Depuis 1955, Henry de Lumley, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, n’a pas arrêté ses recherches sur l’Homme. C’est un des plus grands paléontologues mondiaux. Après avoir été, notamment, directeur du Muséum national d’histoire naturelle de Paris de 1994 à 1999, il dirige actuellement l’Institut de paléontologie humaine-Fondation Albert-Ier Prince de Monaco et a toujours poursuivi son activité. Il participe aujourd’hui à des projets internationaux de fouilles en Géorgie, en Chine et en Éthiopie. C’est dans ce dernier pays, sur le site de Kada Gona, qu’on a trouvé une industrie lithique parmi les plus anciennes connues à ce jour (2,7 millions d’années).

 

Ce livre reprend quelques passages d’articles plus anciens comme « Il y a 400 000 ans : le feu, un formidable facteur d’hominisation », in Comptes-rendus Palevol, 2006, ou d’actes de colloque « Actes de colloque sur la production du feu – Vallon Pont d’Arc en hommage à Paul Boutié », 2011. Cependant, il fait bien plus et ce, de façon plus précise : en effet, c’est un véritable inventaire détaillé tant temporel que géographique qu’a produit l’auteur. Il commence par les plus anciens site -3,2 millions d’années – (« les traces de feu avant sa domestication ») et remonte jusqu’à la fin du Paléolithique -11 500 BP-, rendant très complet ce petit ouvrage de 148 pages.

La structure du livre présente, à chaque chapitre, une description du cadre de vie et une évocation générale de l’utilisation du feu -qui change donc de période en période- puis une description des sites d’Afrique, du Proche-Orient, d’Europe, d’Asie, où les lieux de recherche sont plus rares, et d’Amérique -uniquement dans le dernier chapitre pour ce dernier continent. Le panorama débute dans la grotte de Makapansgat au Transvaal en Afrique du Sud au temps des australopithèque pour finir par les chapitres consacrés au temps des hommes modernes. On trouvera donc entre ces deux marqueurs, le temps des hommes modernes archaïques et des néandertaliens ainsi qu’une analyse plus détaillée du site de Terra Amata et de la grotte du Lazaret près de Nice. En effet, ces gisements ont fait l’objet de fouilles par Henry de Lumley et ses équipes depuis 1965. Tous les détails techniques n’y sont néanmoins pas exposés, tel n’est pas l’objectif de ce livre, mais les graphiques, les coupes stratigraphiques, les schémas, les photographies de vue de loupe binoculaire et les reconstitutions donneront corps au propos.

Feu, y es-tu ?

Il apparaît qu’il n’y a aucune preuve de domestication du feu avant 400 000 ans. C’est-à-dire qu’aucune aire de combustion, de foyer aménagés,allumés et entretenus, ni charbon de bois, ni cendre, ni même de pierre ou de silex rubéfiés et éclaté par le feu n’ont été trouvé avant cette date. Les traces d’utilisation du feu sont discutées pour Homo Erectus archaïque, il n’y a rien pour Homo Habilis et encore moins bien sûr pour les australopithèques.
Cependant, les plus anciennes traces de feu utilisé par l’homme -production non intentionnelle- date de 1 à 1,4 millions d’année en Afrique du Sud. C’est une utilisation ponctuelle. Les études micromorphologiques ont mis en évidence qu’un feu avait consumé des herbes apportées de l’extérieur vers un emplacement éloigné de l’entrée, à l’intérieur de la caverne de Wonderwerk et à Swartkrans, de nombreux os qui portent des traces de découpes ont été brûlés. Cependant, dans les deux cas, aucun foyer n’ont été découverts. Seule l’évaluation des températures, assez élevées, entre 400 et 500°C et entre 400 et 700°C montre une activité humaine.
Pour chaque site, les chercheurs ont pris bien soin de faire la différence entre les traces de chauffe d’origine naturelle et les autres et, même si les peuples de cultures acheuléennes (entre 1,7 millions d’années et 200 000 ans) connaissaient le feu, savaient-ils le maîtriser et l’allumer à leur gré. La question reste ouverte.

Un changement fondamental

La véritable domestication du feu apparaît à partir de 400 000 ans (même si ce n’est qu’au paléolithique supérieur, à partir de 30 000 ans, qu’on a retrouvé des traces de foyer plus complexes, remplis de pierres et de galets, utilisés comme calorifères).

Les conséquences de cette domestication sont l’élément le moins technique du livre mais sûrement le plus à même d’être exploité en cours. On pourra citer le recul du front d’hominisation de la planète avec la conquête d’espaces plus froids (nord de l’Allemagne, de l’Angleterre, en Asie centrale et probablement au Japon et les régions septentrionales de l’Eurasie), la prolongation des activités dans la nuit, et, outre la protection contre les prédateurs, la cuisson de la viande (c’est par ce biais que l’anatomie de l’homme évoluera avec l’expansion du crane). On peut bien sûr aussi exposer l’utilisation du feu pour améliorer la fabrication des outils (durcissement des pointes des épieux par le feu par exemple) mais ce qu’a permis la domestication du feu c’est surtout la socialisation et la convivialité. Ainsi, apparaît l’organisation et le développement d’une vie sociale autour du foyer et les cultures régionales se sont différenciées en grands groupes culturels ou tribus (culture acheuléenne du Bassin parisien et culture acheuléenne méditerranéenne par exemple).

Cependant, reste à savoir comment expliquer que des hommes qui n’avaient aucune possibilité de se rencontrer, de communiquer aient été en mesure, simultanément, à des endroits différents, d’apprivoiser le feu. Là aussi la question reste posée.

Terra Amata

Le site de Terra Amata fait l’objet d’un traitement spécifique. C’est un campement de chasseurs d’éléphants et de cerf sur la Côte d’Azur et les foyers structurés trouvés sont parmi les plus anciennes preuves de domestication du feu au monde.

L’étude y bien sûr très détaillée : les différents types de charbon de bois ont été analysés et les résineux -pins, sapins- y sont plus abondants que les feuillus comme le hêtre, le merisier, l’arbousier… alors que les analyses polliniques indiquent un environnement proche inverse. C’est tout une tranche de vie que reconstitue de Lumley : de l’installation des chasseurs avec la construction de leur hutte ; l’aménagement du foyer au centre, sur un dallage de galets, abrité des vents dominants par une murette ou creusé dans une petite fosse ; l’allumage de celui-ci, après que les hommes aient cherché du bois d’arbres résineux, déposés sur la plage par les eaux du Paillon depuis l’arrière pays ; son entretien avec des herbes marines… Les différents types d’activités, travail des peaux, découpe et consommation de viandes, industrie lithique… sont localisées de même que les litières d’herbes… proches du foyer bien sûr. On s’imagine toute une vie autour du feu et la présence de 77 granules de goethite (ocre jaune) ou d’hématite (ocre rouge) – ces dernières produites artificiellement par chauffage – ont aussi permis d’émettre l’hypothèse que ces hommes et ces femmes pouvaient se peindre le corps (soucis esthétique) et marquer ainsi leurs différences sociales avec les autres communautés. Le passage sur la grotte du Lazaret (occupation autour de 160 000 ans), est beaucoup plus technique avec l’étude des dépôts mais il permet aussi à l’auteur de présenter une reconstitution de l’occupation du sol et de montrer que les hommes qui ont vécu ici devaient, quant à eux, fumer et sécher la viande.

Les hommes modernes archaïques et les néandertaliens

De Lumley reconstitue en quelques traits l’habitat et le mode de vie et ne traite pas seulement du feu mais aussi de la grande invention de ces hommes, la sépulture (entre 100 000 ou 80 000 ans). Ce n’est qu’à la suite de cette rapide reconstitution qu’on passe à l’inventaire, continent par continent, des sites où on a découvert des foyers. Ça et là, l’auteur dégage encore les habitudes de ces chasseurs cueilleurs, décrivant les foyers et ce qu’on y a retrouvé : charbon de bois, graines, os de cerfs, de chevaux, d’aurochs, de rhinocéros, de caprinés, de suidés… genévrier, olivier sauvage, érable, chêne vert et pin…

Les hommes modernes

Au temps des hommes modernes, le feu permet aussi le développement de l’art pariétal en pénétrant plus avant dans les cavernes grâce aux lampes. Là aussi, l’étude des foyers est le prétexte pour une reconstitution, une évocation très générale des modes de vie à partir de quelques points : sculptures, peintures, parures mais aussi vêtements et outillage (ce dernier évolue grâce au feu ; il permet la liquéfaction du bitume pour l’emmanchement de certains outils en silex).
Les réunions autour du feu sont aussi propices au développement du langage, aux narrations, aux développement des mythes. C’est à ce moment que les cultures se diversifient en identités culturelles régionales plus petites.

Bien sûr, selon la structure du livre, on retrouvera toujours, après une présentation générale de l’utilisation du feu et du cadre de vie, une présentation méthodique de chaque site où la présence de foyers est attestée (notamment Lascaux et Pincevent).

Pour conclure…

Si la lecture de la description des sites peu paraître parfois ennuyeuse parce que relativement répétitive, il n’en demeure pas moins que les passages qui donnent vie à l’utilisation du feu nous éclairent sur l’importance de cette domestication. Comme je l’ai dit plus haut, ce sont ces paragraphes qui pourront être utilement utilisés par les collègues du primaire mais aussi de collège. Cependant, avec les 157 titres de la bibliographique et l’inventaire complet des sites où la présence du feu est attestée, c’est aussi un véritable ouvrage de référence sur le sujet que de Lumley a produit.