De la fin du XVIIe siècle à la Révolution, la contrebande illustre un changement de modèle économique, du mercantilisme colbertiste au libéralisme de Turgot.

L’ouvrage est issu des recherches de Master 2 de Cécile Bournat-QueratActuellement doctorante à l’Université Aix-Marseille où elle poursuit ses recherches sur Le Rhône et ses rives : observatoire singulier des pratiques économiques illicites entre Lyon et Arles (milieu XVIIᵉ siècle – XVIIIᵉ siècle) , il est salué par son directeur en préface et reconnu par le prix Jean Clinquant en 2021.

L’autrice analyse le système de contrôle de la Ferme générale et le rôle de la Commission de Valence. L’ouvrage montre en quoi la contrebande est une forme de transgression des élites marchandes lyonnaise à l’échelle locale comme internationale.

La qualité d’écriture apparaît dès l’introduction dans laquelle la jeune historienne évoque le cheminement de ses questionnements dans le choix du sujet et recherche et ses limites temporelles, et géographiques. Elle définit la contrebande et la fraude. Elle situe aussi son sujet dans l’histoire récente de la criminalité à l’époque moderne, proposant une riche bibliographie.

La gestion de la fraude et de la contrebande

Le cadre normatif de la législation évolue. A la fin du XVIIe siècle, la législation est marquée, à la fois par le mercantilisme et la fiscalité : entre taxation de la consommation et protection des « industries nationales », comme le montre l’exemple du tabac et des « indiennes »Toiles de coton imprimées, importées d’Angleterre, de Hollande, de Suisse. Elles connaissent un grand succès qui concurrence la soie lyonnaise..

Le XVIIIe siècle est plus tourné vers la répression de la contrebande et la surveillance des populations mobiles : soldats, vagabonds. A la fin de la période, si la répression légale est toujours présente, mais avec un adoucissement des sanctions, la contrebande change de forme. L’autrice montre le lien entre contrebande du sel et contrebande du tabac.

Cécile Bournat-Querat adhère à la thèse de Mickael KwassAuteur d’un ouvrage publié en 2016 par les éditions vendémiaire : Louis Mandrin, La mondialisation de la contrebande au siècle des Lumières « selon laquelle la monarchie tente, tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, de lutter contre une contrebande qu’elle a elle-même favorisée à travers une fiscalité complexe et inégalement répartie dans le royaume »(p. 68).

 

La description des nombreuses juridictions : Intendance, Élection de Lyon, juridiction des gabelles, juridiction des traites et Commission du conseil qui siège à Valence, est précise. La complexité en matière d’échelle et d’espaces contrôlés montre un mille-feuille administratif entre coopération et concurrence.

L’autrice étudie les relations entre les diverses juridictions avec au sommet la Ferme générale qui contrôle la collecte de l’impôt avec un personnel hiérarchisé. Les courriers entre employés de la ferme et de l’Élection de Lyon montrent des rapports d’interdépendance.
À l’échelle locale, il existe de nombreux témoignages de la coopération des juridictions dans la généralité de Lyon. Les tensions se constatent plutôt entre administrations locale et royale. Même si peu de traces existent, dans les archives, contrairement à la province voisine du Dauphiné.

C’est à l’administration royale que revient la charge du contrôle de la contrebande, en particulier le faux-saunage.

Ici entre Le Lyonnais te les Dombes, les courriers entre les Intendances témoignent de cette coopération transprovinciale. La situation est différente avec les États voisins : Suisse, Piémont qui semblent peu enclin à contrôler la contrebande (tabac, étoffes).

La Commission de Valence est une juridiction d’exception : cette instance judiciaire est d’autant plus importante que ces Commissions sont peu nombreuses dans le royaume. Celle de Valence a été crée en 1733On pourra se reporter au mémoire de Master de Sandrine Fauré-Durand Les rapports d’argent d’un officier moyen de la fin du XVIIIe siècle, Pierre-Vincent Botu, Conseiller à la Commission de Valence, Université Pierre Mendès-France (Grenoble), 2007-2008, sous la direction de René Favier, ses jugements sont sans appel. L’autrice décrit le fonctionnement sous l’autorité de Jean-Pierre Colleau et son action sur une portion de sa compétence géographique : la généralité de Lyon. Elle jugea notamment Mandrin en 1755

Contrairement à ce que dit la chanson, Mandrin fut jugé à Valence et non à Grenoble.

Les acteurs de la contrebande : analyse sociohistorique

Qui pratique la contrebande ?

Dans cette région frontalière, le délit semble largement répandu dans toutes les couches de la société. L’autrice analyse 628 cas de contrebandiers arrêtés dans le Lyonnais.

Tout le monde trafique : « pelletiers, tanneurs, paysans, cordiers et chapeliers côtoient sous-brigadiers de la maréchaussée, employés des fermes, mais aussi bourgeois, procureurs et présidents de la cour des monnaies et sénéchaussée de Lyon » (p. 124)

Les artisans, les commerçants sont très présents, mais dans la moitié des cas des personnes arrêtées, on ignore le métier. Les cabarets apparaissent comme la plaque tournante des trafics.

Les interrogatoires permettent de se faire une idée des pratiques. La fraude bourgeoise sur le vin se pratique en détournant le privilège royal qui permet de ne pas payer la taxe à Lyon. Quand cette fraude ne crée pas de tensions avec les employés de la ferme, c’est ils sont corrompus, comme dans l’affaire Pellisson.

La fraude s’accompagne parfois de violence. L’analyse montre que la fraude sur les taxes, fréquente, s’explique par l’attrait ou la nécessité de gagner de l’argent : les tanneurs, par exemples, fraudent sur les peaux qu’ils reçoivent sans payer les droits. Transporter des marchandises prohibées est un délit qui rapporte sans entraîner de lourdes sanctions. A la lecture des sources, deux contrebandes apparaissent occasionnelle ou professionnelle. Les motivations peuvent être classées en 5 catégories : faire du profit, payer moins cher ; gagner sa vie, acquérir des marchandises prohibées et la catégorie des « malgré-eux » qui ont fait de la contrebande sans le savoir »(p. 153)

La lutte contre la fraude a évolué pour la rendre moins attractive : des peines dissuasives d’après les jugements de la Commission de Valence qui traite des cas les plus graves, en particulier les actions en bandes organisées.

Un chapitre est consacré à la place des femmes, même si elles sont moins nombreuses, elles peuvent être à l’initiative. La contrebande, de tissus et souvent locale, peut être un outil d’émancipation, comme le montre les profils de veuves.

Dans la confrontation des contrebandiers avec les autorités, on constate plusieurs attitudes : amadouer, s’arranger lors des flagrants délits, masquer la fraude ou abandonner l’objet, car la preuve est indispensable pour qualifier le délit. D’autres fraudeurs choisissent la fuite qui garantit l’anonymat. Enfin, certains préfèrent la résistance, souvent parmi les récidivistes, allant jusqu’à la rixe.

Les très nombreux exemples donnent vie à l’étude.

Géographie de la fraude au siècle des lumières

Dans cette troisième partie, Cécile Bournat-Querat s’intéresse aux circuits de la contrebande. Elle rappelle la situation de Lyon et du Lyonnais dans le royaume, une marche frontière.
D’après les procès-verbaux des arrestations, on voit que les contrebandiers se recrutent plutôt dans l’Est du royaume, des voisins du Lyonnais. Les délits constatés ne sont pas sans rapport avec leur localisation : le sel avec la proximité des Dombes. On note l’importance de la contrebande avec le Dauphiné tout procheVilleurbanne, Vénissieux étaient des bourgs dauphinois. Dans la ville, les délits se concentrent dans la presqu’île, sur la rive droite de la Saône et dans les faubourgs : Croix-Rousse, Guillotière, Vaise.

Les cartes annoncées sont en annexes, petites et en noir & blanc, peu lisibles.

L’activité de contrôle est plus facile en ville et aux portes, la contrebande est plus fréquente en ville qu’en campagne où elle se pratique à plus petite échelle.

Le chapitre 11 aborde la manière dont la contrebande est perçue au temps des Lumières. Elle n’est pas considérée comme grave par le peuple. Les idées de Necker sur la nécessaire réforme de l’impôt éclaire sur l’attitude des autorités à la fin de la période étudiée.

Une recherche sur la contrebande au XVIIIe siècle ne saurait faire l’impasse sur l’image tutélaire de Mandrin, l’autrice lui consacre un paragraphep. 250 et suiv.. Elle montre le soutien populaire dont a joui le faux-saunier et sa légende.

 

Le prix de l’Administration des douanes est tout à fait mérité pour une jeune historienne pleine d’avenir.