Si aujourd’hui la nuit de noces n’est plus si attendue par les couples pour se connaître dans l’intime, elle reste néanmoins un passage vers cette vie de couple rendue officielle par l’institution du mariage. Aïcha Limbada revient sur cet événement qui marque un changement physique et social chez les nouveaux époux, en particulier au XIXe siècle car les archives sont plus nombreuses à cette époque ; mais l’ouvrage nous amène jusqu’aux années 1920.
D’autre part, elle rappelle que l’appellation « nuit de noces » n’était pas celle utilisée auparavant, mais plutôt « la première nuit des noces« .

Quelques mots sur l’auteur

Cet ouvrage est la thèse d’Aïcha Limbada, agrégée, docteure en histoire contemporaine (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et chercheuse associée au Centre d’histoire du XIXe siècle. Elle est actuellement membre de l’École française de Rome.

Un événement vécu par des millions de couples mais avec très peu de témoignages

Les journaux intimes, les poèmes, les pièces de théâtre mais également les procédures de divorces laissent un témoignage de la nuit de noces. Ces recueils de témoignages de diverses natures proviennent essentiellement de la bourgeoisie ou de l’aristocratie. En effet, nous ne savons que peu de choses sur les pratiques des pauvres de la société ou de la classe ouvrière de cette époque en raison de l’absence de témoignages écrits. Les pressions sociales liées à la nuit de noces ou encore la codification de cette cérémonie qui doit être publique ou privée selon les coutumes ou les sphères sociales des jeunes époux diffèrent alors et c’est là la grande limite de cet ouvrage qui ne peut, comme le dit son auteur, faire une généralité de « la nuit de noces ». De plus, quelque soit son rang social, ce ne sont pas des échanges que les femmes et les hommes ont avec leurs enfants ou les membres de leur famille ; la pudeur explique donc le faible nombre de sources accessibles pouvant témoigner de cette étape de la vie.

Concernant les témoignages recueillis, nous constatons que cette fameuse nuit fut l’objet pour certains cas de traumatismes  , plus particulièrement chez les jeunes femmes, de désillusions, de pression sociale en raison de la consommation du mariage qui pourrait aboutir à un divorce s’il  » n’est pas consommé » dans les premières nuits des noces ; d’autant qu’il est aussi question de la virginité de la femme et de ses conséquences sociales. Cependant, une autre limite de cet ouvrage est l’absence de vision positive de la nuit de noces, ce qui est assez dommage, car nous avons ici un portrait assez négatif au regard des témoignages trouvés. Peut-être est-ce justement dans les témoignages absents (car inexistants) de la classe ouvrière, moyenne ou pauvre que nous les aurions trouvés.

Le recours au divorce comme occasion de témoigner de la nuit de noces

Le divorce était interdit entre 1816 et 1884. Ce n’est seulement qu’après cette date que les archives se sont montrées plus nombreuses en ce qui concerne des témoignages de la nuit de noces. En effet, les hommes d’Église sont chargés de vérifier si la femme était pleinement consentante et savait à quoi s’attendre en épousant leur fiancé. Bien souvent, on s’aperçoit que non. Ce tabou se transmet de génération en génération, et surtout de mère en fille. Les mères, bien qu’ayant été confrontées aux mêmes appréhensions et difficultés lors de leur mariage, elles n’ont pas prévenu leurs filles à leur tour. L’auteur précise cependant que cette ignorance était plus visible au XIXe siècle qu’avant la Révolution et ce, dans toutes les classes sociales.

Une inégalité entre les hommes et les femmes pour vivre cette première nuit conjugale

On attend de la femme qu’elle soit vierge au moment du mariage, bien que nous constatons que plus on avance vers le XXe siècle, moins elle attend d’être mariée pour avoir des rapports sexuels. En revanche, il faut souligner que ce sont bien les futurs époux qui n’attendent pas le mariage. Elle ne se réserve donc bien qu’à un seul homme, pour la majorité d’entre elles. Quant à d’autres, elles préfèrent le confier à une amie et jurent de ne jamais le dévoiler à leur époux aimé.
Concernant la majorité des hommes, la société veut qu’il soit capable d’assurer les rapports sexuels car c’est la preuve de sa virilité. Une pression sociale s’abat aussi sur leurs épaules. Pour être prêt lors du mariage, il s’adonne à cette éducation sexuelle auprès de « femmes d’hygiène », de prostituées, d’amantes… On attendait à ce qu’il accomplisse son devoir conjugal en sachant pleinement comment s’y prendre. Cependant, il est rare que cela se passe ainsi dans les milieux plus pauvres de la société et beaucoup étaient inexpérimentés. Ils devaient cependant faire preuve d’exemplarité et montrer leur responsabilité tout comme leur virilité à présent qu’ils soient devenus des chefs de familles.

Une inégalité sociale en matière de connaissance de l’acte

L’appellation « oie blanche » désigne les jeunes filles vierges mais aussi incultes en matière de connaissances de l’acte sexuel. Certaines pensent qu’il suffit de s’embrasser pour avoir un enfant par exemple. De plus, elles ne savent pas, pour beaucoup, en quoi consiste le devoir conjugal et ce qu’il se passe lors de la nuit de noces. Ces « oies » se trouvent en grande majorité dans la bourgeoisie et la haute société, cependant, elles sont également présentes dans les populations plus pauvres, en particulier si elles ont été élevées seules et de manière assez isolée (ni soeurs, ni amies). Pour autant, les jeunes filles paysannes connaissent plus en quoi consiste la reproduction pour y être confrontée auprès des animaux de la ferme ; d’autre part des chansons équivoques sont chantées lors de fêtes villageoises. Dans certaines contrées, il est autorisé pour les jeunes gens de se fréquenter avant le mariage, de se cacher derrière des buissons pour se cajoler, sans pour autant passer à l’acte charnel.

 

Cet ouvrage très complet est un travail remarquable, bien documenté avec des extraits de poèmes, chansons, illustrations (caricatures, dessins de presse, affiches, photographies…), avec de nombreuses sources en fin d’ouvrage pour aller voir plus loin. Il faut aussi souligner la qualité de la plume de l’auteur qui rend la lecture très fluide et agréable malgré la densité du sujet et de l’ouvrage. N’ayez pas peur du nombre de pages, il se lit très bien!