Antoine de Baecque est historien et critique de cinéma. Il est aujourd’hui professeur à l’ENS.

La France gastronome revient sur la naissance du restaurant et sur son évolution entre le milieu du XVIIIe s et le début du XXe s. En 1765, Mathurin Roze de Chantoiseau invente le restaurant, qui se développement rapidement à la fin du XVIIIe s. dans le contexte de la Révolution et de l’essor de la bourgeoisie. Avec l’exil de nombreux nobles, leurs cuisiniers s’établissent à leur compte et les rites gastronomiques, autrefois réservés aux tables aristocratiques, concernent une nouvelle clientèle. Par exemple, Antoine de Beauvilliers passe de la cuisine du comte de Provence, frère du roi à l’ouverture de son propre restaurant au Palais royal, épicentre de la gastronomie parisienne. D’une poignée de restaurants avant la Révolution française, Paris  passe à plus de 1000 établissements en 1825 puis à environ 10 000 en 1900. Le mot de « restaurant » entre en 1835 dans le Dictionnaire de l’Académie française pour désigner celui « qui restaure, qui répare les forces. […] Il se dit par extension de l’établissement d’un restaurateur ».

Chapitre 1 : Mathurin Roze de Chantoizeau

Il existe peu d’offres de qualité vers 1760 à Paris, le développement d’établissements est entravé par des règlements stricts : seuls les nobles ont l’autorisation de tenir des dîners chez eux. Par exemple, un traiteur ne peut servir que des pièces entières. Avec la création du restaurant, de nouvelles pratiques se développent et le restaurant devient un lieu où il faut être vu. Les traiteurs et rôtisseurs essaient de défendre leurs privilèges en justice, mais le Parlement de Paris donne raison aux restaurateurs. Procès autour de la « sauce poulette », à l’automne 1766. Les traiteurs estimaient qu’il s’agissait d’une sauce de ragoût. Or, ils avaient l’exclusivité de la vente de ragoûts. La justice estime qu’il s’agit d’un nappage et donc que les restaurateurs peuvent continuer à la servir.

Roze est un personnage mystérieux. On sait qu’il a fréquenté le salon de Madame Geoffrin. Il a laissé des écrits d’économie, ce n’est pas un cuisinier. Selon lui, créer un restaurant est un moyen de lutter contre les privilèges de l’aristocratie, il prône une démocratisation du luxe. Il est arrêté en 1769 et emprisonné mais les restaurants continuent à se développer à Paris.

Chapitre 2 : De la gastrologie à la gastronomie ou comment parler de la nouvelle cuisine

Parler de la nourriture est une pratique courante en France dès le XVIIIe s. Des premiers critiques gastronomiques, surnommés ls « gastrologues » apparaissent. Des ouvrages de cuisines mettent en avant la modernité de la cuisineLe cuisinier moderne de Vincent La Chapelle (1735), Nouveau traité de la cuisine de Menon (1739)… Contrairement aux ouvrages classiques qui privilégient le faste des repas aristocratiques, ces ouvrages mettent en avant une cuisine plus ménagère. Les anciens assaisonnements sont considérés comme trop fors et masquant la saveur des aliments, les épices exotiques sont remplacées par des herbes du jardin.

Cet intérêt croissant pour la gastronomie est d’abord critiqué, notamment dans l’EncyclopédieDans l’article « Cuisine », le chevalier de Jaucourt dénonce  « cet art de flatter le goût, ce luxe, j’allais dir cette luxure de bonne chère dont quelques « astrologues » font tant de cas. »

Ces critiques sont rapidement balayées par deux personnages :

  • Alexandre Grimod de La Reynière organise des dîners excentriques. Le 1er février 1783, les invitations à son dîner sont des parodies de faire-part d’enterrement. Aux 17 invités, s’ajoutent 300 spectateurs qui ont payé un billet pour y assister. Il organise aussi des déjeuners philosophique.
  • Jean Anthelme Brillat-Savarin associe érudition et gastronomie en publiant la Physiologie du goût en 1825.

Chapitre 3 : Du social dans l’assiette – De l’aristocratie fine gueule à la Révolution gourmande

La plupart des restaurants continuent leur activité sous la Révolution française. Lors de l’emprisonnement d’Antoine Beauvilliers, son restaurant, confisqué, est confié au citoyen Naudet, membre de la Garde nationale et à l’origine de l’enquête sur lui. Il conserve son nom : Le Beauvilliers.

Les corporations sont supprimées avec la loi Le Chapelier, le 14 juin 1791. Comme les artistes, les restaurateurs partent à la conquête d’un nouveau public. Les députés prennent l’habitude de manger ensemble et participent à lancer la mode du restaurant. Par exemple, Mirabeau, La Fayette, Rivarol, les députés montagnards… sont des habitués de Méot où sont rédigés plusieurs points de la Constitution de l’an II.

Chapitre 4 : Le mystérieux Beauvilliers. Enquête sur le premier restaurateur de Paris

Différents portraits contradictoire sont évoqués par Antoine de Baecque. En tout cas, Beauvilliers est inspiré par les chop-houses de Londres qui servent une clientèle plus huppée que les brasseries populaires. La table de Beauvilliers acquiert une renommée internationale. Le décorum contribue au succès du restaurant, de même que les conseils personnalisés aux tables des riches clients, que Beauvilliers reconnait avec facilité. Il laisse aussi un livre de recette : L’art du cuisinier.

Chapitre 5 : A table au Palais-Royal. Petite promenade au coeur du premier Paris gourmand

Si les premiers guides du Palais-Royal listent les prostituées, leurs « spécialités » et leurs tarifs, des guides gastronomiques se développent à partir du début du XIXe s. et de l’Itinéraire nutritif de Grimod de La Reynière (1803).

Chapitre 6 : Le menu et la table – Les métamorphoses du service

Le décor des restaurants frappe les contemporains par son luxe. Dans les maisons, la salle à manger se généralise à la fin de l’Ancien Régime et reçoit un mobilier qui lui est propre. Dans les restaurants, des tables plus petites sont installées, permettant une plus grande intimité que la grande table à tréteaux. Les horaires des repas se modifient : le (petit) déjeuner est avancé, le dîner et le souper sont plus tardifs et le déjeuner à la fourchette apparaît. Le service à la russe se développe au détriment du service à la française. Le service à la française, plusieurs mets sont servis en même temps, alors que le dressage se fait en cuisine dans un service à la russe. Les manières de table se développent, ainsi qu’un « art de la conversation », décrit par Grimod de La Reynière. Le menu indique les prix des repas. Le choix est plus important, le menu unique disparaît au profit d’une profusion de plats. Certains menus des Trois Frères Provençaux, de Véry ou de Beauvilliers proposent plus de 200 plats différents.

Chapitre 7 : Naissance d’un artiste – Antonin Carême ou l’invention de la grande cuisine

Antonin Carême publie L’art de la cuisine française en 1828. L’ouvrage comporte une soixantaine de menus, un précis d’histoire culinaire, mais aussi un journal du cuisinier, qui note ses expérimentations ainsi qu’un ensemble de maximes et de pensées.

Autodidacte, il se fait repérer chez le pâtissier Bailly, avant de servir Talleyrand. Au même moment, il ouvre sa pâtisserie. Il s’inspire de l’architecture pour créer des pièces spectaculaires admirées par un public nombreux. Il cuisine également pour les grands bals de l’empereur, puis au Congrès de Vienne en 1814-1815. Il voyage ensuite en Europe et cuisine à la cour d’Angleterre auprès du futur George IV, à Saint-Pétersbourg à la cour du tsar Alexandre Ier, à Vienne pour l’empereur d’Autriche François Ier… Il achève sa carrière à Paris, écrivant sur la cuisine et cuisinant pour le banquier James de Rothschild.

Le cuisinier travaille sur l’harmonie des saveurs, ses plats sont décrits comme aériens, il rompt avec la surenchère des plats et des contrastes.

Chapitre 8 : Le boulevard des restaurants – Les symboles culinaires français

En 1840, Louis-Philippe fait interdire les tripots du Palais-Royal, qui décline au profit des boulevards. Ils sont aménagés par les pouvoirs en place : éclairage au gaz puis ligne omnibus, passages dont celui des Panoramas sous la Restauration, travaux d’Haussmann et surveillance volière accrue sous le Second Empire.

La géographie des restaurants parisiens se modifie :

  • Le Rocher de Cancale dans le quartier Montorgueil.
  • Le Cadran Bleu sur le boulevard du Temple.
  • Tortoni, Hardy, Riche aux abords du boulevard des Italiens.
  • Ledoyen annonce le développement des Champs-Elysées.

Antoine de Baecque évoque ensuite les descriptions littéraires des boulevards et de leurs restaurants, notamment celles de Balzac.

Différents types de restaurants se développent. Le bouillon, par exemple le Bouillon Duval, propose des menus peu onéreux, alors que les brasseries de tradition alsacienne, comme Bifinger, Lipp, Jenny… rencontrent un grand succès notamment après la défaite de 1870.

Chapitre 9 : Auguste Escoffier, « premier chef du monde » – Comment le restaurant change définitivement d’histoire

Auguste Escoffier est passé par de prestigieuses maisons à Paris et en province, avant de travailler dans différents palaces dont le Grand Hôtel de Monte-Carlo, le Ritz de Paris, le Carlton de Londres… Il a aussi laissé de nombreux livres, à commencer par ses Souvenirs inédits. Il y raconte ses débuts, l’invention de la poire Belle-Hélène et l’interruption de sa carrière lors de la guerre de 1870. Chef de cuisine de l’armée du Rhin, il est fait prisonnier mais continue à cuisiner. Il rationalise l’organisation de sa cuisine en divisant le travail par spécialités : 5 brigades de cuisine sont ainsi mises en place.

Ses livres de recettes, le Guide culinaire et l’Aide-mémoire culinaire deviennent des ouvrages de référence pour les cuisiniers. Il invente la pêche Melba, met au point une nouvelle technique de cuisson de la viande qu’il fait braiser. Il invente aussi le menu à prix fixe. Le 11 novembre 1919, il est le premier cuisinier à devenir officier de la Légion d’honneur.

Le livre est ponctué de recettes de cuisine.

Présentation éditeur et extrait

Jennifer Ghislain pour les Clionautes