Le mouvement dit des gilets jaunes a récemment décillé nombre d’analystes de la société française. Non, tout le monde n’est pas cadre supérieur, il reste des gens qui connaissent des fins de mois difficiles, dont les revenus sont fragiles et qui se sentent exclus ou relégués alors même qu’ils ont un emploi et travaillent durement. D’autres enfin qui se sentaient appartenir aux classes moyennes ont un sentiment de déclassement. Trois sociologues, dirigent un ouvrage collectif sur ce qu’ils appellent les classes populaires. Celui-ci, issu d’un travail au long terme, devrait être suivi d’une publication plus importante l’an prochain.
Outre les auteurs qui coordonnent ce travail et dont les écrits portent sur les classes populaires, le syndicalisme, l’école… l’historien ou le géographe qui s’intéresse à la sociologie repérera la signature de Stéphane Beaud, qui a travaillé sur le monde ouvrier, le football, celles de Jean-Pierre Terrail ou de Gérard Mauger.
L’ouvrage est constitué de courts chapitres, clairs, qui entendent répondre à une question, une idée reçue portant sur ce que les auteurs appellent les classes populaires. Il est organisé en trois parties. La première (« Les classes populaires : des citoyens de seconde zone ? ») entend définir les classes populaires et présente leur lieu de vie, leur rapport au travail, au syndicalisme, à la politique, au mouvement des gilets jaunes. La deuxième (« Les classes populaires : des gens hors-norme ? ») porte sur des questions culturelles : rapport à l’école, au corps, à la santé, relations entre les sexes, loisirs… Enfin, la troisième (« Les classes populaires : une classe « moyenne » ? ») évoque les aspirations de ces femmes et de ces hommes ainsi que la façon dont ils se situent par rapport aux autres groupe sociaux.
Mais de qui parle-t-on ? L’introduction ainsi que la conclusion permettent d’y voir plus clair : il s’agit d’ouvriers et d’employés, donc essentiellement des salariés, qui occupent des « positions professionnelles subalternes », sont marquées par un « désavantage social » et sont mal vus, sont jugés par les autres, sont jugés « en faute » dans le domaine culturel (p. 16-18). Si les auteurs veulent répondre à ce mépris social, ils ne le font pas en s’appuyant sur un discours marxiste classique, unifiant une classe ouvrière. Ils utilisent le pluriel en évoquant des classes populaires afin d’en faire saisir la diversité. Ce que reprend la conclusion « parler de classes populaires, au pluriel, c’est décrire une diversité de styles de vie et d’ethos, c’est-à-dire de rapports au monde, de manières d’être au monde, en lien avec les conditions sociales et économiques d’existence » (p. 177). Un regret cependant, la place limitée consacrée à l’immigration issue de l’Afrique du nord, des Antilles ou de l’Afrique sub-saharienne dont une partie est fortement marquée comme le signale la conclusion par « leurs héritages culturels d’origine » (p. 178). Le lecteur aurait préféré un solide chapitre sur la question de la place de la religion musulmane au sein des classes populaires dans la France d’aujourd’hui.
L’ouvrage a pour propos de répondre à des idées reçues. Nous voudrions en relever quelques unes que ces sociologues entendent démonter.
Ainsi, le péri-urbain n’est pas le principal lieu de résidences de ces couches sociales affirme Violaine Girard qui rappelle que les ouvriers sont nombreux dans les espaces ruraux, qu’il reste des quartiers défavorisés dans les grandes métropoles et que « la majorité des espaces » de la couronne péri-urbaine de l’Île de France sont des « espaces […] où cohabitent, dans différentes proportions classes populaires, moyennes et supérieures » (p. 31).
Ainsi, le vote d’extrême-droite n’a pas, stricto sensu, remplacé le vote communiste dans ces couches sociales. Olivier Masclet, qui s’intéresse au vote de ces classes populaires, rappelle que le vote FN (Front national) a d’abord été un vote des beaux quartiers en 1983 et 1984 (p. 65). Si parmi ceux qui votent de nos jours, le vote RN (Rassemblement national, successeur du FN) est fort dans la « France d’en bas », il ne faut pas oublier, affirme l’auteur, que certains donnent encore leurs voix aux diverses forces de gauche et que surtout une part très importante des ouvriers et des employés s’abstient.
Les classes populaires sont-elles très conservatrices dans le domaine des mentalités. L’article écrit par Fanny Renard (p. 93-97) souligne bien que le clivage des sexes est plus marqué dans les ménages populaires mais affirme que des évolutions sont à l’œuvre dues tant aux évolutions du marché de l’emploi (précarité, travail décalé…) qu’à une certaine diffusion des normes nouvelles.
Dans un autre chapitre Olivier Masclet (p. 115-121) rappelle que les loisirs en dehors du foyer ont un coût. Ce qui contribue à expliquer l’importance de la télévision, qui fait du petit écran un « invité permanent » dans les foyers. Cependant, il souligne aussi les différences à l’œuvre parmi les familles populaires et la volonté d’une partie d’entre elles, de contrôler l’accès à la télévision des enfants.
Le chapitre intitulé « Les classes populaires dilapident leurs modestes ressources » (p. 133-140) revient sur un article du journal Le Monde, du 20 décembre 2018, qui avait, à la surprise des journalistes d’ailleurs, entraîné de très vives et très nombreuses réactions de lecteurs qui n’étaient pas sans évoquer un certain mépris, qu’il faudrait bien appeler de classe si ce n’était mal vu. Le portrait d’un couple, vivant à Sens, qui mangeait parfois au Mac Do et achetait des vêtements de marque à leurs enfants, avait amené de nombreux lecteurs à affirmer que ce couple de gilets jaunes n’avait qu’à s’en prendre à eux car ils ne savaient pas gérer leur argent. Les auteurs de ce chapitre soulignent qu’en réalité le budget est, dans ces familles, le plus souvent contraint, centré sur l’alimentation, le transport, le logement… même si certains épargnent un peu et, qu’horreur, des achats plaisir sont parfois faits.
Un ouvrage qui traite de nombreux aspects de la vie des classes populaires : du travail aux loisirs, du football au logement. Il évoque la diversité des conditions et des points de vue des différentes fractions de ces couches populaires. Enfin, nombre d’idées reçues sont analysées et parfois déconstruites. Ainsi du chapitre « Les jeunes des quartiers populaires ne veulent plus travailler » (p.43-48) qui mérite toute l’attention des enseignants. En annexes, trois ouvrages sont plus particulièrement recommandés et une bibliographie riche et récente est proposée.