Rédiger une critique d’un ouvrage de ce type, consacré à la guerre d’Algérie, n’est pas du tout facile. D’abord parce que le sujet en lui-même est encore très largement polémique, mais surtout en raison de la trajectoire personnelle de l’auteur, considéré comme proche du Président de la république, et directeur de la chaîne Histoire, détenue à 100 % par le groupe TF1. À la tête du cabinet Publifact, il a facturé en 2008 à l’Élysée un total de 130 autres factures pour des conseils, dont une quinzaine de sondages réalisés par OpinionWay et publiés par Le Figaro et LCI.
Préface très discutable
L’ouvrage est également préfacé par Michel Déon et l’on ne peut pas dire que ce choix soit particulièrement opportun. À quoi sert par exemple cette charge inutile contre la gauche « chic et pas chic » toute regroupée, selon l’auteur, derrière le Grand timonier ?
Sur l’épisode tragique de la rue d’Isly, le 26 mars 1962, la thèse pourtant largement discutée d’un feu ouvert par l’armée française sans sommation, et sans provocation de l’OAS, est également reprise .
Inutile de dire qu’en parcourant cet ouvrage, l’historien a quelques raisons de s’inquiéter sur un certain nombre de choix clairement idéologiques. On peut d’ailleurs s’interroger sur le choix de l’ECPAD de le publier ainsi. Sa valeur documentaire est incontestable, tout comme la qualité du travail éditorial et des photographies issues du fonds du ministère de la défense et du service cinématographique des armées. Pour autant, on aurait pu espérer qu’un ouvrage de ce type publié près de 50 ans après les événements, fasse davantage la part des choses.
Certes la guerre d’Algérie n’a pas opposé, comme cela a été dit trop souvent, les gentils colonisés aux méchants colonisateurs. En la matière, cet épisode n’a pas été encore totalement passé au prisme de l’enquête historique, si l’on veut bien accepter ce pléonasme.
La torture encore
On peut comprendre l’exaspération d’une partie des cadres de l’armée, se refusant à admettre la comparaison avec les tortures de la Gestapo, pendant la bataille d’Alger. Pour autant peut-on en justifier l’usage qui a été, qu’on le veuille ou non, systématisé, même si c’était, selon le général Massu, « une cruelle nécessité ». Certes, la prise de position courageuse du général Jacques de Bollardière est citée, et en bonne place. Mais cela n’empêche pas un certain sentiment de malaise parce que l’on sent bien, notamment à propos des scènes de fraternisation après mai 1958, ou dans l’évocation du plan de Constantine, vers où penchent les sympathies de l’auteur. Les connexions douteuses de l’OAS avec les courants les plus radicaux d’une extrême droite qui ne s’était pas remise de la défaite de l’Allemagne nazie, ne sont pas évoqués. Les assassinats d’Algériens musulmans, comme de français, commis en métropole comme en Algérie, par l’OAS, ne justifient certes pas la cruauté des règlements de comptes entre factions algériennes, FLN contre Messalistes, du MNA, mais l’équilibre de traitement, souffre un peu.
Ce qui manque dans cet ouvrage, c’est sans doute l’évocation de la part de responsabilité de la population européenne d’Algérie, qui a suivi aveuglement des politiques incapables de franchise et de courage, des gros colons qui avaient pris la précaution de transférer leurs biens en métropole, tout en suscitant la révolte des « petits blancs », et de ces leaders « grandes gueules », du Forum d’Alger, qui ont utilisé les pieds-noirs comme masse de manœuvre.
Un support vidéo et photographique de qualité
Dans tout ouvrage d’histoire, il est toujours possible de trouver de quoi alimenter « une approche de la connaissance globale ». Celui-ci ne fait pas exception, et il serait injuste, voire sectaire et contre-productif, de l’écarter d’un revers de main, en raison du pedigree politique de son auteur.
Nul ne lui demande d’être « objectif ». Toutefois, l’idée de l’auteur sur laquelle, l’armée française a été « trahie », après avoir été, ce qui est incontestable, victorieuse sur le terrain, fait peu de cas du contexte politique général qui était celui de la décolonisation.
Certes, en théorie, le plan de Constantine, initié par le général De Gaulle, aurait pu au moins théoriquement fonctionner, et permettre la naissance d’une « Françalgérie », ou même d’une nation arc-en-ciel. C’était d’ailleurs le projet de certains militaires qui n’étaient pas simplement des brutes galonnées. Mais une fois de plus, l’aveuglement devant ce grand mouvement de l’histoire qu’était la décolonisation, ne permettait pas, malgré les bonnes intentions, la réussite de ce plan de Constantine qui visait à moderniser l’Algérie, à former des élites indigènes, et à intégrer la population algérienne à la France.
Le choix du FLN a été celui de la rupture brutale, et de ce point de vue cette politique menée après l’indépendance a conduit l’Algérie à l’impasse économique, et à une guerre civile de 10 ans, après les élections gagnées par les islamistes, en 1990. Aujourd’hui, l’Algérie est devenue un pays rentier du pétrole et du gaz, qui ne semble pas avoir pu pour l’instant poser les bases d’un développement économique harmonieux. Les relations avec la France ne sont pas encore apaisées, et il arrive encore, même récemment, que l’histoire de la guerre d’Algérie serve de « variable d’ajustement », à un personnel politique algérien en mal de légitimité. C’est sans doute pour cela que les perspectives de développement de ce pays, aux atouts considérables, et la francophonie en fait partie, apparaissent comme assez lointaines. Cela supposerait une action politique résolue soutenant les démocrates de ce pays, et un véritable travail d’histoire, qui se garderait de toute exploitation politique des « commémorations » de toutes sortes.
Il n’est pas sûr que cet ouvrage y contribue.
© Bruno Modica