A l’occasion de la célébration des 300 ans de l’Hydrographie française en 2021, le SHOM, Service Hydrographique et Océanographique de la Marine, a organisé de nombreuses manifestationsdont une exposition en ligne à travers toute la France. La bande dessinée intitulé Beautemps-Beaupré, de l’océan à la carte a été publiée à cette occasion par les Editions Locus Solus. Malo Durand le scénariste, Erwan Le Bot le dessinateur et JIWA y narrent l’expédition d’Entrecasteaux à laquelle participe un jeune cartographe-hydrologue Beautemps Beaupré. Celui-ci est considéré comme « le père de l’hydrographie française ». En 1791, cette expédition avait quitté Brest en pleine révolution pour retrouver les traces de Lapérouse et poursuivre l’exploration scientifique. Elle comprenait deux frégates, l’Espérance et la Recherche dont on suit le parcours.

Le récit est accompagné d’un appareil critique important et accessible fondé sur les ressources du SHOM. On trouve en premières pages une carte des deux voyages de La Pérouse et d’Entrecasteaux et un récit historique et une galerie de personnages présentant brièvement les acteurs de cette histoire (officiers et savants). A la fin de l’ouvrage sont expliquées avec cartes, portraits, photos d’outils, les suites de l’expédition, la vie future de Beautemps Beaupré et l’histoire de l’hydrographie.

Le dessin est soigné, les couleurs vives. Il y a un véritable souci des détails des bateaux, des outils, des plantes. Les cartes insérées à l’intrigue ont toute leur place et donne un véritable relief au dessin. On note aussi le mouvement des scènes de tempête.

La trame chronologique de la bande dessinée n’est pas linéaire. Elle fonctionne avec des flash-backs comportant des récits. L’histoire commence en 1794 à Java avec l’arraisonnement de l’Espérance par les Hollandais et les tractations des Français, des Hollandais et des Anglais. Elle se poursuit ensuite en 1795 à Londres où l’un des membres de l’équipage Rossel confie les cartes de Beautemps Beaupré à un explorateur et cartographe anglais Alexander Dalrymple. La question du rôle stratégique des cartes et des logiques d’espionnage est ici évoquée. Mais cet entretien est aussi le prétexte pour commencer en flash-back le récit de la découverte du canal d’Entrecasteaux en Tasmanie en 1792 et la description des nouvelles méthodes cartographiques employées par Beautemps-Beaupré. Enfin, une troisième rencontre en 1797 à Paris met en scène un dialogue entre Cuvier et Beautemps-Beaupré lui-même. En se remémorant la vie du naturaliste Claude Riche qui a participé à l’expédition à bord de l’Espérance, le travail des naturalistes et la rencontre avec les sociétés de Nouvelle Calédonie sont évoquées.

On voit donc trois grands axes se distinguer et s’entremêler dans ce récit, un politique, un scientifique et un autre qui a trait à la vie à bord des bateaux.

Les enjeux politiques liés aux explorations et à la possession des cartes dans le contexte troublé de la révolution française courent tout le long du récit. A l’échelle nationale, on voit que l’expédition est envoyée en 1791 sous la monarchie. A bord des bateaux, les officiers sont monarchistes tandis que les savants sont plus républicains et des tensions ont lieu entre eux. Les équipages découvrent seulement à Java, en 1794, que le roi a été jugé et guillotiné et qu’une République est mise en place. Certains officiers monarchistes comme Rossel se rapprochent alors des Anglais qui font tout pour récupérer les cartes françaises. On voit aussi s’opérer le changement d’alliance entre Britanniques, Hollandais et Français. Quand les Hollandais deviennent une République en 1795, ils s’allient aux Français et ne fournissent plus les informations demandées par les Anglais. Ce qui est vraiment bien mis ici en avant est le rôle politique stratégique de la carte.

Cette dimension politique est complétée par une dimension scientifique fondamentale. On trouve là aussi tout le long du récit de grands portraits d’explorateurs, scientifiques, cartographes. Tout l’univers scientifique de l’époque est recréé. Le monde en réseau, en société savante, en échanges des scientifiques est bien montré. On y retrouve des références à Cuvier, à Riche, à Cook, à Joseph Banks qui fait parvenir les caisses des découvertes biologiques de Riche aux français malgré les affrontements entre les deux pays. Un des points les plus intéressants concerne les méthodes cartographiques employées par Beautemps-Beaupré. Celui-ci utilise de nouveaux outils comme le chronomètre ou le cercle de Borda. Il emploie également de nouvelles techniques comme la triangulation pour élaborer les tracés de côtes. On peut souligner la qualité pédagogique des explications techniques qui sont très accessibles. Certains épisodes comme le récit des difficultés à longer la barrière de corail en Nouvelle Calédonie sont passionnants. Dans le récit mené par Beautemps-Beaupré en 1797, le travail réalisé par les naturalistes est décrit précisément. On les voit récolter les nouvelles plantes et les animaux.

Enfin, le soin accordé aux détails de la vie sur les bateaux donne une dimension vivante et réaliste au récit. On assiste aux difficultés pendant les tempêtes, aux avaries, à la gestion des approvisionnements et des réparations. Les narrateurs racontent la mort du commandant et explique qu’un tiers de l’équipage est mort lors de l’expédition…

Cet ouvrage est donc un récit de marins, un récit d’aventures qui mêle habilement engagement politique et techniques cartographiques, découverte scientifiques et frissons dans les tempêtes, espionnage et cartes précieuses. Sa lecture pourra plaire à des élèves passionnés de voile et d’aventure, certaines planches peuvent compléter un travail de réflexion sur l’élaboration des cartes ou leur rôle stratégique, on peut aussi faire recours au personnage de Beautemps Beaupré pour évoquer les grandes explorations et l’élaboration de la science.