L’ouvrage  La guerre de Trente Ans, constitue une somme impressionnante sur ce conflit majeur commencé en 1618 et achevé en 1648 et qui reste à ce jour la guerre la plus meurtrière de l’histoire de l’Europe rapportée aux populations concernées. Le livre est doté d’un corpus de notes, d’une chronologie, d’un glossaire et d’une bibliographie sélective.

Claire Gantet, présidente de la Société suisse pour l’étude du XVIIIe siècle, est professeure d’histoire moderne à l’université de Fribourg. Sa thèse a porté sur les représentations et les pratiques de paix durant la guerre de Trente Ans et la pacification qui l’a suivie. Ses axes de recherche concernent notamment l’histoire franco-allemande, la presse ou l’histoire du rêve à l’époque moderne. Elle a publié, entre autres, un ouvrage sur la paix de Westphalie, le volume sur le XVIIe siècle de la série « Nouvelle histoire des relations internationales » en collection « Points histoire » (Guerre, paix et construction des Etats, 1618-1714) en 2003 ou encore, en 2018, Le Saint-Empire 1500-1800 (Colin, collection U).

 Le Saint-Empire, les origines de la guerre de Trente Ans

Claire Gantet nous rappelle en introduction que la guerre de Trente Ans, depuis quelques années, fascine les politistes qui la perçoivent comme « un miroir des guerres actuelles, qui se sont défaites du modèle bien ordonné des affrontements réglés entre Etats souverains » (p.7). Elle revient sur ce point en conclusion, en précisant que cette fascination est d’autant plus forte qu’on attribue aux traités de Westphalie l’instauration d’un nouvel ordre international fondé sur l’égalité de rang, sur la souveraineté et sur l’intégrité territoriale des Etats. Or, cette idée est un mythe : aussi bien le mot que l’idée de souveraineté sont absents des traités de 1648. L’auteur réfute également l’idée de « tournant westphalien » qui aurait ouvert l’ère de nouvelles relations internationales contrôlées par les Etats-nations. Elle montre également la faible pertinence de la division usuelle de la guerre, côté allemand, en 4 périodes : la guerre de Bohême (1618-1621), la guerre danoise (1621-1629), la guerre suédoise (1630-1635) et la guerre internationale (1635-1648). Dans le cas de la guerre de Trente Ans, les conflagrations sont continues, et non pas entrecoupées de moment de trêve ou de paix.

L’ouvrage commence par une présentation détaillée du Saint-Empire, les origines sont rappelées (en 862, lorsque le roi de Germanie, Othon Ier, a été couronné empereur par le pape) ainsi que les caractéristiques originales. Le Saint-Empire est un espace polycentrique, sans capitale fixe, constitué d’environ 180 fiefs laïcs et 130 fiefs ecclésiastiques. Depuis le milieu du Xe siècle, le successeur présumé de l’empereur doit être élu par certains princes (les princes électeurs), et non pas déterminé par l’hérédité dynastique. Le Saint-Empire est une communauté juridique, et non un Etat politique à la française. L’équilibre des pouvoirs Etatiques entre l’empereur et les Etats d’Empire est en conséquence toujours fluctuant et donc conflictuel.

La dynastie des Habsbourg est indissociable du Saint-Empire, puisque les empereurs en sont tous issus de 1438 à 1806 (sauf pendant un court intervalle de temps, entre 1742 et 1745).

L’ouvrage s’attarde en détail sur l’enjeu politique que constitue la religion pour le Saint-Empire. Les dissensions politiques qui font le quotidien de la culture politique du Saint-Empire ont été amplifiées par la Réforme protestante. Il est rappelé le rôle de la Paix d’Augsbourg (1555), par laquelle le choix confessionnel est officiellement remis aux princes et aux chevaliers libres, tandis que les individus ne reçoivent que le droit d’émigrer en cas de dissidence avec le culte du prince. Toutefois, l’importance de cet accord est minoré par une exception pour les principautés ecclésiastiques, celle de la clause du réservat ecclésiastique (si un prince catholique se convertit au luthéranisme, il doit renoncer à ses fonctions spirituelles et temporelles, et son territoire reste dans le giron de l’Eglise catholique). De plus, le calvinisme n’est pas reconnu par la paix d’Augsbourg (ni les juifs, soumis à une juridiction spécifique).

L’étincelle qui met le feu aux poudres par une série de réactions est la réaction centralisatrice et catholique de l’empereur face à des nobles tchèques qui veulent affirmer un droit de participation au pouvoir. Il y va donc d’abord de la répartition des pouvoirs entre l’empereur et des nobles de Bohême. De fait, la guerre de Trente Ans commence les 23 mai 1618 à Prague, en Bohême, lorsque des nobles tchèques de sensibilité protestante précipitent des représentants de l’empereur par la fenêtre du château.

Il n’en reste pas moins que se pose la question des causes de la guerre : comment la Défenestration de 1618 peut-elle déclencher une guerre d’une violence sans précédent et d’une aussi longue durée ? En fait, il y a à la fois un durcissement religieux et une internationalisation des camps.

Dans le Saint-Empire, depuis la Réforme, l’appartenance religieuse est un enjeu politique qui amplifie les tensions structurelles entre l’empereur et les Etats d’Empire qui siègent à la Diète.

La guerre éclate dès la fin du règne de l’empereur Matthias lorsqu’au lendemain de la Défenestration de Prague il décide de riposter non seulement aux Bohêmes révoltés ou au prince électeur du palatinat qui les soutient, mais à tout prince disposé à épouser leur cause : d’emblée, l’empereur pense l’affrontement comme une affaire non pas personnelle ou régionale, mais impériale, comme une rébellion.

L’escalade des tensions (1619-1629)

Il faut comprendre la défenestration de 1618 comme une déposition de la présence impériale et la revendication d’un passé corporatif et autonome, et non catholique et centralisé. Dès juin 1618, escarmouches armées ont lieu dans le sud de la Bohême.

Les Etats de Bohême s’empressent de coaliser les voisins dans une Confédération de Bohême (juillet 1619). Les Etats de Bohême élisent le prince électeur du Palatinat Frédéric V comme roi de Bohême (août 1619). Pendant ce temps, la cour impériale cherche activement des alliés. La cour d’Espagne (Philippe III) envoie des subsides aux cousins de Vienne. C’est le début de l’engrenage.

Après la mort de Matthias, le nouvel empereur Ferdinand II fait alliance avec le duc de Bavière (Maximilien), moyennant d’importantes concessions. Ferdinand II exclut Frédéric V du droit d’empire (janvier 1621). L’empereur mise sur le droit et les institutions pour étouffer ce qu’il interprète d’emblée comme une guerre civile. Toutefois, ce faisant, l’empereur ne respecte pas son serment aux princes électeurs avant son couronnement (toute mise au ban de l’empire doit être faite seulement après avis du Tribunal de la Chambre impériale et de la Diète).

Les années 1618-1620 sont une période de « drôle de guerre » durant laquelle on parle de guerre et de paix tout en quêtant frénétiquement des alliés.

De longs développements sont consacrés à la bataille de la Montagne Blanche (8 novembre 1620), où l’armée conjuguée de l’empereur et de la ligue catholique écrase les troupes des Etats de Bohême. Ces derniers ont peiné à trouver des alliances tandis que l’empereur a acheté au prix fort l’alliance de l’Espagne et plus encore de la Bavière. La victoire de la Montagne Blanche devient emblématique, et est magnifiée par la propagande catholique. A la suite de cette victoire impériale, la Bohême devient un royaume héréditaire soumis à une seule religion et à la seule armée du souverain. Il s’ensuit un mouvement d’émigration important. La « recatholicisation » de la Bohême et sa transformation en un territoire héréditaire des Habsbourg ne peuvent pas être acceptées par de nombreux princes protestants, tant dans le Saint-Empire qu’à l’étranger.

L’alliance impériale est dépassée par l’ampleur de la gestion de la victoire. Le duc Maximilien de Bavière demande à Ferdinand II une lourde compensation financière pour couvrir le coût de l’expédition contre les rebelles de Bohême et sollicite un transfert en sa faveur de la dignité électorale de Frédéric V du Palatinat, ce qu’il obtient lors de la Diète de Ratisbonne de 1623. Ce transfert contrevient aux règles politiques admises et réduit à néant tout espoir de paix prochaine.

Les puissances scandinaves sont alors sollicitées par le Cercle de Basse-Saxe (protestant).

Le roi de Suède Gustave-Adolphe, par son mariage avec la fille du prince électeur de Brandebourg, est intégré à la grande famille des princes allemands protestants liés entre eux par des liens de parenté. De plus, le roi de Danemark, en tant que duc de Holstein, est membre du Cercle de Basse-Saxe. L’internationalisation de la guerre de Trente Ans progresse.

Claire Gantet montre une facette originale de la guerre de Trente Ans, qui devient une guerre d’entrepreneurs, avec notamment la figure emblématique d’Albrecht von Wallenstein, qui acquiert un rôle de première importance en devenant un des rares nobles de Bohême à seconder les Habsbourg après la Défenestration de Prague du 23 mai 1618. Wallenstein est nommé chef suprême de toutes les troupes impériales en avril 1625. Les armées ont une présence inédite en raison de la longueur de la guerre et de l’ampleur des ponctions qu’elles opèrent au gré des contributions instaurées par Wallenstein, puis adoptées par tous les belligérants.

La défaite des princes protestants à la Montagne Blanche menace l’équilibre politique dans l’Empire d’autant que nombre d’entre eux comptaient sur le soutien de la France. La France se déclare prête à soutenir le roi de Danemark financièrement pour une intervention dans le Saint-Empire, ce qui ne l’empêche pas de réprimer les protestants en France même.

Le Danemark n’intervient pas en tant que tel dans la guerre de Trente Ans, mais seulement son roi, sans le soutien de son royaume, en tant que duc de Holstein-Segeberg (et à ce titre Etat d’Empire) et membre du Cercle de Basse-Saxe. L’intervention danoise (1625-1626) est un fiasco, la moitié de son armée étant tuée ou capturée. Christian IV doit négocier avec l’empereur.

Claire Gantet souligne le fait que, malgré son intense religiosité et les nombreux théologiens qui l’influencent, Ferdinand II n’a pas voulu mener une guerre sainte pour anéantir le protestantisme. Cependant, les exactions de l’armée impériale et les lourdes contributions de guerre ulcèrent les princes protestants mais aussi catholiques. On craint que Ferdinand II et Wallenstein ne profitent de la guerre pour transformer l’Empire en une monarchie centralisée aux dépens des « libertés » des princes.

Le basculement des années 1629-1631

De nombreux développements sont consacrés à un édit impérial qui relance le débat sur la fonction impériale : l’édit de Restitution (6 mars 1629). Sans entrer ici dans le détail, on peut dire que ce texte constitue une tentative ambitieuse de recouvrer les positions catholiques perdues au profit des protestants dans la seconde moitié du XVIe siècle. Citons parmi les dispositions de cet édit le fait que tous les territoires ecclésiastiques situés dans une principauté territoriale, acquis et sécularisés par des protestants depuis 1552, doivent être restitués aux catholiques.

La publication de cet édit sème la consternation chez les protestants en jetant du côté des « rebelles » des princes restés loyaux. Si l’édit prévoit des commissaires autorisés à lever des soldats impériaux pour parer à toute résistance sur le terrain, il a pour conséquence de souder les protestants tout en s’avérant pratiquement impraticable. L’édit de Restitution peut être considéré comme « une erreur politique majeure et un tournant de la guerre » (p.190).

L’engagement suédois dans la guerre de Trente Ans, qui a commencé dès 1627-1628, donc avant l’édit de Restitution, reçoit avec celui-ci un argument majeur de légitimation auprès du public. L’invasion suédoise se développe en un engagement militaire massif pendant une durée de 18 années. Or, comme pour l’engagement « ouvert » futur de la France en 1635, l’engagement de la Suède contribue fortement à pérenniser la guerre en l’inscrivant dans un champ de tensions européennes.

La guerre de Trente Ans reste dans la mémoire humaine par ses nombreuses atrocités. Un chapitre entier est consacré au sac de Magdebourg (20 mai 1631), qui représente la quintessence des atrocités commises. Cette ville opulente était devenue le siège du protestantisme pur. Or, en mai 1631, tueries et massacres se succèdent à Magdebourg, 20 000 habitants mourant en quelques heures. Cette destruction renforce les Etats d’Empire protestants dans leur neutralité armée, voire dans leur union contre l’empereur.

L’acmé de la violence et la quête de la paix (1631-1648)

Après avoir conclu des traités d’alliance avec des princes protestants du Nord, la Suède de Gustave-Adolphe signe avec la France de Louis XIII un traité de subsides (traité de Bärwalde, janvier 1631) qui prévoit des versements massifs de thalers de la France à la Suède sur 10 ans. La France est donc en guerre de façon « couverte » avec le Saint-Empire jusqu’en 1635, date à laquelle elle entre en guerre « ouverte ».

Cependant, l’alliance franco-suédoise, principalement militaire, apparaît assez instable de 1631 à 1635 : elle est sans cesse renouvelée et corrigée. De nombreuses frictions opposent en effet la France face à un roi de Suède qui installe brutalement son pouvoir dans le Saint-Empire et soumet les pays occupés, même alliés, à de lourdes contributions. L’auteur met en lumière le problème récurrent du financement de la guerre pour les Suédois (comme, plus généralement, d’ailleurs, pour toutes les troupes de chaque camp), qui doivent ponctionner largement les princes alliés ou occupés. Les alliés et les villes d’Empire occupés doivent accepter que la protection suédoise supplante les liens à l’empereur.

Un chapitre complet est consacré aux malheurs de la Lorraine, celle-ci devenant au début des années 1630 à la fois un champ, mais aussi un enjeu de la guerre de Trente Ans. Elle est dévastée par les troupes de Gustave-Adolphe puis par celles du roi de France en 1635.

La guerre de Trente Ans est caractérisée par une régionalisation des opérations militaires, chaque parti déployant plusieurs armées simultanément. Le début des années 1630 voit advenir la disparition des grands chefs militaires : Tilly (1632) et Wallenstein (1634) pour le camp impérial, Gustave-Adolphe pour la Suède (1632).

De 1632 à 1634, après la mort de Gustave-Adolphe sur le champ de bataille, la Suède se retrouve sans roi. Une régence est officiellement proclamée en 1634 (le grand chancelier Axel Oxenstierna dirige le conseil de régence). Limités au départ, les buts de guerre de la Suède évoluent profondément au fur et à mesure du conflit. Il faut maintenir une armée opérationnelle (ne serait-ce que par esprit de dissuasion vis-à-vis de la Pologne et du Danemark), assurer à la Suède une partie du nord du Saint-Empire ainsi que des « satisfactions » pécuniaires en dédommagement de son effort de guerre (pour éviter d’alourdir encore le fardeau fiscal et humain).

De son côté, jusqu’en 1635, Richelieu pratique une politique de subtil équilibre : laisser la Suède batailler dans l’Empire (avec l’aide financière française), soutenir discrètement les Hollandais en guerre avec l’Espagne, étendre sa protection aux princes allemands catholiques, neutraliser la Lorraine, sans provoquer de conflit trop direct avec l’Espagne.

L’année 1635 voit la France entrer en guerre « ouverte » (en mai), pour obliger Ferdinand II à disperser ses forces et l’empêcher de soutenir l’Espagne. La France était déjà intervenue militairement dans la Valteline, à Mantoue et au Montferrat.

Le traité d’alliance entre Ferdinand II et Philippe IV d’Espagne (octobre 1634) pousse Louis XIII et Richelieu à entrer en guerre, d’autant que la Suède est affaiblie et que des princes protestants cherchent à s’accommoder avec l’empereur, auquel cas ce dernier risquerait de se retourner contre la France avec l’appui de l’Espagne.

Si la France rompt avec l’Espagne en mars 1635, ce n’est qu’en septembre 1636 qu’un manifeste de guerre de la France est adressé contre l’empereur, ce qui n’est d’ailleurs pas une déclaration formelle de guerre.

La France renforce son alliance avec la Suède par le traité de Compiègne (avril 1635).

En mai 1635, les Français lancent une triple offensive, contre les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Italie. La stratégie espagnole vise quant à elle une triple invasion de la France par les troupes espagnoles depuis les Pays-Bas, par les forces impériales depuis la Franche-Comté et par Philippe IV lui-même depuis la Catalogne.

La déclaration de guerre de la France à l’Espagne est un des grands jalons de la guerre de Trente Ans. C’est l’unique déclaration de guerre de toute la guerre de Trente Ans.

Claire Gantet insiste sur le fait que de nombreuses tentatives de paix ont lieu dès le début de la guerre de Trente Ans. On se contentera ici de mentionner la paix de Prague entre la Saxe et l’empereur (30 mai 1635), qui a pour objectifs à la fois de rétablir un ordre supra-confessionnel dans l’Empire et d’en expulser la Suède et la France. Cet accord brusque les Etats d’Empire puisque deux princes, l’empereur et la Saxe s’arrogent le droit de trancher des affaires d’Empire. La paix de Prague prohibe toutes les alliances, sauf celles entre les princes électeurs autorisés à se rencontrer sur leur propre initiative. Elle supprime l’édit de Restitution. Une amnistie est décrétée pour ceux qui ont pris les armes contre l’empereur depuis 1630 (sauf le prince électeur palatin). Cependant Ferdinand II évince ses ennemis dont les terres ont été largement attribuées à ses alliés ; en excluant plusieurs Etats d’Empire de l’amnistie, l’empereur sape l’ambition de la paix de Prague. La paix de Prague est une entorse considérable à la culture politique du Saint-Empire fondée sur la consultation et le consensus.

1636 est l’année de Corbie et de Wittstock. Cette dernière bataille est une victoire des Suédois contre les Impériaux et les Saxons mais aussi une des plus meurtrières de la guerre. Les batailles de Corbie et de Wittstock annihilent tout espoir de pacification sur la base de la paix de Prague.

De 1637 à 1640, les Habsbourg apparaissent sur la défensive. Différentes tentatives de paix échouent et la guerre se poursuit. Ferdinand III  (1637-1657) devient empereur. En l’absence d’une victoire décisive, il est contraint à convoquer une Diète (en septembre-octobre 1641, à Ratisbonne), la première depuis 27 ans. Ses résultats sont limités, mais sa tenue inquiète la France et la Suède qui se défient de leurs alliés allemands. En juin 1641, l’alliance entre la France et la Suède est renouvelée et renforcée : les deux pays se solidarisent et s’interdisent toute paix séparée.

Des préliminaires de paix s’ouvrent à Hambourg entre Ferdinand III et la France et la Suède. On répartit les négociations dans deux villes de Westphalie, Münster pour les participants catholiques et Osnabrück pour les protestants (un accord de préliminaire de paix est obtenu en juillet 1642). Cela n’empêche pas la guerre de se poursuivre dans l’Empire. 1642 voit des victoires suédoises (Kempten, Breitenfeld) et la bataille de Rocroi (mai 1643), victoire de la France sur les Espagnols, médiatisée par la France mais non décisive.

Aucune des puissances n’arrivant à s’imposer entre 1641 et 1643, Ferdinand III doit accepter l’ouverture d’un congrès de paix. Les Français essuient une défaite cuisante à Tuttlingen, contre les forces impériales, bavaroises et lorraines (novembre 1643). La France concentre désormais ses forces contre l’Espagne plutôt que dans la guerre d’Allemagne. Si la bataille de Tuttlingen ne peut renverser la tendance générale de la guerre, au même moment la couronne d’Espagne connaît de graves difficultés.

La France attaque l’Espagne sur plusieurs fronts : elle coordonne ses opérations avec les provinces-Unies contre les Pays-Bas, attaque les possessions espagnoles en Italie ainsi que dans les Pyrénées, ce qui précipite des séditions en Catalogne et au Portugal en 1640. L’intervention française, les révoltes catalane et portugaise, et l’endettement colossal de la Couronne concourent à une crise inédite du royaume d’Espagne. Parallèlement, les Hollandais s’emparent de positions au Brésil, la grande colonie portugaise.

Les sécessions de la Catalogne et du Portugal manifestent au grand jour l’épuisement de la Couronne d’Espagne. Les dépenses pour l’armée grimpent vertigineusement, les ressources fiscales s’amenuisent . L’armée atteint un maximum de 200 000 soldats au début des années 1640. En raison des bouleversements internes dans la péninsule ibérique, la pression sur les Provinces-Unies s’affaiblit. Les armées ne peuvent pas être maintenues à ce niveau. La faillite de l’Etat espagnol a une incidence directe sur la guerre de trente Ans. L’Espagne n’est plus à même de soutenir financièrement l’empereur.

De 1643 à 1646, on négocie « l’arme à la main ». On se bat en pensant mieux négocier, au risque d’une pérennisation de la guerre. Différents armistices sont toutefois obtenus : entre la Suède et la Saxe (septembre 1645), entre la Bavière, la Suède et la France (mars 1647) etc. Certains ne tiennent pas.

La dernière grande bataille de la guerre est Zumarshausen (mars 1648), où l’armée franco-suédoise bat la coalition bavaroise-impériale. Prague est pillée par les Suédois (juillet-octobre 1648) : la guerre finit à Prague où elle avait commencé.

L’épineux chemin vers la paix (1643-1650)

De 1643 à 1648, le congrès travaille. Comme on l’a mentionné, les négociations de paix ne commencent pas lorsque la guerre s’épuise, mais dès le début du conflit, à des niveaux bilatéraux et multilatéraux ou par la médiation d’une tierce personne. La question de l’ordre politique apte à garantir la paix a constamment agité les chancelleries.

Les négociations de paix sont entamées en 1645, lorsque la France et la Suède remettent leurs propositions de paix. Les négociations sont complexes, du fait des nombreux protagonistes et de l’entremêlement entre les enjeux internationaux et les questions internes à l’Empire. Le coup d’envoi officiel des négociations est donné fin avril 1646.

Les négociations entre l’Espagne et les Etats Généraux des Provinces-Unies parviennent à un traité de paix séparée en janvier 1648, juré en mai 1648 dans l’hôtel de ville de Münster. En revanche, celles entre la France et l’Espagne sont bloquées par la sécession du Portugal et la question du sort de la Lorraine.

Claire Gantet met en avant le fait que la paix aurait complètement échoué si un certain nombre d’Etats d’Empire (protestants et catholiques) ne s’étaient pas réunis à Osnabrück, d’abord dans le secret, à partir de janvier 1648.

Ce qu’on appelle communément la « paix de Westphalie » est l’ensemble formé par les deux traités d’Osnabrück (6 août 1648) et de Münster (24 octobre 1648). Osnabrück est un acte de paix interne au Saint-Empire et avec la Suède ; Münster est un second traité entre les représentants de l’empereur, de la France et des Etats d’Empire. L’acte séparé signé entre l’Espagne et les Provinces-Unies proclamé en janvier et juré en mai 1648 dans l’hôtel de ville de Münster n’en fait donc pas partie.

Le 18 février 1649 à lieu l’échange des ratifications à Münster.

La paix de Westphalie est-elle un tournant ? A cette question, l’auteur apporte les éléments suivants :

  • du point de vue territorial, les changements sont modestes. La paix de Westphalie est conçue avant tout comme un traité concernant le Saint-Empire intégré dans une garantie internationale.
  • Les traités de 1648 n’innovent pas et s’inscrivent largement dans un cadre intellectuel hérité de l’Europe féodale (ainsi le traité de Münster ne reconnaît pas l’indépendance des Provinces-Unies et les anciens liens féodaux à l’Empire sont même réaffirmés).
  • La nouveauté la plus importante est le droit de garantie accordé à la Suède et à la France. Il signifie qu’en cas d’infraction à la paix, l’oppresseur sera admonesté et un accord à l’amiable recherché. Ce sont les Etats d’Empire qui ont imposé la garantie internationale, par peur que l’empereur, s’il était laissé à lui-même, ne relance prochainement une guerre.
  • Les traités confirment la translation de la dignité électorale palatine à Maximilien de Bavière et à ses descendants. Mais ils créent en parallèle une huitième dignité électorale pour Charles-Louis de Palatinat, le fils de Frédéric V, et ses descendants réhabilités.
  • Les traités de Westphalie sont une paix de religion (même si la guerre de Trente Ans n’est pas une guerre de religion, l’enjeu religieux n’ayant jamais primé). Ils confirment le traité de Passau (1552) et la paix d’Augsbourg (1555), et y intègrent les calvinistes, reconnus désormais au même titre que les catholiques et les luthériens.
  • La règle de l’année normative (1624) détache largement la confession du prince de celle du territoire, neutralisant les conséquences des conversions princières. En créant le principe d’un équilibre durable entre les confessions, la paix de Westphalie ouvre une ère nouvelle. De même qu’elle gèle la géographie religieuse dans les territoires, la règle de l’année normative contribue à structurer durablement des camps confessionnels au niveau impérial.
  • En 1648, il n’y a aucune victoire nette d’un camp contre l’autre. Au lieu d’imputer des responsabilités, le traité neutralise en termes juridiques les enjeux passés et actuels. Les traités n’attribuent aucune responsabilité de guerre. Placée en tête des traités, la clause d’amnistie décriminalise la violence perpétrée par souci de neutralisation affective de la mémoire collective.

En 1654, le traité est reconnu comme « loi fondamentale » du Saint-Empire. En 1654, on fait donc des traités de Westphalie l’apogée et l’aboutissement d’une série de lois fondamentales qui englobent la Bulle d’or de 1356, la paix perpétuelle de 1495 et la paix de religion d’Augsbourg de 1555.

Par ailleurs, la France se poursuit entre la France et l’Espagne (jusqu’au traité des Pyrénées, le 7 novembre 1659) et la guerre renaît dans le nord et l’est de l’Europe, entre la Russie et la Pologne, et entre la Suède et le Danemark en 1653-1654.

Claire Gantet consacre des développements à la célébration des traités de paix. Aujourd’hui encore, la fête de la paix d’Augsbourg (8 aout), est l’unique jour férié spécifique d’une ville (le 8 août 1629 est la date de l’application de l’édit de Restitution à la ville). La célébration a été essentiellement allemande. Dans l’Empire, plus de deux-cents fêtes ont honoré la paix, avant tout dans les aires protestantes et entre 1650 et 1654.

Enfin, un congrès a lieu à Nuremberg entre avril 1649 et juillet 1650 : on y traite les questions restées ouvertes par les traités de Westphalie. On négocie sur la démobilisation, le montant définitif des « satisfactions » ainsi que sur le retrait des troupes des forteresses particulièrement stratégiques. Les deux textes finaux deviennent des lois d’Empire.

L’auteur essaie de montrer les difficultés à mesurer l’ampleur réelle de la ponction démographique de la guerre de Trente Ans, pour plusieurs raisons  :

  • les régions ont été inégalement touchées par la guerre ;
  • la précarité des données et leur volatilité ;
  • les causes complexes des décès.

Les premières victimes de la guerre sont les soldats eux-mêmes. Les sièges et les batailles auraient fauché en tout 450 000 soldats. La France perd en outre 200 000 à 300 000 soldats dans le cadre de son affrontement avec l’Espagne. La maladie joue son rôle, plus encore que les combats : il y aurait en moyenne trois décès par maladie pour un par combat. Parmi les civils, les morts directs par l’arme sont relativement faibles, à l’inverse de la peur des armées qui fait fuir les populations.

Il faut ajouter à cela le rôle de la peste (1622-1623, 1625, 1634, 1646-1650),  véritable pandémie. Le typhus aussi fait des ravages. Si les mouvements de troupes ne sont pas les seuls responsables de la contagion, ils la démultiplie.

De façon générale, le niveau de population de 1618 n’est à nouveau atteint qu’en 1710-1720 dans l’Empire, avec des fortes disparités locales.

A la pesée démographique s’ajoute un appauvrissement global. Au-delà des vicissitudes quotidiennes, le souci essentiel est la présence lancinante des soldats dans la ville.

Dans sa conclusion, Claire Gantet rappelle que la guerre n’a pas été menée depuis un centre mais s’est déclenchée en Bohême, qui constitue une périphérie du point de vue des institutions impériales. Cependant, la guerre a eu trait au cœur même du Saint-Empire, à savoir la fonction impériale. En acceptant la couronne de Bohême, Frédéric V du Palatinat a osé affirmer une autre autorité. Le polycentrique Saint-Empire a vu se dérouler sur son sol une guerre locale, régionale et transnationale.

La guerre a agrégé des foyers de conflits connexes qui en ont complexifié les enjeux : enjeu de la fonction impériale et des droits des Etats d’Empire (notamment de leurs attributions religieuses), enjeu du statut d’Etats d’Empire particuliers (tel que le roi de Danemark), enjeu de conflits dynastiques(entre le Danemark et la Suède, entre les Bourbons et les Habsbourg) etc. Toute histoire de la guerre de Trente Ans depuis un centre est donc caduque.

Les traités de Westphalie restaurent les institutions d’Empire et laissent des marges de manœuvre à l’empereur. Loin d’inaugurer la décadence d’un Empire qui n’aurait pas su advenir à un Etat moderne, ils modèlent le jeu politique d’un Etat original et reconnu comme tel par les puissances européennes.

La dimension médiatique est une incontestable nouveauté de la guerre de trente Ans : malgré l’appauvrissement qu’elle suscite, la guerre provoque un essor sans précédent de l’écriture (dépêches militaires et diplomatiques, chroniques et journaux intimes), de la presse imprimée ainsi que des feuilles volantes et gravures commentées.

Une autre nouveauté de la guerre de Trente Ans est le financement des armées : l’ampleur des ponctions sur les populations est inédite. Le principe des contributions instaurées par Wallenstein sont ensuite adoptées par tous les belligérants. Personne, ou presque, n’ayant les moyens de financer les armées, tous procèdent à une dévolution à des entrepreneurs de guerre.