Antoine Prost et son histoire sur « Les Français… »
Cet ouvrage est le second tome d’une histoire des Français de l’historien Antoine Prost, commencée en 2019, avec Les Français de la Belle Époque, paru en septembre 2019, de 384 pages, dans la collection « Hors-série Connaissance » de l’éditeur Gallimard. Toujours dans la même collection chez le même éditeur, cette saga de l’histoire des Français continue donc avec ce livre intitulé Les Français d’une guerre à l’autre.
Antoine Prost, professeur émérite à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est né le 29 octobre 1933 à Lons-le-Saunier (Jura). C’est un historien, universitaire, ancien homme politique et ex-syndicaliste français. Spécialiste de l’histoire sociale, de l’histoire de l’éducation et de la Première Guerre mondiale, il a été engagé au sein du SGEN et de la CFDT de 1960 à 1977, été conseiller spécial de Michel Rocard de 1988 à 1990, puis de 1989 à 2001, adjoint à l’urbanisme au maire socialiste d’Orléans, Jean-Pierre Sueur.
Outre l’avant-propos (p. 9-12), l’ouvrage comporte 16 chapitres (p. 13-370) qui s’alternent entre le thématique et le chronologique, assorti à la fin du livre d’une conclusion (p. 371-376), de 12 annexes (p. 377-388), d’appendices (p. 389-444), eux-mêmes constitués de notes bibliographiques (p. 391-434), d’un index des noms de personnes (p. 435-440), de remerciements (p. 441-442), d’une table des cartes, graphiques et tableaux au nombre de 9, 5 et 2 respectivement (p. 443) et, enfin, d’une table des matières (p. 445-448).
Pour les Français, la Belle Époque a été une période bénie. Celle qu’ouvre la Grande Guerre est baignée dans le tragique qui se prolonge par la crise, la débâcle, les années noires puis les conquêtes de la Libération, jusqu’à la guerre froide. Ce livre explore leur vie pendant ces décennies. Il explique comment l’inflation a ruiné les rentiers et mis au travail la bourgeoisie ; comment la montée des droits sociaux et des conventions collectives a structuré le monde ouvrier ; et comment les paysans ont traversé les crises.
Il fait visiter les quartiers neufs, les logements surpeuplés et sans confort, l’équipement progressif en eau et en gaz, l’arrivée de l’électricité jusque dans les campagnes. Il décrit l’essor de l’automobile, des loisirs et des sports, le rôle capital des syndicats, des clubs, des associations, de la grande presse et des feuilles partisanes. Dans cette fresque de la vie des Français, l’État reste toujours présent, qui réglemente de plus en plus les relations sociales, l’urbanisme, la santé, l’éducation…
Antoine Prost sonde les passions des Français, leurs souffrances et leurs espoirs. Il raconte leurs manifestations, leurs grèves, leur pacifisme et la manière dont ils ont vécu les grands événements politiques. Et il cherche, au fil des pages, à éclairer la question qui hante cette histoire aujourd’hui encore : pourquoi la France s’est-elle effondrée en juin 1940 ? Pour les besoins de la recension, nous avons regroupé les 16 chapitres en 4 parties qui sont de notre seule responsabilité.
De la Grande Guerre à la crise mondiale de 1929
Dans cette première partie (p. 13-112), nous avons intégré les 5 premiers chapitres qui sont tout à la fois chronologiques et thématiques.
- Dans la guerre (p. 13-24). La mobilisation générale d’août 1914 fut un saut dans l’inconnu pour l’ensemble de la société française : 4,8 millions hommes de 20 à 44 ans sont mobilisés en 6 semaines ! L’armée s’attendait à 10 % d’insoumis alors qu’il y a en eu seulement 1,5 %. La France de l’avant (Soldats et officiers) et de l’arrière (L’arrière au quotidien) vécurent 52 mois d’épreuves sans précédent et tout le monde a tenu jusqu’à la victoire alliée.
- Une société mobilisée (p. 25-40). La mobilisation de la société française a été totale durant toute la durée de la Grande Guerre avec à la fois la mobilisation des solidarités : allocation aux épouses et concubines, moratoire des loyers, hébergement des réfugiés de Belgique et du nord de la France, hébergement des blessés, mobilisation du personnel féminin dans les hôpitaux, colis aux soldats, marraines de guerre et, enfin, l’arrivée des soldats américains en 1917. Étant donné que « la France n’était absolument pas préparée à une guerre industrielle » (p. 29), la mobilisation économique ne fut pas en reste avec le renoncement du monopole de l’État sur la fabrication de l’armement et le recours à des regroupements à des entreprises privées, le financement du conflit par l’emprunt (75 %). L’État-client n’a pas seulement piloté l’économie par les marchés publics et militaires mais elle a facilité les importations de matières premières et financé les investissements. Il a joué un rôle déterminant dans l’affectation de la main-d’œuvre étrangère, coloniale et féminine. « La lassitude d’une guerre impossible à terminer et les révolutions de 1917 en Russie ont en outre engendré des prises de conscience durables » (p. 40). Cette double évolution, matérielle et technique d’une part, idéologique et politique d’autre part, a donné à la classe ouvrière du pays une conscience d’elle-même qui domine l’histoire de la société française jusqu’à la Libération et au-delà.
- Un parti nouveau et de nouveaux ouvriers (p. 41-64). Le monde ouvrier a basculé dans l’hiver 1916-1917 provoquant ainsi beaucoup de grèves de 1917 à 1920 car la mobilisation fut un choc pour l’économie et sa désorganisation a provoqué à la fois un chômage massif, une baisse des salaire et une hausse des prix jusqu’en 1915. L’entrée de syndicalistes (Jouhaux de la CGT) et de socialistes SFIO (Guesde, Thomas, etc…) dans le gouvernement d’Union nationale est une reconnaissance du monde ouvrier. Cependant, devant la durée de la guerre, un puissant pacifisme montait dans les rangs de la SFIO au point d’obtenir le départ des ministres socialistes. L’immense popularité dans le monde ouvrier de la révolution bolchevique d’octobre 1917 stimule le mouvement social en France, pacifiste mais non défaitiste. L’armistice de 1918 libéra le mouvement social car la démobilisation et l’arrêt des industries de guerre désorganisaient le marché du travail et poussaient aux grèves qui furent stoppées par Clemenceau par des mesures d’urgence en faveur des ouvriers et des soldats : primes de démobilisation et exonérations d’impôts pour les années de front, lois sur les conventions collectives et la journée de 8 h.
- La montée des droits (p. 65-88). De la Grande Guerre à la Libération, l’État-providence s’est affirmé en même temps que la société salariale avec l’héritage de la Belle Époque (loi du 5 avril 1910 dite ROP créant les cotisations ouvrières et paysannes avec 3 régimes de caisses et un financement paritaire, patronal et salarial, avec contribution de l’État). L’héritage de la Grande Guerre, quant à lui, fournissait deux lois : celle du 30 mars 1919 (avec la création du ministère des pensions en janvier 1920) et celle du 27 juillet 1917 (avec l’Office des pupilles de la Nation) sans oublier la retraite du combattant. L’héritage du familialisme chrétien a apporté les allocations familiales qui furent obligatoires avec la loi du 11 mars 1932. De 1928 à 1935, les assurances sociales (maladie, invalidité, maternité, vieillesse et décès) ont été étoffées progressivement afin de rattraper la différence avec l’Alsace-Moselle et couronnées avec le décret-loi de 1935. Avec toutes ces réformes (loi de mars 1919 sur les conventions collectives), la mise en forme du salariat a été à la fois structuré et étendu. Avec la Sécurité sociale de 1945 vînt le sacre de l’État-providence qui rompt avec les assurances sociales de l’entre-deux-guerres sur 3 points : couverture de toute la population, regroupement des risques (maladie, retraite, accidents du travail et famille) sauf chômage, puis unification des caisses (tableau 1, p. 86).
- De la reconstruction à la crise (p. 89-112). Avec un bilan monstrueux de 1,4 million de morts et 1,1 million de pensionnés, les difficultés de la reconstruction sont illustrées par l’indice de production industrielle qui dépassa son niveau de 1913 qu’en 1924 (annexe I, p. 379). La reconstruction avait été anticipée dès 1916 et s’acheva en 1925 en donnant la priorité aux communications ferroviaires, au déblaiement des villes et la remise en culture (annexe II, p. 380). Les années 1926-1930 sont celles d’une prospérité retrouvée (graphique 1, p. 96). Les particularités de l’industrialisation française sont que « la forte croissance des années 1920 a reposé sur celles des investissements » (p. 97) et une certaine concentration des entreprises par fusion ou croissance externe. La France a régressé dans l’économie européenne en 1926-1928 et 1936-1938 soit avant et après La crise mondiale de 1929 (annexe III, IV, p. 381) mais elle ne fut touchée qu’à partir de l’été 1930 grâce aux investissements massifs (annexe V, p. 382) tandis qu’elle en sortie que très tardivement à cause du refus de la dévaluation par les politiques. Le fait majeur des années 1930-1935 pour les Français sous la crise fut la baisse des prix de détail concernant tous les produits (vin, blé) ; les fonctionnaires furent les moins touchés par la crise mais cette dernière a exacerbé les tensions au sein des entreprises avec l’intensification du travail au rendement.
Les groupes sociaux
Dans cette deuxième partie (p. 113-182) sociologique, les chapitres 6 à 8 montrent que « le XXe siècle a été pour la France le siècle de l’inflation » (p. 113). De 1914 (base 1) à 1948, les prix ont été multipliés par 111 (graphique 2, p.114).
- Les bourgeois : des rentiers aux cadres (p. 113-132). Les rentiers furent les plus touchés, soit un demi-million d’individus. Leurs ressources s’affaissant, ils durent s’adapter et modifier leur niveau de vie en restreignant en premier lieu la domesticité. Mais le changement le plus radical est à chercher ailleurs, soit le salut par les études (ingénieurs) et un protectionnisme professionnel au niveau des professions libérales. La bourgeoisie s’est renouvelé, mais les rentiers reculèrent devant les futurs cadres supérieurs. Enfin, paupérisant les parents et rongeant les dots, l’inflation a affecté davantage le destin des filles que celui des fils et rendait les études nécessaires pour ces dernières. La Grande Guerre a accéléré l’accès au baccalauréat aux jeunes bourgeoises et leurs a permis d’accéder aux études supérieures ainsi que de s’émanciper de la tutelle familiale. Cependant, « si les modes de vies et les mœurs de la bourgeoisie évoluaient, ses idées sur l’organisation de la société ne changeaient guère » (p. 128) au point de crispations dans un conservatisme têtu (contre l’impôt sur le revenu et le bordereau de coupons) exacerbé par la peur de la victoire des « socialo-communistes » et les grèves de 1936.
- Ni bourgeois, ni prolétaires : les classes moyennes (p. 133-158). Les classes moyennes, définition floue et poreuse par excellence, sont le lieu privilégié de la mobilité sociale de plusieurs groupes hétérogènes voire hétéroclites. Artisans et commerçants appartenaient au même monde, sans frontières étanches, avec la même volonté d’indépendance rétive aux associations professionnelles laissant le champ libre dans les chambres de commerce à la grande industrie et au commerce de gros. La création des chambre des métiers, en 1925, sur le modèle de celle du commerce apporta aux artisans la reconnaissance symbolique tant attendue ainsi que l’inscription au registre des métiers (créé en 1934) consacra leur statut. Le Front populaire suscita un immense espoir vite déçu avec l’allègement des dettes sous condition d’imposition sur le revenu sur cet électorat plus radical-socialiste que socialiste SFIO. Les nouvelles classes moyennes sont composés des métiers suivants : ingénieurs, publicitaires, journalistes, infirmières et assistantes sociales. Le monde des employés conjugue à la fois la diversité et l’unité des bureaux : banques, assurances, industries, grands magasins, etc.). Enfin, les fonctionnaires qui sont enviés pour la sécurité de l’emploi, la régularité des traitements et la retraite, ont vu leur nombre augmenter beaucoup entre les deux guerres mondiales : 100 000 environ (+ 46 %), entre 1913 et 1946 (annexes VI, p. 383 et VII, p. 384).
- Les paysans entre dépressions et revanches (p. 159-182). « La paysannerie a payé un lourd tribut à la Grande Guerre » (p. 159). Néanmoins, si elle forme le plus gros contingent des mobilisés (45 %) en étant fantassins le plus souvent, leurs morts (18,7 %) ne sont guère plus nombreux que la moyenne (17,5 %). Les belles années des paysans sont dues à la perception des allocations d’anciens combattants mais aussi à l’augmentation des prix du blé et du vin ainsi que l’inflation. Les petites exploitation de 1 à 10 ha représentent 63 % du territoire agricole (carte 1, p. 162). De 1921 à 1936, l’exode rural s’est poursuivi avec une perte de plus de 15 % des exploitants. Les 3/4 des exploitations pratiquaient le faire-valoir direct et 1/5 le fermage (carte 2, p. 164) : fondement de la démocratie rurale et républicaine. Le triomphe de l’exploitation familiale repose sur une mécanisation qui a beaucoup progressé après la Grande Guerre (faucheuses et moissonneuses-lieuses) ; la modernisation de l’exploitation (progrès de l’élevage, clôtures), du logement avec l’électricité (carte 3, p. 169) et des modes de vie (alimentation, vêtements et hygiène) sans oublier la perte de certaines traditions (veillées, patois) au profit d’autres (sociabilité rurale des anciens combattants, MFR et JAC). L’obligation de vendre des denrées périssables aggrava la chute des prix agricoles entraînant la protestation paysanne (les agrariens Agricola et Dorgères et le communiste Renaud Jean) mais la remontée des prix et la création de l’ONIB en 1936 calma le monde paysan du nord et de l’ouest de la France (Bretagne et Normandie) mais les congés payés creusèrent pour longtemps l’antagonisme entre le monde paysan et citadin. Le régime de Vichy fut pour le monde agricole comme une revanche avec la création d’une corporation paysanne (décembre 1940) mais, très vite, les problèmes du ravitaillement occupèrent quotidiennement les Français pendant les années noires et jusqu’en 1949. Ainsi, le marché noir devînt une institution pendant l’Occupation tandis que les paysans sont écartelés entre les Allemands, les maquisards et leur exploitations. Après l’Occupation, naquît la FNSEA en lutte contre la CGA communiste (annexe VIII, p. 384).
La société française
Cette troisième partie (p. 183-290), thématique, est composée des chapitres allant de 9 à 13, soit 5.
- Vivre en ville et en sortir (p. 183-198). « La France est un pays de petites villes » (p. 183) et est victime d’une crise du logement sans précédent surtout à Paris. La population urbaine égale celle de la ruralité (carte 4, p. 184). L’habitat est exigu, surpeuplé (annexe IX, p. 385) et sans confort (annexe X, p. 386) avec l’absence d’électricité et/ ou de gaz voire d’eau courante. La loi Loucheur de 1928 réduit en partie les inégalités et retards. La loi Sarraut de mars 1928 vient gommer les ombres et lumières de l’urbanisme en finançant les travaux de voirie et de réseaux en s’appliquant à tous les lotissements. Avec les conquêtes de l’automobile, « l’entre-deux guerres a connu un bouleversement » (p. 192) tant dans les villes (feux rouges) que dans les campagnes (autocars) en modifiant le réseau routier. De 1921 à 1928, le trafic ferroviaire augmente de 44 % et recule de 20 % entre 1929 et 1939. L’automobile a libéré la mobilité des Français (parc automobile passant de 1 million de voitures en 1930 à 2 millions en 1939). Outre le tourisme aisé (Touring Club de France, guides Michelin et destinations chics), c’est aussi le début du tourisme de masse grâce aux 40 h et aux congés payés conjugués au désir de nature (auberges de jeunesse et scoutisme).
- Les sports, les corps et les couples (p. 199-218). La gymnastique et le sport se développèrent hors de l’école avec, en 1914, 470 000 gymnastes contre 400 000 sportifs mais le rapport changea au profit de ces derniers après la Grande Guerre, grâce aux patronages catholiques et laïcs ainsi que des clubs. Le Front populaire eu une véritable politique sportive avec Léo Lagrange (démocratisation des sports élitistes) et Jean Zay (avec l’éducation physique obligatoire dans l’emploi du temps). Le régime de Vichy ne fut pas en reste avec Jean Borotra et la Libération rattache le sport à l’Éducation nationale, rétablit les principes républicains mais garde les centres de formation de Vichy. Le sport-spectacle fut illustré par le cyclisme (Tour de France), la boxe, le tennis (Coupe Davis), le foot et le rugby qui demanda des temples sportifs (stade-vélodrome de Marseille, Vél’ d’Hiv de Paris, etc.). Des corps qui changent en se dénudant (short), avec la coiffure (La Garçonne de Victor Margueritte), le bronzage (terme de 1924). La sexualité et conjugalité évoluent également avec la disparition très progressive de la pudeur, le développement du maquillage et de la revendication d’avoir un mariage d’amour.
- L’église, l’école et les enfants (p. 219-240). La Grande Guerre et la « Chambre bleu horizon » ne gommèrent pas la guerre religieuse mais l’apaisèrent. En revanche, le premier Cartel des gauches la rouvrit pour battre en retraite après et avec pour conséquence la création de la FNC, en 1924. Pie XI mis à l’index Charles Maurras et l’Action française pour son nationalisme intégral, en décembre 1926. Grâce à l’encyclique Rerum novarum, le catholicisme français se distingue par la création de l’Action catholique (JOC, JAC et JEC) dont les bilans impressionnent l’épiscopat. Le protestantisme, quant à lui, surmontent ses divisions grâce au pasteur Boegner. Le régime de Vichy fut bien accueilli au tout début par les catholiques mais, dès l’été 1941, l’épiscopat se détourne de la Révolution nationale. Pour l’Église catholique, l’Occupation fut l’occasion de 3 changements majeurs : le retour d’une place officielle au sein de la nation, les prêtres-ouvriers et l’émancipation des militants envers l’épiscopat (carte 5, p. 224). Après la Grande Guerre, remédier aux inégalités sociales dans l’enseignement fut l’objectif avec pour moyen l’école unique. Pour les catholiques, « école unique » voulait dire suppression de l’enseignement catholique comme le voulait le premier Cartel des gauches mais le pape Pie XI s’y opposa par une encyclique et la FNC dans la rue. Le Front populaire se garda bien d’une telle mesure et le régime de Vichy profita de la situation pour créer des écoles et faire passer la part du privé de 18 à 22 % des écoliers (annexe XI, p. 387). « La démocratisation (mot datant de 1920) allait souvent de pair avec la réforme pédagogique » (p. 231), comme l’éducation nouvelle de Célestin Freinet, la réforme du primaire supérieure de Jean Zay lors de la rentrée 1937, la réforme de Vichy avec la création des collèges techniques ou modernes et, enfin, le plan Langevin-Wallon de 1960. La séparation des hommes de leur famille qu’entraîna la Grande Guerre contribua de façon indirecte mais décisive aux changements des relations familiales et aux nouveaux regards sur l’enfance. L’éducation des enfants évolua après la Grande Guerre en lien avec le confort au quotidien et le temps libéré afin d’entourer davantage les enfants sur le plan affectif.
- La guerre qui était et qui vient (p. 241-264). La Grande Guerre fut un véritable traumatisme pour la société française (culte des morts, 11 novembre, romans et films). Les survivants (les anciens combattants) furent à la fois la présence et la mémoire profonde mais aussi la majorité du corps électoral en 1932 (près de 4 millions avaient la carte d’anciens combattants) tandis que les associations telles que l’UF (centre gauche) et l’UNC (droite) avaient plus de 3 millions de membres. Le pacifisme massif engendré par la Grande Guerre a eu plusieurs déclinaisons avec des origines remontant dès les années 1890 (Basch, Bourgeois et Bouisson). On y trouve pêle-mêle un pacifisme absolu, moral et philosophique (Alain et Giono), un néo pacifisme véhément véhiculant le mythe des marchands de canon de la fin des années vingt, le pacifisme révolutionnaire du PCF (Barbusse) et, enfin, le pacifisme antifasciste. Le pacifisme féminin et féministe est intimement lié pour ces militantes radicales qui sont pacifistes parce que femmes ; cependant, ces féministes veulent également le droit de vote refusé par des sénateurs machistes mais accordé par les députés dès 1919. La maternité en France est marqué par 3 constats singuliers : une diminution régulière de la mortalité (hygiène, médecine et conditions de vie), déficit des naissances et excédent de mortalité moindres que partout ailleurs ; le long recul de la natalité (1922-1941) et sa remontée (1942-1946) est en lien avec la guerre (graphique 3, p. 253 et annexe XII, p. 387) ; seul, le gouvernement Daladier aura véritablement une politique nataliste de grande ampleur, sans cesse renforcée. « La contribution des colonies dans la Grande Guerre a été significatif » (p. 255) avec 200 000 ouvriers et près de 500 000 soldats mais presqu’aucune reconnaissance ne fut accordée se heurtant au lobby colonial en faveur des colons ; un grand effort a pourtant été mené pour faire connaître aux Français leurs colonies (expositions coloniales de Marseille en 1922 et Strasbourg en 1924, « Semaines coloniales » de 1927 sans oublier l’exposition colonial de 1931) mais cet intérêt s’est vite essoufflé. Le mythe impérial des 100 millions d’habitants aidait à maquiller la réalité des Français, à l’exception de Vichy et de la France libre.
- Politique et information (p. 265-290). « L’histoire sociale est aussi politique » (p. 265) et l’après-Seconde Guerre a marqué une rupture en matière de politique, presse, radio et cinéma et une volonté de reconstructions sur des bases nouvelles. La Chambre et le gouvernement de la Troisième République, minés par l’antiparlementarisme (exacerbé à cause des affaires Oustric en 1930 et Stavisky en 1934) et l’instabilité de l’exécutif (33 cabinets en 20 ans), permettait la mise en place d’une nouvelle constitution avec la Quatrième République. Avec les ligues, certains partis politiques de droite disparurent comme la FR, l’ARD et le PSF pour se recomposer par la suite. « Les Français s’intéressaient beaucoup à la politique, comme l’attestaient la forte fréquentation des réunions électorales et la faiblesse des abstentions, toujours inférieures à 20 % sauf aux législatifs de 1919 » (p. 271), ainsi que le nombre de militants dans les partis (avec plus de 2 millions soit près de 10 % du corps électoral masculin). L’entre-deux-guerres est aussi marquée dans les manifestations dans la rue avec ou sans ligues (anciens combattants, PCF et ligues comme l’Action française, les JP de Taittinger, le Faisceau de Bucard et les Croix-de-Feux de La Rocque, etc.) ; la dissolution des ligues après le 6 février 1934 donna lieu à la création de partis : PSF, PPF, etc. « La presse sortaient éprouvée de la Grande Guerre, avec moins de lecteurs et une image dégradée par le bourrage de crâne et la vénalité » (p. 277) ; les journaux étaient également frappés par la hausse de leurs coûts et la chute de leurs marges provoquant la disparition de près de la moitié des titres à Paris et en province ; l’industrialisation de la presse augmentaient les coûts mais aussi les tirages (1 million d’exemplaires/jour pour Le Petit Parisien indépendant d’Hachette pour la distribution et d’Havas pour la publicité) et le développement des magazines (Marie-Claire en 1937 et Match en 1938). Au début, le radio ne concurrence pas la presse et s’écoute en famille touchant ainsi la moitié de la population française en 1939 (20 millions). Quant au cinéma, il traversait une grave crise de financement par la non-intervention de Pathé et Gaumont mais une solution corporative fut trouvée et, de plus, le réseau de distribution avait achevé en 1939 la conversation au cinéma parlant des 5 000 salles de l’Hexagone faisant passer de 150 millions de spectateurs en 1929 à 450 en 1938. À la Libération, « la partialité de la presse et des radios privées, leur vénalité et leur incapacité à résister aux pressions allemandes avaient convaincu les résistants des vertus du secteur public pour garantir une information objective, impartiale et nationale » (p. 284) ; le cinéma constitua une exception car la continuité s’y imposa pour les structures de la profession ; à l’exception notable de RTL et RMC, la radio, quant à elle, fut nationalisée en créant la Radiodiffusion française qui diffusait sur tout le territoire français deux programmes, l’un populaire et l’autre plus culturel ; Quant à la presse, enfin, Havas information est remplacé par l’AFP, l’épuration remplaçait une presse de droite par une presse de gauche et l’ordonnance d’août 1944 promulgua un cadre très strict avec un président du conseil d’administration seul responsable et le respect des tarifs de publicité indiqués.
Du Front populaire à la Guerre froide
Enfin, dans cette quatrième et dernière partie (p. 291-382), nous avons regroupé les 3 derniers chapitres qui sont d’ailleurs à nouveau chronologiques (chapitres 14 à 16).
- Le Front populaire (p. 291-316). Le choc du 6 février 1934 a pour effet la démission de Daladier et les manifestations des forces de gauche du 12 février 1934 à Paris et en province (carte 6, p. 294) ; le Front populaire se réalisait à la base, dans la rue, dépassant les appareils des partis de gauches (SFIC et SFIO). Le Komintern changea radicalement de politique afin que la France ne tombe pas aux mains des fascistes et Thorez signe un pacte d’unité avec la SFIO, en juillet 1934. Pendant deux ans, les manifestations de rue continuèrent entre gauches et droites avec un aspect culturel pour les forces de gauche : Rassemblement populaire et CVIA de mars 1934. Outre l’aspect idéologique et politique, le Front populaire a une réalité sociale. Les occupations d’usines spontanées ont été une surprise pour les syndicats (CGT) et le patronat (CGPF) ainsi que le gouvernement de Front populaire qui sous la pression réunirent les partenaires sociaux pour signer les accords de Matignon éteignant peu à peu les grèves. La mise en avant de la loi plutôt que le compromis eut des conséquences incommensurables sur l’atmosphère social français en divisant le patronat en deux entre les grands patrons des usines d’un côté et les petits patrons de l’artisanat de l’autre. Le double refus des compromis a judiciarisé les conflits et complexifié le droit social, au niveau des conventions collectives. Les gouvernements radicaux Chautemps et Daladier mirent fin au Front populaire en luttant contre les grèves surtout dans le public et le secteur de l’armement. La culture est aussi un des héritages du Front populaire grâce aux congés payés et aux week-ends : les guinguettes, les bals musettes, le music-hall, le cinéma ; partis et syndicats deviennent également des acteurs culturels (PCF surtout voire la SFIO) et responsables de la politisation de la culture tant à l’extrême droite qu’à gauche. Le Front populaire relève d’une ambition pédagogique et éducatrice (création des colonies de vacances, les réformes Zay à l’école primaire).
- Les années noires (p. 317-344). En mai-juin 1940, la France a surtout connu une débâcle mais tout a commencé par une défaite, avant tout militaire. L’invasion allemande a produit un gigantesque exode du Benelux et du nord de la France, jusqu’à l’armistice. La présence des Allemands en France se solde par des indemnités journalières d’occupation de 400 millions de francs, soit au total 860 milliards durant l’Occupation, entraînant le rationnement pour la population française et, par conséquent, la sous-alimentation minant la santé de tous. La mosaïque vichyssoise commence par la personnalité de Pétain et son régime de pouvoir personnel malmené par l’évolution des évènements ; les catholiques oscillent entre les traditionnalistes pour l’expiation du Front populaire et les démocrates-chrétiens appelant à une refondation de la société devant la crise de la bourgeoisie (Esprit pour Mounier, Uriage pour Frenay et X-Crise pour Coutrot). « La Résistance constituait une expérience totalement inédite » (p. 336) et un engagement sans précédent : Angleterre, presse clandestine (tableau 2, p. 338), sabotage, noyautage, renseignements. Le commencement de la fin vient avec l’hiver 1942-1943 qui est un tournant avec le débarquement américain au Maroc et en Algérie (8 novembre 1942) ainsi que la victoire des soviétiques à Stalingrad (2 février 1943) qui met fin aux deux zones (ZO et ZNO) et ouvre la voie à la réunification de la Résistance sous la férule de Jean Moulin (création des MUR, 26 janvier 1943, pour la zone sud puis en décembre 1943, création du MLN en incluant les mouvements d’action de la zone nord et, enfin, création en mai 1943 du CNR soutenant de Gaulle et unissant aussi bien les Résistances intérieure qu’extérieure) ; à Alger, le 3 juin 1943, Giraud et de Gaulle créent le CFLN et l’Assemblée consultative provisoire, le 17 septembre 1943. Avec la loi sur le STO (16 février 1943) modifie radicalement la donne : 600 000 jeunes vont en Allemagne, 200 000 restent en France et 40 000 rentrent dans les maquis. Au même moment est créée la Milice de Darnand qui s’occupe du maintien de l’ordre et l’administration pénitentiaire. « L’État français devenait un État fasciste » (p. 343).
- De la Libération à la guerre froide (p. 345-370). Avec le débarquement allié en Normandie et les sabotages des FFI pour la libération du territoire, les massacres de l’Occupant (carte 7, p. 349), les exécutions capitales et les déportations allemandes envers les populations civiles (graphiques 4 et5, p. 350) et, enfin, les exécutions sommaires à la Libération (carte 8, p. 352), la violence dans une société sans État fut la norme jusqu’en août 1944. Le retour rapide de l’État de droit s’explique pour 3 raisons : militaires afin d’éviter que les Américains installent un gouvernement militaire (AMGOT) ; la Libération du pays avait été préparée par de Gaulle avec la création du GPRF (3 juin 1944) afin de court-circuiter le PCF ; le prestige de de Gaulle a beaucoup joué en symbolisant le retour de l’État en visitant 25 villes libérées. Cependant, le PCF bénéficiait d’un immense prestige (« le parti aux 75 000 fusillés ») en dominant le paysage politique avec près de 30 % des suffrages en 1946 (carte 9, p. 358) tandis que Thorez mit fin aux milices patriotiques et a soutenu la « bataille de la production ». À sa force politique, s’ajoute pour le PCF, via la CGT, une influence majeure sur le monde social avec la culture de la liberté avec comme compagnons de route de nombreux membres du monde artistique (Aragon, Picasso, Sartre, etc.). Du programme du CNR, l’opinion publique a retenu les mesures concernant le monde ouvrier : les comités d’entreprise (CE), la Sécurité sociale et les nationalisations, de ce temps des réformes. Du plan Monnet (janvier 1947) au plan Marshall (juin 1947) permettent à la France de se reconstruire et d’échapper à la montée des tensions sociales de l’année 1947.
Conclusion
Dans sa conclusion (p. 371-376) résumée en 4 points, Antoine Prost fait le bilan de la société française entre les deux guerres mondiales : entre 1913 et 1946, le PIB a stagné pendant 33 ans en retrouvant en 1946 le niveau de 1913 avec des hauts (1913-1929 et 1943-1946) puis des bas (1929-1939 et 1940-1943). Pourtant, la misère a reculé pour 3 raisons : les pertes de rentes et l’inflation, l’évolution de la population (indépendants devenant salariés) et, enfin, les transferts sociaux avec la mise en forme institutionnelle de l’État-providence. Cependant, la société française reste « une société de classes faite de groupes très hiérarchisée selon de multiples critères : le capital économique et financier, mais aussi l’éducation, la culture et le mode de vie » (p. 372). En outre, Antoine Prost établit un lien entre l’évolution de la société française et l’effondrement de 1940 car, malgré l’élargissement des classes moyennes, la lutte des classes a dominé la vie politique, divisant irrémédiablement le pays qui allait entrer en guerre en 1939. Avec l’avènement du communisme en URSS et du PCF en France, la bourgeoisie tétanisée s’est raidit au point de voir dans le fascisme et le nazisme des sources d’inspiration et annihilant toute forme d’union sacrée comme en 1914.
Les Français d’une guerre à l’autre (tome 2)
Une histoire des Français pendant l’entre-deux-guerres renouvelée par l’historiographie actuelle
Avec cet ouvrage Les Français d’une guerre à l’autre, paru en septembre 2024, de 448 pages, dans la collection « Hors-série Connaissance » chez Gallimard, Antoine Prost continue son histoire (sociale) des Français du XXe siècle. Cet ouvrage, très bien écrit, se veut global en mêlant tour à tour chapitres chronologiques et thématiques, par de subtiles transitions stylistiques. Antoine Prost n’a pas son pareil pour associer habilement notes, annexes, tableaux, graphiques et cartes, dans le corps du texte car ceci est la marque des grands ! Également, grâce à sa rigueur et à sa maîtrise de l’époque, il n’hésite pas à casser certains clichés, dans les chapitres 14 et 15, par exemple. Ce récit s’est voulu synthétique et abordable pour le grand public curieux, tout en fournissant aux étudiants et aux enseignants un ouvrage de référence pour leurs recherches futures, à faisant à la fois court, simple et neuf. Ces objectifs sont assurément atteints, avec brio !