En 1709, la France est au bord du chaos. La crise est générale. On peut dénombrer une crise démographique, des révoltes, une situation militaire dramatique et la menace d’une banqueroute. Pourquoi et comment la monarchie est-elle parvenue à traverser une crise aussi exceptionnelle ? C’est à cette question que s’attache Gauthier Aubert, professeur d’histoire moderne à l’Université Rennes 2. Il a précédemment écrit « Révoltes et répressions dans la France moderne ».
Refaire l’histoire
L’auteur revisite à sa façon ce qu’aurait pu être l’histoire si elle avait alors bifurqué. Comme il le dit lui-même, « l’idée d’envisager la possibilité d’une révolution en 1709 est bien sûr un peu provocante, surtout peut-être pour des Français qui ont pris l’habitude d’articuler la seule révolution digne d’intérêt à leurs yeux aux Lumières (françaises) ». Influencés par le roman national, d’autres futurs étaient pourtant possibles. Cependant, le lecteur ne doit pas s’attendre à un livre complet d’histoire contrefactuelle. Il s’agit plutôt de dresser un état des lieux, par saison, en 1709. L’auteur ouvre à la fin seulement d’autres voies possibles.
L’hiver
Gauthier Aubert compare d’emblée Lille à un « presque Sedan du Grand siècle ». La perte de la ville peut s’avérer dramatique dans le système de défense français. Ce qui a aussi beaucoup marqué alors, c’est le froid qui sévit sur le pays. Les victimes se montent peut-être à 100 000. La situation est des plus délicates aussi pour les céréales. La succession des gels et dégels crée la catastrophe.
Le printemps
Le gouvernement peine à prendre conscience de la crise. La courbe des prix du grain ne cesse de monter. De grandes inondations compliquent encore le ravitaillement des grandes villes. Se fournir à l’étranger est alors la voie explorée. On assiste également à un « printemps des peuples » avec de nombreuses révoltes. Paris n’est néanmoins pas touchée par un grand embrasement. L’année 1709 est, en plus de la crise frumentaire, une année de contestation antifiscale.
L’été
Louis XIV écrit un audacieux et inédit appel à ses peuples pour justifier son refus de la paix humiliante qu’on lui propose. Il dresse devant ses sujets le spectre d’une invasion. L’été voit aussi resurgir le front contestataire protestant. Les combats reprennent toujours dans le cadre de la guerre de succession d’Espagne avec la bataille de Malplaquet.
L’automne
Le nombre d’émeutes diminue. Malgré l’arrivée de récoltes de l’étranger, il faut du temps pour que tout se régule. Des variations provinciales apparaissent. A l’échelle du royaume, la surmortalité cumulée porte les effets et les suites de cet hiver sans pareil à environ 630 000 morts. C’est un peu plus que les pertes subies par la France pendant la Seconde Guerre mondiale, mais rapporté à une population deux fois moins nombreuse et à une période trois fois plus courte ! Il faut en même temps rappeler que ce n’est pas la pire crise si l’on songe, par exemple, à 1693-94.
L’Etat de plus en plus présent
En 1709, même de façon modeste, l’Etat a joué un rôle pour aller contre cette crise. Il est de plus en plus comptable et cherche à instituer un recensement destiné à aider à répartir des grains. Louis XIV continue aussi son oeuvre d’unification religieuse comme le montre la dispersion de Port-Royal. Au niveau international, on a l’impression de se retrouver dans la même situation qu’un an auparavant, avec l’idée que la paix est la moins mauvaise des solutions.
Et si ….?
L’historien a jusque-là cherché à identifier de possibles points de rupture et essayé d’expliquer pourquoi l’histoire n’a pas basculé. Il faut considérer que si l’Etat a tenu, c’est aussi au moins en partie grâce au chef d’orchestre de l’ensemble. Gauthier Aubert avance que si certains évènements avaient été légèrement différents, la suite de l’histoire du royaume aurait pu être radicalement différente. Il propose donc ensuite deux variations qu’on laissera au lecteur le plaisir de découvrir. Et si Malplaquet avait été une véritable déroute militaire par exemple ? Et si les émeutes frumentaires avaient dégénéré ?
Ce livre, assez bref, n’en offre pas moins d’intéressantes perspectives. D’abord appuyé sur la rigueur de l’historien, il s’inscrit dans une « histoire des possibles » de façon tout à fait convaincante. Ainsi, le lecteur prend plaisir à lire un ouvrage à la fois informé, au style alerte et stimulant intellectuellement.