La présentation de cet ouvrage, un polar, dans la rubrique questions de société de la Cliothèque, n’est pas le fait d’un hasard. Indépendamment de la trame romanesque, un polar de facture très classique, c’est bien à une analyse sociale particulièrement désespérante que se livre l’auteur. Dans cette petite ville de Nogent-les-Chartreux, où l’on voit s’opposer, comme partout ailleurs, le centre-ville et les pavillons périphériques, avec aux loin quelques fermes isolées de paysans rescapés, le miroir de l’âme humaine se révèle dans toute sa cruauté.
La ville, à l’image de son commandant de gendarmerie, est devenue obèse, elle crève de sa mal bouffe et de ses angoisses ressassées.
Il suffit alors d’un meurtre, sauvage, inexplicable, pour que se mette en route cette machine à fabriquer la haine, dans cette France tranquille où sont ressurgies les peurs ancestrales. Ce tueur en série, qui signe ces crimes d’un étrange anagramme, joue le rôle du vengeur masqué. Méthodique et froid, il traverse indifférent le quotidien de cette communauté, entre difficultés des petits commerçants et fermeture de la seule usine subsistant dans le village. Dans ce contexte délétère, la France des peurs s’exprime, à travers les lettres de dénonciation, les affirmations de café du commerce, et la constitution de stocks d’armes de défense.

L’auteur évoque avec beaucoup de réalisme les réactions des services de l’État avec le grand déploiement de forces de sécurité, davantage utilisé pour faire de la présence que du travail d’enquête. Il n’y manquerait que la visite d’un ministre, voire d’un président de la république, évoquant une racaille à karchériser pour compléter le tableau.

À la lumière de quelques faits divers, plus ou moins dramatiques qui se sont déroulés ces derniers mois, ce polar dérange, car il rappelle que malgré l’intensité dramatique vécue lors de certains événements, qu’il s’agisse du meurtre d’une fillette dans une petite commune, ou de l’acte de désespoir d’un professeur, tué par son métier, l’émotion retombe aussi vite qu’elle était montée. Mais elle laisse à chaque fois un goût amer, celui de l’indifférence coupable, de cette frustration rentrée qui invite à la désespérance.
Un beau livre assurément, écrit comme un coup de poing, avec une plume sous tension. On a envie d’aller au bout, mais il n’y aura pas de fin heureuse.

Bruno Modica.