Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales. Prépa ENA – EMIA

Ce 36ème numéro de la revue Questions internationales qui est l’objet d’un compte rendu régulier sur ce site vient à point nommé pour éclairer les débats actuels sur l’Union pour la Méditerranée. Il s’agit de l’un des thèmes, parmi d’autres, abordés par l’actuel président de le république au début de son quinquennat.
Ce numéro thématique vient également apporter des éléments d’information pertinents sur cet espace qui figure au programme des classes de terminale en géographie.
La Méditerranée est certes une interface Nord Sud, mais c’est aussi un espace de civilisation, le point de contact de trois continents et aussi un espace conflictuel.
Comme l’affirme Serge Sur, le rédacteur en chef dans son éditorial, la Méditerranée est également fragile du fait des des fortes densités humaines qui bordent ses rivages. Dans l’entretien qui ouvre ce numéro, Jacques Huntzinger. Ambassadeur de France, et en charge du volet culturel de l’Union pour la Méditerranée, il présente les cadres historiques et civilisationnels de cette Union. Le mare nostrum des romains a été la seule expérience réussie d’Union sous l’autorité bienfaisante de l’Empire, surtout après l’Édit de Caracalla. Cet espace est divisé en quatre, l’Europe, le monde arabe, l’espace israélien et la Turquie. On pourra évidemment discuter cette affirmation qui a toutefois le mérite de poser des cadres. La Méditerranée est également la zone de fracture la plus importante du monde. Le rapport est de un à dix pour le PIB par habitant entre le Sud et le Nord, tandis que le taux de chômage est de un à trois. De 10 % à 30 %.
Pour cet auteur, la différence se fait aussi du point de vue de la laîcité. AU nord, on assisterait à un recul de l’influence religieuse, tandis que le Sud serait maqué par une présence accrue de la religion dans l’espace public. Pour autant, il faut constater que le désir d’Occident est fort au Sud tandis que les comportements démographiques ont tendance à se rapprocher. Dans cet espace, la puissance mondiale est de plus en plus présente tandis que s’efface peu à peu l’influence des principales puissances coloniales d’Afrique du Nord et du Proche-Orient.
Le bilan de l’ambassadeur à propos de l’Union pour la méditerranée est largement mitigé. Pour le dialogue politique, c’est un échec, lié à la persistance du conflit israélo-palestinien. Pour le dialogue économique, le libre échange est loin de faire l’unanimité, mais est-il finalement souhaitable ? tandis que le volet culturel de l’Uion demeure, mais cela n’est pas étonnant, le parent pauvre.

Georges Corm, l’historien libanais, dans son article sur Histoire mémoire en Méditerranée évoque pour sa part le choc des traumatismes. Certes, l’espace est aussi bien un carrefour stratégique et un réservoir énergétique, mais il est aussi le creuset des mythes fondateurs des trois monothéismes, et de ce fait, le support du retour du religieux. Ce point de vue sera nuancé même si l’espace méditerranéen demeure le chaudron des violences identitaires.
On appréciera ce point de vue toujours stimulant intellectuellement lorsque Georges Corm explique la double fracture. Celle générée par le pan-islamisme et cele liée ua conflit israélo-arabe.
On ne pourra qu’approuver cette affirmation selon laquelle l’histoire est le remède au gonflement dogmatique de la mémoire.
À propos de trous de mémoire, Corm en évoque deux. Celui de l’oubli de Byzance, qui a quand même duré dix siècles après la chute de l’Empire romain d’Occident et celui de la philosophie arabo-islamique qui ne se limite pas à à la philosophie grecque reprise par les arabes.
Les souvenirs traumatiques comme les Croisades, ont pris le pas sur les souvenirs heureux. À cet égard, ne pourrait-on pas considérer, comme l’auteur dans l’un de ses ouvrages, le Proche Orient éclaté que la Pax ottomanica a été aussi une période de stabilité en méditerranée orientale ?
Enfin, le souvenir de l’holocauste est toujours payé par les palestiniens. Encore un souvenir traumatique qui rend difficile le rapprochement des points de vue.

L’archéologue François Baratte évoque pour sa part, le problème du patrimoine commun, qui a été longtemps l’objet d’une appropriation coloniale. Il est aujourd’hui, malgré une prise de conscience somme toute récente l’objet de conflits liés à des intérêts mercantiles mais aussi idéologiques comme en Israël. Que l’on pense aux tombeaux des Patriarches, ou aux enjeux liés à la question du Mont du Temple ou du Rocher à Jérusalem.

On attendait évidemment Yves Lacoste dans ce numéro, après la parution de sa géopolitique de la Méditerranée dont nous avons modestemet rendu compte dans ces colonnes. http://www.clionautes.org/?p=1258
Yves Lacoste revient sur cet espace géopolitique en précisant toutefois cette notion qui a refait surface en France en 1979 à l’occasion du conflit khméro-vietnamien. La méditerranée est aussi un espace de fracture géophysique une zone de dangers climatiques et telluriques et à terme le problème des réfugiés climatiques et de l’hydroconflictualité sera évident dans la zone. Il a déjà commencé entre la Syrie et la Turquie et bien entendu, avec les eaux du Jourdain, entre israéliens et palestiniens.
Pour toutes ces raisons, la Méditerranée est un espace géopolitique conflictuel, dont l’évolution dépend des relations qui seront nouées avec le monde arabo-musulman. Pour l’Union pour la Méditerranée il s’agit selon l’auteur d’un avatar du partenariat dont les bases ont été posées à Barcelone. ( Medea) qui a été un fiasco en 2005 et qui n’a pas été relancé vraiment avec l’Union pour la Méditerranée.

Chargée de recherche au CNRS, Vanessa Richard propose également une synthèse sur les problèmes environnementaux dans cet espace qui voit passer 30 % des flux pétroliers mondiaux. Les dégazages en mer représentent tous les ans quatre naufrages de l’Érika et la Méditerranée est également affectée par la pollution industrielle des fleuves du Nord.
La querelle du thon rouge vient d’ailleurs rappeler que les enjeux sont également liés à la survie des espèces animales et aux pressions des différents lobbies qui défendent des intérêts spécifiques.
La pression démographique, le fait que 30 à 70 % des populations de la rive Sud ne sont pas raccordés à un système de traitement des eaux usées vient également aggraver le problème.

Jean-Paul Pancracio, évoque la Méditerranée comme un espace maritime juridique singulier. Son nom même est devenu un substantif, désignant les mers fermées et semi fermées où les zones territoriales, économiques et autres se recoupent souvent, entrainant des litiges parfois complexes. Cet espace vaste, de 2 600 000 km² est en même temps fragmentés en mers particulières tandis que le nombre importants d’îles et d’archipel étend les eaux territoriales des États qui y exercent leur souveraineté.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les États ont renoncé à la notion de ZEE, les fameux 200 milles marins. En fait, malgré certaines tensions, on pense au Golfe de Smyrne avec la Libye, les États ot mis en place des dispositifs de coopération adaptés à l’étroitesse des espaces considérés. Le droit de plateau continental qui permet de dépasser les 12 milles marins de la mer territoriale est limité à six milles en mer Égée.
De ce fait, un droit maritime particulier est en gestation en méditerranée même si les délimitations de zones de pêche donnent toujours prétexte à des confrontations de basse intensité.

Pour toutes précision sur ce sujet, on pourra consulter avec profit l’atlas des espaces maritimes dont il a été rendu compte sur ce site.
Didier Ortolland – Jean Pierre Pirat
Atlas géopolitique des espaces maritimes
Frontières, énergie, pêche et environnement, Éditions Technip Mars 2008

http://www.clionautes.org/?p=1851

Pour terminer cette recension, on citera l’article passionnant de Thierry Baudouin qui traite la Méditerranée dans la mondialisation, hubs, villes portuaires et pôles.
Cela permettra d’actualiser les cartes que l’on trouve dans les manuels du secondaire qui ignorent parfois des installations portuaires comme Marsaxlokk sur l’île de Malte ou Gioia Tauro http://www.informare.it/harbs/gtauro/indexfr.asp. Ce qui est en jeu pour les ports de Méditerranée est bien celui de la captation de ce trafic qui est encore largement focalisé vers le Northern Range, très présent lui dans les manuels. Marseille, disposant d’un axe de pénétration au cœur du continent doit impérativement mettre en œuvre une politique de coopération avec Gênes et Barcelone, dans le cadre de ces autoroutes de la mer qu’il faudra bien promouvoir pour éviter l’engorgement routier et autoroutier des littoraux. Ce qui permettra à l’auteur de ces lignes de rouler plus confortablement en moto sur l’autoroute A9 entre Arles et Barcelone, sans slalomer dangereusement entre les camions italiens et espagnols qui assurent la liaison entre ces deux pôles !

Sommaire

La Méditerranée : un avenir en question Ouverture. Une seule mer pour plusieurs rivages par Serge Sur

La Méditerranée d’une rive à l’autre Entretien avec Jacques Huntzinger

Histoire et mémoire en Méditerranée. Le choc des traumatismes par Georges Corm
La Méditerranée, espace géopolitique par Yves Lacoste

Un espace maritime juridique singulier par Jean-Paul Pancracio

Du processus de Barcelone à l’Union pour la Méditerranée changement de nom ou de fond ? par Dorothée Schmid
Le retour de la dimension humaine par Jean-Robert Henry

Vers une convergence démographique entre les rives Nord et Sud par Youssef Courbage

L’Euro-Méditerranée, réponse à la crise économique par Pierre Beckouche

Risques et menaces sécuritaires : des perceptions divergentes par Stéphane Delory
Et les contributions de : Sébastien Abis, François Baratte. Thierry Baudouin, Ali Bensaâd, Pierre Blanc et Vanessa Richard

Questions européennes
République tchèque : une présidence européenne sous pression par Elsa Tulmets
Le régime linguistique des institutions de l’Union européenne le droit… et la pratique
par Claude Truchot

Regards sur le monde

La Bolivie d’Evo Morales instabilité politique et réorientation diplomatique par Jean-Pierre Lavaud

Les portraits de Questions internationales
Gustave Moynier, pionnier méconnu de l’action humanitaire et du droit international humanitaire par Philippe Ryfman