Enseigner l’esprit critique : la formulation de ce propos ressemble à une injonction contradictoire, mais aujourd’hui et encore plus qu’hier, à l’heure de l’information immédiate, il est essentiel de doter les élèves d’outils et de méthodes pour comprendre le monde actuel. C’est ce à quoi s’attelle cet ouvrage collectif qui, en plus de ses propositions concrètes, comprend un glossaire et se prolonge en ligne avec des ressources complémentaires librement accessibles à cette adresse.
Quelques préalables à avoir en tête
Avant tout, enseigner l’esprit critique bouscule les pratiques pédagogiques traditionnelles. Il est fondamental d’ailleurs que toutes les disciplines concourent au développement de cet esprit critique et pas seulement l’histoire-géographie. L’idée est également que les séances doivent incorporer cette dimension dès que possible. Il faut néanmoins avancer avec précaution car « la mise en doute systématique n’est pas plus éclairée que la confiance aveugle ». L’ouvrage est structuré en trois parties d’inégale longueur : une première sur les enjeux du développement de l’esprit critique et des repères, une deuxième, la plus conséquente, avec une vingtaine de séquences pédagogiques et enfin une troisième sur le développement de l’esprit critique à l’échelle d’un établissement.
Enjeux et préconisations
Les auteurs définissent d’abord leur sujet à savoir l’esprit critique. « Loin d’être un savoir, ils les traverse tous ». Le développer est une nécessité dans une époque marquée par le complotisme et ses différents avatars. Plusieurs aspects sont à mobiliser pour développer l’esprit critique comme la culture de l’oral ou le rapport réflexif du sujet à lui-même. L’ouvrage insiste également sur les modalités d’accès au savoir qui ne sont plus les mêmes qu’avant : l’enseignant n’est plus le seul détenteur et il doit donc adapter ses démarches pédagogiques à cette réalité. Il peut donc être fructueux de réduire le temps imparti à la diffusion des savoirs au profit d’un temps de dialogue ou d’interaction entre pairs. Les auteurs soulignent aussi qu’expliciter les compétences mobilisées dans un cours améliore son efficacité. Il faut enfin retenir que l’esprit critique ne peut s’exercer que sur un sujet. La partie se termine par un tour des programmes qui peuvent permettre d’aborder la dimension de l’esprit critique.
Séquences et outils
C’est le cœur de l’ouvrage découpé lui-même en quatre entrées. On trouve à chaque fois la description de la séance, les liens avec les programmes des différentes matières, les objectifs et les modalités utilisées sans oublier une bibliographie. Le premier s’intitule « Questionner et mettre à l’épreuve ». On peut relever le souci des contributeurs de proposer des pistes transférables à d’autres niveaux et d’autres matières. La première activité proposée autour de l’idée de masse a pour but de montrer comment il est nécessaire de passer de l’impression à la mesure. Ensuite, les auteurs décortiquent ce qu’est une bonne expérience scientifique. On trouve un exercice formateur sur « La Lune a-t-elle une influence sur les naissances ? », une façon concrète de poser les rapports entre science et croyance. On conseillera également l’approche autour de « Croissance démographique et développement durable » qui peut permettre en 5 ème de poser à la fois les enjeux de l’année et de commencer à développer l’idée d’esprit critique en raisonnant sur des faits. Le second volet des séquences pédagogiques s’intitule « Analyser et vérifier » avec des activités très intéressantes comme celle qui consiste à créer une grille d’analyse de fiabilité d’un document, mais surtout à l’éprouver ensuite autour d’un autre sujet. Une autre fiche invite les élèves à se méfier des experts dans la publicité. On trouve également une séquence très complète en sept séances pour travailler sur les théories complotistes. Par un travail progressif et bien expliqué, il est possible de travailler sur cette thématique essentielle avec les élèves. Le troisième volet « Débattre et argumenter » offre également des pistes claires comme avec l’activité « Monsanto versus les paysans du Malawi ». La proposition va au-delà de la simple confrontation de l’un contre l’autre, mais invite, par exemple, à avoir des observateurs dans chacun des groupes qui évaluent la pertinence des arguments du débat grâce à une grille. Deux autres séquences détaillées sont consacrées aux représentations de la République dans une approche interdisciplinaire et une autre aux pratiques orales au service d’un discours argumenté. On n’oubliera pas non plus un travail autour des stéréotypes masculins et féminins. La dernière entrée de cette deuxième partie s’intitule « Fiches méthodologiques ». Elle propose quatre entrées dont une sur le journalisme de vérification ou une sur les questions controversées. Enfin, et pour renouveler le format du débat, une fiche présente le « débat mouvant », ses modalités et ses variantes possibles. Dans cet exemple, les élèves matérialisent physiquement leur adhésion à tel ou tel argument évoqué en changeant physiquement de camp, y compris plusieurs fois durant le débat. On peut pousser plus loin la pratique en autorisant les dissidences lorsqu’une variante de réponse possible au débat se fait jour.
Projets à l’échelle de l’établissement
Il s’agit là sans doute de l’étape la plus difficile puisqu’elle transcende les enseignements. Même si l’objectif peut sembler très ambitieux, les auteurs ont la sagesse de proposer des exemples concrets et faisables qui, mis bout à bout, peuvent commencer à entrainer un établissement dans une démarche globale. A cet égard, le Conseil de la Vie lycéenne apparaît comme un organe essentiel car il implique des élèves. On peut aussi favoriser le développement d’une classe « médias » en seconde en lien avec les outils et les ressources du Clemi. Si l’on veut passer à l’échelle de l’établissement, la fête des talents et des réussites est une option possible.
L’ouvrage sur l’esprit critique offre donc à la fois des outils de réflexion sur l’idée même d’esprit critique, mais vise surtout à proposer des approches concrètes pour aider les enseignants à s’en emparer. Il a surtout le souci de penser l’aspect transférable à d’autres matières, d’autres niveaux, dès que c’est possible. Plusieurs activités mettent l’accent sur la production par les élèves, ce qui est souvent un très bon outil d’appropriation et de décryptage.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes