La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique »

La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique » – ou CHM pour les initiés – (publiée depuis 1982) est désormais présentée par le service de presse de l’association Les Clionautes, dans le cadre de la rubrique La Cliothèque. Cette revue réunit des travaux de chercheurs français (pour la plupart) sur les évolutions historiques de la Franc-Maçonnerie française, liée à la plus importante obédience française : c’est-à-dire le Grand Orient De France ou GODF. L’abonnement annuel à la revue Chroniques d’histoire maçonnique comprend 2 publications par an (Hiver-Printemps et Été-Automne) expédiées en décembre et juin. Cette revue est réalisée avec le concours de l’IDERM (Institut d’Études et de Recherches Maçonniques) et du Service Bibliothèque-archives-musée de l’Obédience du Grand Orient De France (GODF). L’éditeur délégué est Conform Édition.  

Ce numéro des « Chroniques d’Histoire Maçonnique » n° 91 (Printemps-Été 2023) : La franc-maçonnerie du XVIIIe siècle, est composé de l’habituel avant-propos du Comité de rédaction et d’un dossier comportant 3 articles. Cette parution ne comporte donc pas les rubriques habituelles : Sources et Documents. Cependant, avec ce numéro 91 (avant-dernier numéro de l’année 2023), les CHM renouent ici avec la publication des rubriques Dossier. Le premier article est rédigé par Séverine Dupuis : La loge parisienne de Saint-Louis (1772-1787) : chronique d’une mobilité sociale. Après cet article, le deuxième des CHM est consacré A propos de la traduction du livre des Constitutions d’Anderson par Louis-François de la Tierce par François Labbé. Puis, la troisième et dernière communication concernent Les Francs-Masçons (1743) : un plaidoyer musical pro domo par Taskin Naudot.

DOSSIER :

La franc-maçonnerie du XVIIIe  siècle

Au moment où nombre de loges du Grand Orient de France sont en train de multiplier les initiatives pour commémorer les 250 ans de la naissance de cette obédience, il semble normal que le dossier principal du premier numéro de l’année 2023 des Chroniques d’Histoire Maçonnique soit consacré à l’étude de la Franc-maçonnerie au XVIIIe siècle. Toutefois, ce choix donne aussi la possibilité de présenter la manière dont le très vaste chantier – aussi souvent commencé qu’abandonné – de la franc-maçonnerie parisienne au siècle des Lumières. qui est au cœur de la thèse de doctorat en cours depuis 2019 de Séverine Dupuis (sous la direction de Pierre-Yves Beaurepaire) sur la vie et l’évolution de la loge Saint-Louis qui a émergé peu de temps avant la naissance du Grand Orient de France en 1773, est réinvesti depuis quelques années. Ce premier article est suivi par deux contributions qui sont centrées autour de l’étude de deux moments importants de l’histoire de la franc-maçonnerie au XVIIIe siècle : la traduction des Constitutions d’Anderson par Louis-François de la Tierce parue en 1742 ; la présentation de la cantate de Nicolas Clérambault Les Francs Masçons, composée dans le but de répondre aux accusations d’immoralité et de complotisme en 1743.

* La loge parisienne de Saint-Louis (1772-1787) : chronique d’une mobilité sociale (Séverine Dupuis) : p. 6-29

Ce premier article, écrit par Séverine Dupuis-Laporte, présente une loge parisienne entre 1772 et 1787 par le biais de sa mobilité sociale. La loge de Saint-Jean d’Hiram, rebaptisée loge de Saint-Louis lors de son rattachement au Grand Orient en 1773, est une illustration intéressante de la trajectoire d’une loge parisienne civile sur une quinzaine d’années. À partir de plusieurs tableaux de loge datés de 1773, 1775, 1781 et 1786, de différentes correspondances échangées entre la loge et le Grand Orient, et aidés du précieux livre d’architecture qui détaille les cent-huit assemblées tenues entre le 15 novembre 1772 et le 16 février 1787, nous pouvons reconstituer une partie de la vie de cette loge. Étudier les archives des premières activités d’une loge naissante, pose la question de sa composition sociale et de son mode de fonctionnement. Après une première année d’intense activité qui permet de poser les bases du fonctionnement de Saint-Jean d’Hiram, l’atelier périclite progressivement une fois passé au Grand Orient, pour renaitre en 1785 sous l’impulsion du seul membre resté fidèle depuis l’allumage de ses premiers feux.

La loge de Saint-Louis est l’un des exemples de loges qui connaissent des mutations sociologiques très rapides entre les années 1770 et 1780. L’avènement du Grand Orient de France entraine des profondes transformations dans la sociologie des loges mais aussi dans leur fonctionnement et la rigueur de la tenue des travaux. Saint-Louis n’est pas un exemple isolé de loge fondée par des artisans et commerçants à Paris et qui n’a pas su maintenir son activité. L’étude des archives montre qu’au début des années 1770, plusieurs loges parisiennes accueillaient une majorité de membres issus du commerce et de l’artisanat. Les loges se construisent et entrent en sommeil, puis reprennent de la vigueur en fonction des mobilités de ses membres. Ces rapides mutations transforment le paysage de la franc-maçonnerie parisienne, qui à la veille de la Révolution française présente un profil bien plus aristocratique, avec une montée en puissance de la représentation des qualités civiles de la judicature parisienne.

* A propos de la traduction du livre des Constitutions d’Anderson par Louis-François de la Tierce (François Labbé) : p. 30-49

Ce deuxième article, traité par François Labbé, est consacré à la traduction française des Constitutions maçonniques d’Anderson par le marquis Louis-François de la Tierce. Charles Porset soulignait le peu d’écho qu’avait eu cette publication pourtant considérée par son auteur comme la version internationale des Constitutions d’Anderson. En effet, la connaissance de la franc-maçonnerie s’est d’abord faite de bouche à oreille puis par le biais des chansons, pamphlets et révélations diverses. La traduction de La Tierce, prête selon les dires de l’auteur dès 1733, parue à l’occasion des fêtes du couronnement de l’empereur Charles VII à Francfort en 1742 et présentée dans un luxueux coffret, a d’abord intéressé les bibliophiles et les curieux. Les réactions ont été rares : l’historique revu dans une perspective déiste a pu paraître compliqué aux moins savants et peu crédible à ceux qui, au contraire, se piquaient d’être historiens ou philosophes. La volonté du marquis de la Tierce d’adapter l’original dû au pasteur Anderson dans un sens analogique, symbolique et mythique n’a pas eu un écho favorable auprès des Maçons. Cette version déiste de la traduction de la Tierce s’explique par son parcours de vie.

En effet, le marquis Louis-François de La Tierce (1699-1782) est un franc-maçon français, fondateur de la loge l’Union à Franckfort sur Maine en 1742 et serait le « rédacteur-nègre » de la troisième version (1738) des Constitutions dites d’Anderson. Il vécut en exil à partir de 1724. Ingénieur de formation, n’ayant aucune perspective au Royaume de France à cause de sa religion protestante, il devient précepteur des enfants de Lord Stafford en Angleterre, précepteur en Prusse puis chargé d’affaires diplomatiques, pour les micros-États allemands. Grand admirateur du Tsar puis de la Tsarine Catherine, il finira sa vie en écrivant une ode à sa gloire. Le marquis de la Tierce restera un Hanovrien convaincu, dans la filiation du protestant Georges 1er, ce qui le distingue fortement des francs- maçons Stuartistes. De la Tierce, fit un séjour londonien de 1732 où il fut initié à 1736. Il fut chargé de traduire le « Book of the Constitutions » de 1723. Il répondait ainsi à un vœu consécutif à son initiation.

* Les Francs-Masçons (1743) : un plaidoyer musical pro domo (Taskin Naudot) : p. 50-67

Le troisième article, rédigé par Taskin Naudot, est consacré à une œuvre musicale maçonnique de Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749) qui est un compositeur, organiste et claveciniste français de la période baroque, auteur de 239 œuvres musicales reflétant assez fidèlement les genres pratiqués à son époque. Louis-Nicolas Clérambault devient franc-maçon fort tardivement, à 60 ans, en 1737. Il le reste jusqu’à sa mort, en 1749, soit à l’âge de 72 ans. Les Francs-Masçons est une cantate qui est la dernière œuvre de Clérambault, écrite à 66 ans, en 1743. Elle est un véritable plaidoyer musical en faveur des francs-maçons, accusés d’immoralité et de complotisme envers le royaume de France. Cette année-là fut aussi celle de la disparition du principal ennemi de l’Ordre des francs-maçons : le cardinal de Fleury. Elle allait faciliter l’acceptation de la sociabilité maçonnique par l’État sans empêcher toutefois le prolongement de l’antimaçonnisme qui allait être particulièrement diffusé dans les pamphlets et les livres. Cette partition bien singulière multiplie les mystères que cette cantate a priori maçonnique mais qui ne l’est pas. On se perd en conjectures quant à sa date de composition véritable, sa première exécution, son premier public, sa diffusion et même sa notoriété du vivant du compositeur. Véritable « omni » – objet musical non identifié – au sein de la production française – voire européenne – de son époque, il faudra attendre patiemment quelques dizaines années, après 1750 et dans le monde germanique, pour retrouver sous la plume d’un Johann Gottlieb Naumann (1741-1801) ou d’un Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) des partitions en rapport avec l’Ordre maçonnique d’une qualité équivalente.

CHANTIER EN COURS

* La franc-maçonnerie à la Une (Laura Laloux) : p. 68-92

Le quatrième et dernier article a pour sujet l’antimaçonnisme, dans notre rubrique « Chantiers en cours » que l’on doit à Laura Laloux, prix de master 2020 de l’Institut d’Études et de Recherches maçonniques. Toutefois, ce n’est pas l’étude des pamphlets et des livres sur la franc-maçonnerie qui est le sujet de cette communication mais l’étude des Unes des magazines que l’on voit sur le devant des kiosques à journaux dont il faut retenir plusieurs éléments clés :

Premièrement, l’histoire et l’ancrage culturel d’un objet sont nécessaires pour appréhender les représentations collectives qui lui sont accolées. Les condamnations papales, les pamphlets post révolutionnaires et l’histoire politique de la Franc-maçonnerie en France ont largement contribué à une forme de diabolisation de celle-ci. La dimension de complot judéo-maçonnique, en tant que pensée politique, reste profondément vivante encore aujourd’hui dans certaines sphères et est alimentée par la floraison de sites internet et la libération de la parole qu’ont créé les réseaux sociaux. Cependant, il serait fallacieux de dire qu’un pont peut se faire entre les journaux des époques évoquées et ceux du XXIe siècle. En effet, les premiers étaient le support d’une idéologie politique poussée à son paroxysme : Parler de la franc-maçonnerie était pour eux un acte patriotique de sauvegarde de la patrie face à une nuisance de l’ombre. Au XXIe siècle, le secret est toujours exploité mais les fins politiques ont été remplacées par des dynamiques économiques de traitement d’un sujet porteur. On peut également penser, pour sortir du manichéisme, que certains journalistes ont pu durant toutes ces années se passionner pour le sujet.

Comment est perçue la Franc-maçonnerie par les médias ? Au travers d’une iconographie particulière, d’une rhétorique du mystère, de la révélation développée (procédé que l’on retrouve très souvent en journalisme mais qui se prête particulièrement bien à la Franc-maçonnerie) mais également autour d’articles aux thématiques récurrentes (politique, affaires, réseaux). Ainsi, les médias nous offrent des cadrages et peuvent constituer une première approche avec un sujet. « Ils contribuent à construire la réalité dans laquelle évolue les gens et cela peut avoir des effets idéologiques très puissants » souligne l’universitaire et médiologue Grégory Derville. Pour autant, il ne faut pas tomber dans la mystification que nous mettons en lumière. La presse n’est pas toute puissante car le sujet récepteur n’est pas comme le suggère Tchakhotine soumis à un matraquage dans lequel il n’aurait aucun libre arbitre. De plus, les sujets ont tendance à lire la presse qui vient confirmer des réflexions déjà ancrées de façons individuelles. Le lecteur utilise la presse pour fortifier son avis, non pour le remettre en question. De ce fait, les individus ayant une image négative ou positive, de la franc-maçonnerie y verront ce qu’ils souhaitent y voir avant toute chose.

Quel journal raconte finalement ce qu’est l’essence de la Franc-maçonnerie et en quoi consiste une Tenue ? Aucun. Peut-être parce que les Temples ne leur sont pas ouverts ? Et cette réflexion doit également faire réfléchir à un point : La franc-maçonnerie n’a-t-elle pas contribué elle-même à cette image ? Ne l’entretient-elle pas toute seule ? Peut-être parce que la franc-maçonnerie se vit plus que ce qu’elle ne se raconte ? Ou peut-être que, tout simplement, raconter la Franc-maçonnerie contribuerait à casser le mythe et l’intérêt récurrent du lecteur …

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour la Cliothèque)