Les éditions CHAMP VALLON nous proposent en plus de 400 pages un livre écrit par Michael BESS, Professeur d’Histoire à la Vanderbilt University (USA), paru en 2003 au Press Chicago et traduit en français par Christophe Jacquet en 2011. Cet ouvrage a reçu le prix G.P.Marsch de l’American Society for Environnemental History. Il paraît dans la collection « L’environnement a une histoire ».
On y apprend l’histoire de l’essor de l’écologisme (science de l’écologie) dans la seconde moitié du XXème siècle et de l’apparition de ce fait d’un ordre social nouveau que l’on peut résumer sous l’expression de « société vert clair » ou « écolo tiède ». Cette nuance vert clair n’indique pas seulement la modération mais la profonde ambiguïté qui caractérise la réception des idées écologistes en France. L’auteur nous présente ici la pénétration des idées écologiques dans la mémoire collective tout en mettant en perspective les « trente glorieuses ». Le récit est structuré en 4 grandes parties qui permettent d’emblée d’approfondir les connaissances afin de mieux appréhender l’écologie de la période 1960-2000 qui va parfois chercher ses prémices au XIXème siècle.
L’accélération de l’après-guerre
Dans la première partie, c’est l’après-guerre qui est abordée. L’auteur dépeint l’état de la France en 1945 et surtout l’état de la conscience collective. Le pays y est décrit comme affaibli mais avec une grande soif d’autonomie aussi bien énergétique que militaire. Les politiques ne s’y tromperont pas, qui lanceront des projets de haute technologie, ambitieux, coûteux et à l’impact écologique négatif certain. L’auteur nous propose ainsi de nombreux exemples bien détaillés comme le Concorde, les centrales nucléaires, le nucléaire militaire et on revit quelques évènements marquants comme Tchernobyl, la destruction du Rainbow warrior par les services de la DGSE, la construction de THEMIS dans les Pyrénées orientales ou les essais atomiques dans le pacifique sud. S’appuyant sur de nombreux sondages d’opinion, Michael BESS insiste ici sur le double sentiment qui habite le peuple français dans ces années-là, à savoir la volonté d’encourager le développement technologique de notre nation tout en effectuant un rapprochement certain avec la nature. Ainsi, l’auteur nous décrit-il le regain soudain de compassion des Français pour le paysan qui avait salué l’arrivée du cheval vapeur puis constaté combien cette machine le rendait esclave, stressé, peu respectueux de l’environnement et au final souvent ruiné. Le contexte politique est dans le même temps largement détaillé.
L’essor de l’écologie
Dans la Deuxième partie, l’auteur nous présente l’écologisme, cette science de l’écologie qui a mis tant de temps à trouver ces lettres de noblesses. Ainsi, y apprend-on que c’est Denecourt qui parle pour la première fois en 1830 de faire des « promenades » afin de se rapprocher de la nature. Bess nous présente les 4 idées fortes de cette science à savoir la finitude, c’est-à-dire que les ressources et l’espace du monde sont limités. L’inter-connectivité précise que les phénomènes naturels sont liés entre eux. Le concept de rupture systémique peut menacer l’espèce humaine. Enfin, la transformation socio-économique mondiale est liée au comportement collectif à l’échelle du monde. Bess nous présente donc un écologisme descriptif et prescriptif. Les nombreuse références bibliographiques et l’incommensurable travail de fourmi permettent de recueillir de nombreuses informations historiques que l’auteur se plait à mettre en perspective. L’essor de l’écologie y est aussi abordé à travers l’émergence de Jacques Yves Cousteau ou par le prisme de certains évènements déterminants comme la marée noire sur les côtes bretonnes en 1967 ou le projet d’annexion du Parc de la Vanoise par des promoteurs immobiliers en 1969. Ces faits historiques et les prises de consciences qui en découlèrent amenèrent à la création du Ministère de la protection de la Nature en 1971 sous Pompidou. On y retrouve ainsi un certain Robert Poujade dans ce fauteuil inédit (à ne pas confondre avec Pierre Poujade, le populiste des années 1950). On y voit aussi l’arrivée sur la scène politique de Brice Lalonde ou d’Antoine Waechter. L’auteur décrit l’ascension irrésistible des idées écologiques, souvent reprises par les élus socialistes, du RPR et même du FN, mais aussi l’arrivée de leurs représentants à l’assemblée nationale ou au gouvernement. L’auteur nous dépeint aussi, en filigrane, toute la complexité du peuple Français qui s’empare de plus en plus au quotidien de l’écologie mais qui plébiscite aussi à 80 % l’énergie nucléaire en 1990 ! Cette deuxième partie fait aussi la part belle à une critique acerbe d’un livre de Luc Ferry, « le Nouvel Ordre écologique », paru en 1992, où le philosophe décrit les écologistes comme antihumanistes, autoritaristes, fascistes et anti-modernes.
Vers la société vert clair
La 3ème partie débute par des exemples concrets comme le TGV ou l’aménagement touristique de la pointe du raz puis détaille nos comportements, superficiels ou profonds, qui impliquent largement nos pratiques écologistes. Ainsi aborde-t-il les thèmes concrets de l’entretien du corps, de l’habitat, des transports, des loisirs ou encore de la culture. On y retrouve toute la petite histoire des écolabels, leur émergence, leur prolifération aussi. L’environnementalisation de l’état est décrite avec une grande précision tout comme les grands tournants législatifs. L’ambiguïté du peuple français y est encore mise en exergue à travers les industriels, longtemps pointés du doigt et qui sont peut-être ceux qui ont fait le plus d’efforts pour l’écologie. Enfin, la quatrième partie se projette vers l’avenir de cette société vert clair et sur les conséquences mondiales à long terme. L’aspect philosophique est ainsi au cœur de ces paragraphes et permet de prendre du recul sur les premières parties très fouillées.
En conclusion
A l’heure où nombre d’entre nous glisseront un bulletin dans l’urne des présidentielles en 2012 et souhaiteront effectuer un vote éclairé, cet ouvrage s’avèrera fort utile. Il aurait pu aussi s’appeler « l’histoire de l’écologie pour les nuls », célèbre série littéraire qui tente de vulgariser tel ou tel thème. Que l’on ne s’y trompe pas, point de persifflage dans mes propos tant le livre impose le respect. Par sa bibliographie (rarement vue aussi étoffée) ou la formidable mise en perspective, l’auteur fournit ici une référence d’un niveau inégalé en matière d’histoire de l’écologie. Il est curieux de constater que c’est un étranger qui aura finalement le jugement le plus juste mais aussi le plus pertinent sur la pénétration des idées écologiques dans notre société.
Michael BESS a su éviter les pièges d’une énumération laconique des faits historiques ce qui permet d’être captivé par les quelques 400 pages pour peu que le sujet vous intéresse de prime abord. Cependant, en nous montrant exigeants et pointilleux, on peut regretter que l’auteur ait omis d’évoquer la création du CERN (centre de recherche nucléaire), après-guerre, sous l’impulsion de scientifiques français tels De Broglie, qui désiraient promouvoir une Science désintéressée au service de l’Homme. Cela aurait permis de mieux comprendre les idées des scientifiques de l’atome vers 1950-60, leurs savoirs faire ainsi que leur influence dans les arcanes du pouvoir. De même, pouvons-nous être étonnés de la présence un peu incongrue d’une critique virulente des écrits de Luc Ferry.
Enfin, l’ouvrage est aussi à recommander à tous ceux qui voudront comprendre et mettre en perspective les nombreux évènements récents qui ont marqué la mémoire collective tels la création d’un groupe « vert » au sénat, la catastrophe de Fukushima ou encore l’introduction récente de militants de Greenpeace sur le toit d’une centrale nucléaire.
Cédric Garcia