’origine de la diplomatie occidentale, Odette Turias, qui a rédigé une thèse sur Renée de France, duchesse de Ferrare, témoigne de son temps : 1510-1575, (Tours, 2004) traite de « Hercule d’Este et Renée de France : un rêve de médiation à la fin du règne de Charles Quint » (p.89-100), Le duc d’Este, allié traditionnel de la monarchie française, est contraint par la situation géographique de son duché et par ses modestes dimensions, de toujours négocier avec la papauté et avec l’Empire. Dès lors, le duc adopte des positions en demi-teinte que le roi de France et ses ambassadeurs (dont Armagnac) s’efforcent de raffermir face à Charles Quint et au souverain pontife. L’alliance matrimoniale avec une fille de France, Renée, est jugée diversement. Elle est parfois considérée soit de façon compromettante, à cause des tensions nées de la tendance iréniste, voire hétérodoxe, de la duchesse, ce que son époux n’apprécie que très peu. Ou bien alors on juge que les accommodements du duc reflètent une politique volontaire de médiation, politique que son épouse Renée d’Este partagerait. Cette orientation traduirait ce manque de moyens matériels du duché et son incapacité à conduire d’autres politiques que celle de la paix ; en même temps, elle se trouverait, peut-être, en accord avec les dispositions personnelles des souverains. Ainsi, Hercule, allié d’Henri II, ne propose pas moins de trois médiations en sept années. Dans ce contexte, la duchesse active sa correspondance et ses réseaux internationaux pour appuyer ces orientations, dont celui qui la lie aux Guise.
Le XVIe siècle fait encore l’objet de trois contributions. Celle d’Etienne Vaucheret s’intéresse aux écrits de Brantôme pour cerner le portrait idéal du « Parfait Ambassadeur » pour le mémorialiste, qui n’avait pas lui-même d’expérience diplomatique. Celle de Françoise Argod-Dutard, « Diplomatie et écriture poétique dans l’œuvre de J. Du Bellay », (p.119-138), d’inspiration littéraire, se fonde sur l’expérience romaine de Joachim du Bellay, qui participa à l’ambassade du cardinal du Bellay. La troisième contribution de Jacqueline Boucher, « La diplomatie de Henri III 1574-1589 », (p.39-54), synthétise l’exercice diplomatique de ce règne en présentant les ambassadeurs, les postes occupés, les moyens et les résultats obtenus. Le règne est difficile, la conjoncture très mauvaise, et les diplomates en subissent les conséquences comme le soulignent les expériences malheureuses de l’ambassadeur Saint-Gouard qui voit sa garde-robe et ses chevaux saisis et vendus sur ordre de ses créanciers madrilènes (1581) et de l’ambassadeur Danzay au Danemark qui est emprisonné pour dettes.
« La diplomatie au temps de Brantôme », saisi au sens large de première modernité – des premiers moments de la diplomatie à la fin du XVIe siècle – fait l’objet d’un vaste panorama écrit par Madeleine Lazard. Auteur de nombreux travaux sur Brantôme, elle traite des « ambassadeurs en résidence, une innovation de la Renaissance » (p.27–37), embrassant l’ensemble de la période et citant quelques temps forts de la vie diplomatique, comme l’activité de l’ambassadeur espagnol Bernardino de Mendoza « instigateur d’une conspiration perfide », en Angleterre, puis dans la France en crise d’Henri III (p.37).
Contemporain de Brantôme, la figure haute en couleur du Corse Sampiero Corso est exposée par Michel Vergé-Franceschi : « Un ami de Brantôme : Sampiero Corso (1498—-1567) et les Ornano » (p.69-85). Il décrit la stupéfiante carrière de Sampiero, mercenaire présent sur la plupart des champs de bataille depuis 1515. Selon Brantôme, Corso alla jusqu’à proposer à l’ambassadeur français à Rome, le cardinal Du Bellay, d’assassiner Charles Quint, offre déclinée par le souverain pour lequel on ne pouvait se défaire de ses ennemis de cette manière. Miche Vergé-Franceschi dépeint avec vivacité et jubilation la Corse du XVIe siècle, composée de familles rivales, de seigneuries bien pauvres et de fils qui s’expatrient pour tenter de faire fortune dans des combats continentaux quand, en Corse, « ce qui est important, c’est le pouvoir sur les hommes et la possession de troupeaux » (p.74). Lorsqu’ils reviennent dans l’île, ils s’entredéchirent par des combats intestins : « ces familles seigneuriales sont toutes à la recherche d’un espace, d’où des luttes incessantes entre elles, des massacres familiaux successifs, des guerres intérieures permanentes, dites guerres “cinarchaises” » (p.75). Dans ce cadre, la fortune sourit à Sampiero qui, grâce à son épée, devient un des plus beaux partis de l’île. Arrivé colonel en 1545, il épouse Vannina d’Ornano, dont les enfants conserveront le nom : il a 47 ans, elle en a 18 ans. Les séjours continentaux qu’effectue le couple se déroulent à la cour de Charles IX et du futur Henri III. Leur fils aîné, Alphonse (v. 1548-1610, maréchal de France en 1595) y devient « enfant d’honneur ». En réponse au chantage que Vannina semblait exercer à l’encontre de la Couronne, par des menaces de divulguer à Madrid les infractions françaises au traité du Cateau-Cambrésis, Sampiero riposte en 1564 par l’assassinat de sa jeune épouse. La parenté de la jeune femme exerce en Corse sa vendetta. En 1567, Sampiero succombe à la vengeance de cousins. Michel Vergé-Franceschi continue cette description jusqu’à la descendance de l’impétueux Alphonse, fils du Corse, et à son héritier, Jean-Baptiste, qui meurt à Vincennes, empoisonné sur ordre de Richelieu (p.83), ne laissant pas d’autre postérité.
Toujours dans la patrie de la diplomatie, mais plus tardivement, Laurent Bolard examine « Le voyage à Rome dans la première moitié du XVIIe siècle d’après les relations d’ambassades » (p.139-153). Il y décrit les spécificités du voyage et du séjour romain avec, en particulier, le théâtre de la diplomatie, où les puissances rivalisent de conflits pour imposer leur domination, que ce soit lors des querelles de protocoles, sur des questions de préséances ou sur le problème des quartiers qui jouissent de franchises propres aux ambassades (p.148-149).
Enfin, s’éloignant du monde latin, Loic Bienassis souligne combien en Angleterre la diplomatie élisabéthaine a fait l’objet d’études et combien celle de son successeur, bien plus pacifique, a été délaissée. Or, la politique de Jacques Ier, précise-t-il, est aussi inspirée par le conseiller d’Elizabeth Ire, Robert Cecil. Par ailleurs, la tiédeur envers la monarchie française est réciproque, l’auteur observant le peu d’estime d’Henri IV pour la politique extérieure de Jacques VI d’Ecosse, devenu Jacques Ier d’Angleterre en 1603, pour ne pas avoir osé s’affranchir d’Elisabeth Ire de crainte d’y perdre ses droits sur le trône anglais. Pour sa part, Jacques Stuart n’apprécie que très peu le premier roi bourbon qu’il perçoit comme un apostat. Enfin, une nouvelle fois dans les rapports anglo-français, une querelle commerciale et financière oppose ces deux puissances, en particulier sur la question de la dette française contracter par Henri IV.
Cet ensemble d’articles offre ainsi des points de vue diversifiés sur les pratiques diplomatiques de la première modernité.
Alain Hugon
Université de Caen Basse-Normandie / C.R.H.Q – U.M.R 6385 – CNRS
Copyright clionautes.org