C’est évidemment avec le plus grand intérêt que l’on a pu parcourir cet ouvrage de Jean-Pierre Rioux que l’on ne présente plus aujourd’hui aux lecteurs de la Cliothèque tant ses ouvrages ont été présentés sur ce site.

Entre autres:

Ce livre propose un recueil d’articles sur différents thèmes, évoquant l’histoire de la colonisation et surtout d’ailleurs celle de la décolonisation. Dans cet ouvrage, il est question tout particulièrement de l’Algérie et du difficile passage de témoin de cette Algérie coloniale à cette Algérie en guerre, dans une guerre qui ne disait pas son nom.

Plusieurs articles évoquent tout d’abord la particularité de la colonisation à la française, avec cette incapacité de la IIIe république, même si l’Algérie coloniale est un héritage de la restauration et de la monarchie de juillet, à mettre en œuvre une véritable politique coloniale. Le seul projet, véritablement pensé, à défaut d’être réalisé, a bien été celui de Napoléon III, très largement influencé par les saint-simoniens. On rappelle d’ailleurs ce projet de Royaume arabe qui aurait pu jeter les bases d’un empire méditerranéen. Par contre, la colonisation à la française de ce territoire a laissé la place à bien des entreprises, plus ou moins hasardeuses, qui ont pu être relayé en métropole par un lobby colonial particulièrement puissant et influent.

Concernant la thèse de Jean-Pierre Rioux à propos de l’Algérie coloniale, mais également de la guerre d’Indochine, et de façon plus générale de toutes les entreprises coloniales dans laquelle, le pays a été impliqué, il semblerait clairement que la France ait subi dans le temps cette entreprise coloniale par substitution, avant de s’en retirer à reculons.
C’est très clairement la fin de la guerre d’Indochine qui le démontre aisément. Cette guerre lointaine, menée dans l’indifférence de la plupart des acteurs de l’opinion publique, à l’exception notable du parti communiste engagé dans la guerre froide, montre bien que la colonisation de l’Indochine et surtout sa difficile et douloureuse décolonisation, n’a absolument pas suscité l’intérêt des Français, préoccupés par la reconstruction de l’après-guerre et par un désir de retrouvailles avec la prospérité. L’idée que le maintien de l’empire colonial français puisse servir le dessin de la France a se maintenir dans le rang de grande puissance au lendemain de la seconde guerre mondiale, ne les effleurait pas vraiment.

Cela peut s’expliquer bien entendu par le contexte général de la guerre froide et d’une menace qui se percevait très précisément en Europe, en tout cas celle qui était la plus visible. Au passage, on remarquera que le général De Gaulle, une fois qu’il a quitté la présidence du gouvernement provisoire en 1946, se limitera quand même essentiellement à envisager les menaces orientales sur les frontières françaises, – il rappelait que l’armée rouge se trouvait alors à moins de deux étapes du tour de France,- plutôt qu’à envisager une politique mondiale dans laquelle la France aurait pu, grâce à son empire colonial, dans le cadre de l’union française, continuer à maintenir son influence. En réalité, la décolonisation gaullienne a été une entreprise de repli hexagonal repli hexagonal sanctuarisé par la mise en œuvre, envisagée des avant l’arrivée du général De Gaulle au pouvoir en 1958, de la dissuasion nucléaire permettant de sanctuariser le territoire.
C’est donc à une salutaire mise en perspective que se livre l’auteur, dans un contexte de guerre mémorielle qui devrait s’envenimer en 2012, date à la quelle sera célébré le cinquantième anniversaire des accords d’Évian. Cet épisode algérien est en effet sensible et l’on sait bien que, dans le contexte d’une année électorale, la tentation d’une instrumentalisation des mémoires peut se manifester.

De ce point de vue, faire œuvre d’histoire est encore plus nécessaire. Cela évitera que l’on brouille les mémoires pour des raisons plus ou moins avouables, comme le précise l’auteur dans le dernier des 15 articles qui composent ce livre.
L’histoire de la colonisation est toujours en train de s’écrire et il convient de se garder de jugements catégoriques dans ce domaine. Encore une fois, la volonté de commémoration, celle du sacrifice des soldats de Dien Bien Phu et du Djebel, ne saurait se substituer à un travail d’histoire. De ce point de vue, les tentations de réhabilitation, même si elles s’inscrivent dans une démarche de vérité, ne sauraient faire oublier colonnes infernales et gégène. En Algérie comme en Indochine, la République n’a pas failli en tant que telle, mais elle a pu laisser faire. Sans doute était-elle à l’image d’une opinion, indifférente et assez vite lassée de cet héritage prestigieux sur les planisphères aux taches roses dont elle n’a jamais vraiment su que faire.

Bruno Modica