Un ouvrage collectif qui face à la menace d’un manque d’eau propose une analyse critique de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE). Ce concept développé dans les pays riches qui surconsomme l’eau est-il pertinent en Afrique?
Les Presses Universitaires du Québec propose cet ouvrage en e-book, œuvre collective il regroupe des chercheurs d’origine variée souvent investis dans des actions de terrain, ils sont présentés en fin d’ouvrage. Géographie, socio-démographie, sciences politiques, les disciplines convoquées pour cette analyse en constituent la richesse même si on peut regretter que la plupart des exemples concernent l’Afrique australe, ils constituent néanmoins un apport intéressant pour le programme de terminale ES et L mais aussi pour le programme de géographie de seconde.

L’eau – À crise mondiale, solution mondiale ?

La maîtrise et la gestion de l’eau sont un facteur essentiel du développement humain dans une région peu développée comme l’Afrique subsaharienne. Le concept de GIRE est-il applicable notamment en raison de sa construction culturelle? F. JULIEN rappelle la définition de « crise de l’eau » définie par le PNUE en 2008. Il s’interroge sur le mot même : crise de l’eau ou de la gouvernance de l’eau et rappelle les « principes de Dublin » Déclaration de Dublin sur l’eau dans la perspective d’un développement durable (ICWE, 1992) :

  • L’eau douce – ressource fragile et non renouvelable – est indispensable à la vie, au développement et à l’environnement.
  • La gestion et la mise en valeur des ressources en eau doivent associer usagers, planificateurs et décideurs à tous les échelons.
  • Les femmes jouent un rôle essentiel dans l’approvisionnement, la gestion et la préservation de l’eau.
  • L’eau, utilisée à de multiples fins, a une valeur économique
    et devrait donc être reconnue comme bien économique.

Dénoncée par de nombreux auteurs comme mettant trop l’accent sur la pénurie d’eau quand la question de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement ou la dégradation des écosystèmes aquatiques de la planète sont souvent des problèmes de gouvernance, la GIRE est pourtant au cœur de nombre de programmes de développement.

Cette introduction très claire définit la structure de l’ouvrage, huit chapitres commandés à des auteurs différents pour analyser le concept de GIRE (ch1 et 2), montrer la réalité des principes de Dublin appliqués au sud du Sahara (ch 3 à 6) et à travers deux études en Afrique du Sud (ch 7 et 8).

Le paradigme de la GIRE

François Molle analyse le concept. Il met en évidence le contexte de son apparition dans les années 80 avec l’artificialisation profonde des paysages et la dégradation de la qualité de l’eau dans les pays développés. Né de la Conférence internationale sur l’eau et l’environnement de Dublin de 1992 la gestion intégrée des ressources en eau se veut une réponse aux défis de la fin du XXème siècle en ce domaine englobant les trois valeurs principales du développement durable: équité sociale, durabilité environnementale et prise en compte
des réalités économiques. Diffusé après le sommet de la terre de Rio, c’est un ensemble de principes consensuels mais qui se heurtent à des intérêts contradictoires. L’auteur en montre les vertus et les limites et la dérive vers un ensemble de « bonnes pratiques » et l’abandon de la réflexion politique de la gestion de l’eau.

Pour Christian Bouquet c’est un modèle difficile à transférer en Afrique subsaharienne d’abord pour des raisons culturelles. Après un état des lieux des relations homme-nature au moment de la colonisation la pression démographique et l’urbanisation actuelle remettent en cause aussi bien les modèles traditionnels que coloniaux de gestion de l’eau. Le modèle de la GIRE et notamment sa dimension économique (l’eau est un bien économique qui se paye) est mal accepté (ex à Madagascar) d’autant que l’intervention de l’état sur ces questions est souvent peu comprise et peu efficace. La non prise en compte des systèmes fonciers dans la réflexion est une limite majeure à la mise en œuvre de la GIRE en Afrique.
Pour l’auteur on doit réfléchir à la bonne articulation entre les différents échelons de décision et de mise en œuvre : l’État, autorité de gestion de bassin, communautés concernées et à (re)donner à la démocratie de proximité un rôle dans un processus participatif de gestion de la ressource.

Les principes de Dublin mis en application

Luc Descroix analyse le principe qui fait du bassin versant l’échelle opératoire pour la gestion de l’eau. Pour lui il y a une spécificité
de l’Afrique subsaharienne en matière de ressource et de gestion de l’eau du fait des conflits liés aux usages de l’eau, des modes de gestion des risques(inondations mais aussi risques sanitaires) et des questions de ligne de partage des eaux.

L’analyse sociohydrologique montre la pertinence à s’intéresser à tout le bassin en fonction des usages des sols et de leur impact sur l’équilibre de la ressource en eau dans des milieux particulièrement vulnérables. Il traite par des exemples des conséquences de changements importants de l’occupation des sols sur la ressource en eau comme l’évolution des surfaces cultivées au Niger.
L’existence de grands bassins transfrontaliers met en évidence l’opposition entre la vision « technique » du bassin de l’hydrogéologue,
et la vision « sociopolitique » du politicien (Niger, Sénégal).

Le bassin versant en Afrique subsaharienne est une unité spatiale incontournable pour la gestion de l’eau, mais pas nécessairement
la seule pertinente, le cadre sociohydrologique est important du «savoir penser l’espace ».

Jeroen Warner et Eliab Simpungwe , à partir d’expériences de terrain pose la question de la participation des usagers dans la gestion de l’eau ce qui questionne la notion même de démocratie dans les pays de l’Afrique subsaharienne. Ils analysent les plateformes multiacteurs, leurs relations avec les états et les déséquilibres qui en limitent la portée.

Stéphanie Dos Santos s’intéresse au troisième principe de Dublin: Le rôle des femmes, son objectif : interroger la réalité de sa mise en œuvre en Afrique au sud du Sahara, à partir de diverses expériences.
Pour lui il convient de passer de l’analyse du statut des femmes à celle des relations dans la société par l’identification et l’analyse des rôles sexués pour une meilleure compréhension des obstacles à l’efficacité d’une gestion véritablement intégrée des ressources en eau. Il constate que les femmes sont les premières concernées par les usages domestiques de l’eau (approvisionnement, gestion de la ressource familiale) et pose la question du paiement quand la ressource n’est pas gratuite. Il analyse aussi leur place dans les organes de décision ( groupement de femmes, place donnée par les ONG) et les obstacles à la participation des femmes. Il plaide pour une approche genre .

Sylvy Jaglin aborde la question de l’eau dans les villes subsahariennes et se demande comment rationaliser des services rationnés. Elle constate que depuis 20 ans deux malentendus empoisonnent les débats sur les réformes des services d’eau: confusion entre valeur marchande de la ressource et valeur marchande du service d’une part et confusion entre principe de recouvrement des coûts et facturation du coût complet à l’usager final d’autre part. Des controverses existent focalisées sur la notion d’eau gratuite, opposant les tenants de l’eau comme bien public aux tenants du service comme bien
de marché. En ville, l’eau « naturelle » est rare, cette controverse contourne l’enjeu principal qui est de trouver des tarifs acceptables sur le plans économique et social tout en finançant la production et la distribution d’eau potable en quantité suffisante. les ressources financières sont souvent très insuffisantes pour les investissements nécessaires aux extensions pour l’accès des populations défavorisées,
mais l’entretien de réseaux anciens comme le montrent des exemples en Namibie et à Johannesbourg ou au Cap. Elle conclue sur l’idée que, dans des villes, le raccordement à un réseau d’eau (et plus encore d’assainissement) est un très fort marqueur des inégalités sociales? les objectifs de la GIRE sont alors trop éloignés des préoccupations de
la majorité des citadins et inappropriables comme enjeux collectifs.

L’Afrique australe, pionnière de la GIRE au sud du Sahara

Après l’apartheid, dans la période 1994-2009 David Blanchon évoque en matière de gestion de l’eau un volontarisme politique exemplaire. Il retrace les politiques de l’eau en Afrique du Sud depuis les débuts de la colonisation et l’application des nouvelles lois qui s’est faite de façon très progressive du fait des infrastructures héritées et notamment de la place de l’irrigation dans les usages de l’eau.

Avec Agathe Maupin et Marian J. Patrick c’est la question du renouvellement des politiques de gestion de l’eau vers une institutionnalisation des organismes de bassin transfrontalier qui est posée. En Afrique australe les états doivent tenir compte de ressources hydriques transfrontalières. La GIRE sert de cadre aux accords inter-étatiques au sein de la SADC Southern African Development Community: Angola, Botswana, Lesotho, Malawi,
Mozambique, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe, Namibie, l’Afrique du Sud, l’île Maurice, la République démocratique du Congo, Madagascar et les Seychelles
. Les auteurs notent la lenteur de mise en place des organismes de bassin et présentent l’exemple de la ZAMCOM organisme de gestion coordonnant les projets dans le bassin du Zambèze et pose la question du choix de l’échelle optimale de gestion de l’eau

En conclusion.

Reprenant les contributions des divers auteurs, Frédéric Julien prône une utilisation pragmatique du concept de Gestion Intégrée des Ressources en Eau pour résoudre l’écart entre les faits et l’idéal et pour une utilisation adaptée au contexte africain.