Avec cette réimpression (l’ouvrage original de 2002 est épuisé), c’est un travail imposant qui nous est livré : imposant par les sources que l’auteur a compulsées pour nous livrer cette étude. Imposant aussi pour la connaissance des années pré-révolutionnaires, au travers du prisme des conflits. Il se distingue des travaux de l’école anglo-saxonne (et plus particulièrement ceux de Charles Tilly). En effet, ceux-ci relèvent d’une démarche systémique, qui vise à appréhender les conflits dans leurs invariants. La démarche et le travail de jean Nicolas sont tout autres. Cela fourmille de précisions !

Le thème, central et unique de cet ouvrage est la rébellion -cas de violence collective caractérisée – en France sous l’Ancien Régime dans toutes ses formes, ses degrés sa durée et ses lieux avec ses messages clairs et ses non dits.
Tout au long du livre on va et on vient à travers 120 ans d’histoire au gré des points étudiés et mis en avant par l’auteur.

« l ‘étude du désordre »

Dans un premier temps, Jean Nicolas pose les bases sémantiques de l ‘enquête. Les différents termes qu’englobe le mot rébellion sont classés par importance ou intensité des troubles. Ce chapitre décrypte également le vocabulaire de la rébellion tel que l’auteur va le rencontrer dans les archives, fonds administratifs et judiciaire et témoignages tout en tenant compte des particularismes régionaux. En résumé, une émeute est un événement différent suivant le temps, le lieu et l’auteur qui la décrit.
Le principal coupable de ces innombrables émeutes est promptement identifié et disséqué : l’impôt direct et indirect – sel, tabac, ferme générale (aide, traite, formalité) et prélèvements municipaux – avec de grandes disparités en fonction des régions même proches. De 1660 jusqu’en 1788 les impôts vont augmenter de façon très importantes, et comme « il est essentiel de préserver les dispositifs qui alimentent le Trésor Royal et les finances locales la lutte contre la fraude est un objectif prioritaire. » L’échelle des sanctions déjà très lourde croît avec la hausse des impôts et les armes du processus répressif sont les tribunaux d’exception, des pouvoirs de justice donnés aux prévôts puis les Commissions. La principale source des troubles, est identifiée, la contrebande. « Les Fraudeurs et contrebandiers étaient immergés dans le milieu ambiant dont ils recevaient constamment sympathie et soutien actif. La crainte de la répression ne réussissait pas à les couper de leur base ni à réduire une solidarité ressentie comme naturelle. » Ces mouvements vont concerner davantage villes et bourgs que les villages. « L’archétype de l’affrontement urbain fait intervenir les ingrédients ordinaires : une foule qui gronde et s’enfle, des commis pris en chasse, l’attaque du bureau fiscal, du poste de garde ou de la prison, les détenus libérés, parfois la reprise des marchandises saisies ».

« uni contre les fermes »

« Si, dans les couches populaires, l’ordre fiscal était mal intériorisé, les élites n’en faisaient pas non plus un point de morale. […]. Les comportements collectifs de résistance ouverte ou couverte n’auraient pas été concevables hors d’un esprit de communauté auquel adhéraient peu ou prou les membres importants des trois ordres. Jouissant eux-même d’une immunité relative en matière de gabelle, ils jugeaient sans sévérité la délinquance populaire, et parfois lui prêtaient main forte ».
La suite de l’enquête nous entraine dans le dédale des projets de réforme de l’impôt direct qui se succèdent pour lui substituer progressivement un jeu de contributions mieux réparties sur tous les habitants du royaume mais qui ulcère la noblesse et tous ceux qui bénéficient de privilèges, obligeant chaque imposable à rédiger une déclaration détaillée de ses biens.
Toutes ses réformes sont perçues différemment en fonction des lieux engendrant ici ou là des heurts et des rébellions, contre ceux qui sont soupçonnés de freiner la mise en place ou au contraire contre les autorités chargées de les prélever.

« la seigneurie contestée »

Le point suivant concerne les rebellions anti-seigneuriales. Les privilèges liés ou octroyés aux seigneuries sont contestés et mettent aux prises paysans et seigneurs. Droit collectifs, de coupe ou de dépaissance contre droit de triage et droit de plantis pour les seigneurs. Dans un degré moindre le paiement des redevances qui engendrent plutôt mauvaise humeur et chicane que révolte.
Sur cette période une rénovation du cadastre, des fiefs et des seigneuries provoquent également de nombreux troubles partout en France, avec suivant les lieux et les cas toujours des fluctuations d’alliance paysans et clergé unis contre seigneurs et représentants légaux, paysans et représentants légaux contre seigneurs et clergé …
Droit de chasse et droit de pêche et leur pendant le braconnage donnent lieu tout au long du siècle à quelques scènes de rébellion mais mais rarement d’une ampleur phénoménale.
Globalement le territoire est coupé en deux : le Sud-Est et le Centre Est où le principe « Nul seigneur sans titre » détermine la conduite et où il est demandé au seigneur leurs preuves. En l’absence de document incontestable, la population se considérait comme franche et prenait le risque de refuser de payer. Au Nord, à l’Ouest et au Nord-Ouest, le principe est « nulle terre sans seigneur » (le seigneur n’a aucun besoin de titre pour être reconnu), un nombre moindre de rébellions a été recensé ».

« Jours sans pain »

L’enquête nous entraine par la suite sur les traces des émeutes dites de subsistance. Sont recensés, celles contre la cherté, contre l’accaparement et contre l’enlèvement (le départ des grains). Tout au long de la période « il y a une permanence de l’inquiétude avec deux pics majeurs en 1709 et 1789. Les crises se succèdent et se rapprochent dans la seconde partie du siècle 1766, 1768, 1770 et 1775. La coïncidence est frappante entre les révoltes et l’envolée des mercuriales ». L’étude montre que le Nord de la France est beaucoup plus sujette aux émeutes de subsistance que le Sud.
L’étude s’intéresse par la suite aux auteurs de ces émeutes de la faim. Quel est le sens et les messages qui sont délivrés ? Elles ont majoritairement lieu en milieu citadin et sont à 70% l’affaire des femmes. « Elles sont chez elles dans la rue et dans les marchés, elles ont le nombre et la disponibilité ». Les autorités s’acharnent à trouver des responsables mais le peuple est solidaire. Malgré tout quelques personnages émergent et sont reconnus comme chefs, ce sont en général des hommes.

Le premier message n’exprime d’abord rien d’autre qu’une volonté de survie. L’argent et le profit sont diabolisés, « tuer les riches » est comme une rhétorique de fond qui imprègne la société de la base au sommet. Le discrédit pèse sur le négoce du blé à tous les niveaux, ce qui se retrouvent même fréquemment dans les correspondances officielles et les écrits judiciaires.

Les conflits autour du travail apportent également leur lot d’émeutes et de rébellions. « Avec sa hiérarchie de salaire et son éventail d’activité, de l’atelier à la manufacture ou à la grosse exploitation agricole, tout ici nous parle familièrement, les acteurs, les enjeux, les situations ». Aussi n ‘était on pas surpris de découvrir que les motivations dominantes pour les conflits de travail sont l’emploi, les salaires, la liberté du travail, les conflits internes comme les rixes compagnonniques et les grèves agricoles. « La grève constitue la réponse quasi unique, grève de prospérité qui correspond en général à une demande de hausse des salaires ou grève de marasme qui au contraire correspond à des licenciements ou des baisses de salaire ».

Un grand nombre d’affaire ont leurs racines non dans l’intérêt immédiat, mais dans la sphère de l’affect. « Il s’agit d’impressions provoquées par des scènes fortes, de sentiments moraux violés par l’imposition brutale de l’ordre, de frustrations individuelles débouchant sur une colère libératrice».
On touche du doigt un phénomène primitif et irrépressible l’instinct même du refus, exacerbé par l’entité collective. Vitalisme libertaire qui a le plus souvent pour principe l’humiliation , l’image de soi atteinte et dégradée par le mépris et les souffrances du corps asservi et frappé. Opération de police, ordonnances royale telles celles ordonnant la déportation des vagabonds vers les colonies sont avec les révoltes des mendiants les principales causes de ces émeutes ». Sur cette période la cruauté des pratiques judiciaires entrainent de nombreuses attaques de prisons (28 recensées), des mutineries de prisonniers et des révoltes de convoi de détenus. Ces rebellions dites de dignité et de liberté sont examinés sous un 3em angle, celui de l’armée. On fourmille d’exemple de révoltes lors des levées de soldats. Sur cette période la France a participé à 9 guerres soit un total de 57 années de belligérances. Il y a également des rebellions contre les taxes liées aux recrutements et les frais et dégâts entrainés par la présence ou le passage de troupe.
Au cours du siècle la population va croitre de plus de 25% avec pour conséquence une augmentation de nombre de cadets qui seront contraints à des modes de vie non désirés. Ce phénomène ms en conjonction avec un niveau général d’instruction qui s’élève et un accroissement de l’exode rural vers Paris et les centres urbains vont engendrer une augmentation notable des rebellions individuelles.

« l’espace du sacré »

« Une étude des fonctionnements et dysfonctionnements sociaux qui ne donnerait pas sa place au spirituel apparaitrait incomplète et boiteuse ». Le thème de cette dernière partie porte sur l’étude des rebellions liées aux mutations religieuses de cette période. Il y a d’un côté une multitude d’incidents autour d’une procession, d’une chapelle, d’une tombe ou d’un clocher, de l’autre les grands conflits liés aux hérésies, Réformes et jansénisme.

Il ne reste plus à Jean Nicolas qu’à tirer les conclusions de cette longue (plus de 800 pages), pertinente et passionnante étude qui montre la dégradation continue du climat relationnel des le second tiers du XVIII ème siècle tous types d’actions confondues et qui permet de mieux cerner les causes, soubresauts et convulsions qui ont amené à la chute de l’Ancien Régime. Peut être pourra-t-on regretter l’absence d’une partie qui permette d’avoir dans leur globalité et leur temporalité l’ensemble de tous ces dysfonctionnements.

Toutefois, cet ouvrage est indéniablement de ceux qu’il faut avoir dans sa bibliothèque.

Gwenaëlle Renault © Clionautes