La forêt au Moyen Âge, paru aux éditions Les Belles Lettres en 2019, est le fruit d’un travail collectif et pluridisciplinaire, dirigé par Sylvie Bépoix, agrégée et docteur en histoire médiévale, membre du laboratoire Chrono-environnement de Besançon et de Hervé Richard, directeur de recherche au CNRS au sein du laboratoire chrono-environnement. Ce ne sont pas moins de quarante-cinq auteurs qui ont contribué, chacun dans leur spécialité (spécialistes en littérature médiévale, linguistes, juristes, historiens des religions et des institutions, archéologues, spécialistes de la végétation ancienne, de la construction des cathédrales, du transport du bois, des mines, de la production de la chaux, de la poix, du sel, etc.) à faire de cet ouvrage un véritable panorama de la forêt au Moyen Âge. C’est également l’occasion de donner la parole à certaines disciplines peu représentées dans les livres d’histoire (archéologie, dendrochronologie, palynologie).

Les auteurs ont fait le choix d’étudier la forêt sur une période qui s’étend du Ve siècle au XVe siècle, dans un espace qui correspond au royaume de France médiéval, auquel ont été ajoutés le comté de Bourgogne, la Lorraine ainsi que la Belgique actuelle. Le choix de ce cadre chronologique se justifie par la particularité de la période concernant le monde forestier à travers l’anthropisation. Toutefois, des ponts sont réalisés avec les époques antérieures et postérieures. Cet ouvrage, véritable somme de connaissances, a le mérite de croiser les sources textuelles qu’elles soient littéraires, religieuses ou juridiques et les approches scientifiques de l’archéologie, la palynologie et la dendrochronologie.

Dans le prologue, les auteurs se penchent sur la définition de certains mots qui servent à nommer la forêt. Ils expliquent ainsi que le territoire qui correspond à la France actuelle comprend une multitude de langues différentes au début de la période étudiée. C’est tout d’abord le latin qui s’impose sur l’ensemble du territoire de la Gaule. Le gaulois quant à lui finit par disparaître dans les marges au VIe siècle, contrairement à la langue basque qui résiste et se maintient. Dès le IIIe siècle, mais surtout au Ve siècle avec l’expansion des Francs, les populations germanophones sont à l’origine d’emprunts lexicaux. Ainsi, pendant le Moyen Âge, le latin évolue et se différencie progressivement en langue d’oil, langue d’oc et franco-provençal. Or, toutes ces langues ont nommé la forêt avec des termes comme breuil, saltus, silva, forêt, bois, nemus, lucus, wald… Les auteurs nous montrent que ces différents termes ne désignent pas la forêt, mais plutôt des types de forêts. Ainsi, « le champ lexical de la forêt, comme la forêt elle-même, est un ensemble vivant qui ne cesse d’évoluer ».

Le livre est divisé en trois grandes parties. La première, intitulée « La forêt rêvée », est consacrée à la place qui est réservée à la forêt dans l’imaginaire telle qu’on peut l’appréhender de la littérature médiévale où le bois prend une place importante. Cette littérature est tout d’abord composée d’ouvrages savants qui étudient et décrivent la forêt comme les herbiers, les encyclopédies, les bestiaires ou encore les traités. Toutefois, dans ces ouvrages, la forêt n’est pas décrite pour elle-même : les herbiers sont avant tout des livres de médecine botanique ; les encyclopédistes s’intéressent à l’ensemble de la création et étudient les végétaux, les animaux et les minéraux ; les bestiaires décrivent les animaux dans une perspective symbolique. Seuls les traités permettent de prendre conscience que l’homme médiéval sait tirer profit des forêts.
La forêt est également présente dans les œuvres de fiction, mais on y trouve peu de description. Elle y est d’ailleurs rarement représentée sous des apparences réalistes. Dans la littérature médiévale, les arbres sont généralement immenses. La forêt est un espace familier des animaux ce qui n’est pas le cas pour l’homme qui vit en dehors et qui défriche pour construire. La forêt n’est pas pour autant un lieu désertique, mais cet espace inquiète et terrorise. On y croise des bêtes féroces, mais aussi des hommes cruels, car dans cet espace les valeurs chevaleresques n’ont plus cours. C’est également le lieu d’exploits, notamment avec la chasse qui permet au chevalier de prouver sa valeur. Toutefois, dans la littérature médiévale, la forêt apparaît comme un lieu entre deux mondes, un espace de transition souvent peuplé de légendes et de rêves où les héros suivent leur destin. La forêt peut prendre la forme d’un chemin initiatique qui mène vers Dieu. C’est d’ailleurs dans cet espace que les héros croisent des ermites. Ces derniers mènent une vie solitaire, faite d’efforts et de dénuement. En s’installant dans ce « désert », l’ermite investit la nature sauvage et en chasse le mal. Ainsi, lorsqu’il essarte, il laisse entrer la lumière dans la forêt. En général, l’ermite s’installe près d’une source, se construit une maison, entretient un jardin et parfois bâtit une église. La forêt apparaît enfin comme un lieu de refuge pour les pêcheurs, donc un lieu de pénitence et de rédemption.
Les hagiographies forment également une source importante dans l’étude des forêts. Elles sont considérées comme le désert de l’Occident, lieu de solitude sauvage où s’installent les moines. Dans ces textes, la forêt est imaginée, rêvée, utilisée pour une démonstration symbolique.

Dans une deuxième partie, « la forêt utilisée », les sources (textes juridiques et gestionnaires) et les disciplines scientifiques (l’archéologie, la dendrochronologie ou encore le palynologie) sont mises à contribution pour nous permettre de comprendre la réalité de l’occupation, de l’utilisation et de l’exploitation des espaces forestiers. La forêt médiévale est utile à bien des égards, que ce soit pour la chasse, le pâturage ou bien la coupe.
Les espaces boisés sont d’abord utilisés pour leurs ressources. Ce sont des espaces riches et abondants pour des hommes toujours en quête d’une grande variété de produits dont une partie est issue de la chasse. Toutefois, cette pratique est de plus en plus contrôlée. Alors que les espaces sauvages étaient publics à l’époque romaine, ils deviennent peu à peu des domaines réservés à une élite. Ce mouvement, qui débute sous la dynastie des Carolingiens, s’accélère jusqu’aux XIe et XIIe siècles où la liberté de chasser a presque disparu d’Europe occidentale.
La forêt est également utile pour l’élevage, pratique pour laquelle se développe un ensemble de règlements pour encadrer la dépaissance forestière.
Enfin, c’est le bois qui est la ressource la plus importante pour les hommes, et la plus abondante. Les essences d’arbres sont variées. Ainsi, le bois ramassé ou coupé est utilisé dans différentes activités artisanales. L’exploitation des forêts prend une dimension nouvelle lorsque le bois entre dans la construction des maisons particulières urbaines et rurales, des édifices religieux, des ponts et des enceintes. Le développement de constructions nouvelles comme les charpentes gothiques pose de véritables difficultés d’acheminement. Les rivières de certaines régions, notamment dans le nord-est du royaume, sont utilisées pour le transport du bois. Le flottage était un mode de transport moins coûteux et plus rapide. Le bois sert également à la tonnellerie, à la fabrication des roues et des charrettes, à la construction des bateaux et des barques. Il est aussi une source d’énergie essentielle pour les activités domestiques et artisanales. Des règlements apparaissent également dans l’exploitation du bois pour assurer une production ligneuse durable. En effet, aux XIIe et XIIIe siècles, la multiplication des chantiers de construction, notamment religieux, a suscité une meilleure gestion des forêts pour produire massivement du bois d’œuvre de qualité standardisée.

La troisième partie fait état de la diversité des forêts du territoire étudié. En effet, en fonction de la localisation et des contraintes, les modalités d’exploitation, d’occupation par les hommes et de gestion des espaces se révèlent différentes. Ainsi, trois régions sont mises en avant pour présenter une sorte de typologie des « forêts de plaines et [des] forêts de montagne » : les espaces boisés de l’Ouest, présentés comme des ressources forestières diversifiées ; les forêts méridionales (Pyrénées et Méditerranée) ; la moyenne montagne de l’est de la France que ce soit les forêts des Vosges, du Morvan ou du Jura.

Au final, ce livre est une véritable somme sur le thème de la forêt. Les différents auteurs nous font parcourir la France pour mieux appréhender l’utilisation des espaces boisés. L’ouvrage est accompagné d’une importante iconographie en couleur, ainsi que de cartes et graphiques pour permettre une meilleure compréhension des sujets abordés. Les auteurs, en lien avec l’incendie de la cathédrale Notre Dame de Paris en avril 2019, ont également décidé de joindre un court article accompagné de clichés et de plans, sur la charpente disparue de l’édifice.