La Maison des Sciences de l’Homme Claude Nicolas LEDOUX publie aux Presses Universitaires de Franche Comté les actes d’un colloque qui s’est tenu en novembre 2003 à Besançon. Ce colloque s’organisait autour de la problématique de la mémoire de l’industrie et plus particulièrement le passage de l’usine au statut de patrimoine.

Lors de ce colloque, Jean – Claude DAUMAS, professeur d’histoire économique à l’université de Franche-Comté, spécialiste de l’histoire des entreprises et des branches industrielles (industrie de la laine, du drap…), a réuni une trentaine d’intervenants issus d’horizons divers : historiens, philosophes, anthropologues, architectes, conservateurs, industriels, chercheurs, de nationalité différente… Ces travaux pluridisciplinaires ont permis, lors de ce colloque, de se poser la question de la définition de patrimoine industriel (à comprendre dans un sens large : du Moyen Age à nos jours) et de sa prise en compte en tant que tel.

C’est pendant la crise des années 1970 et le début de la désindustrialisation que l’on a pris conscience de la nécessité de préserver le patrimoine industriel français. Cette prise de conscience française est plus tardive qu’en Grande Bretagne. 1983 marque une date importante dans ce processus puisque cette année correspond à la création de la « cellule du patrimoine industriel », auprès de l’inventaire Général des monuments et richesses artistiques de la France. Toutefois, la place du patrimoine industriel est à relativiser. En effet, ce dernier n’occupe que 1,7% des monuments protégés et on continue de détruire des bâtiments, témoins de l’âge industriel.

Les trois jours du colloque ont, chacun, été réservés à l’étude d’un thème plus particulier.

La première journée a été consacrée à la question de la patrimonialisation de l’héritage de l’industrie. Le processus de patrimonialisation est un phénomène complexe, qui ne s’enclenche pas partout. Pour que ce processus s’engage, il faut, à la fois, que la communauté ouvrière cherche à transmettre une mémoire collective et que des conditions économiques, politiques et sociales soient réunies.
Cette patrimonialisation de l’héritage industriel ne va pas de soi. Très souvent, les élus ont tout fait pour faire disparaître les friches industrielles en faisant « table rase du passé ». C’est ainsi que le paysage industriel de Longwy a été liquidé entre 1978 et 1987 pour laisser place au PED (Pôle Européen de Développement) des Trois Frontières. Toutefois, dans ce cas, la mémoire de l’activité industrielle n’a pas complètement disparue. Dès 1981, sous l’impulsion d’un jeune professeur d’histoire, Gérard NOIRIEL, un travail de collecte de témoignages (oraux, écrits, photographiques) a été mis en place et s’est concrétisé par la publication d’une revue HistoireS d’ouvriers.
La préservation des lieux industriels est rarement le fait des entreprises elles-mêmes. Paradoxalement, les industriels ont tardivement été associés à la patrimonialisation. Pour une entreprise, la destruction de locaux obsolètes est la solution la moins coûteuse. Le temps de l’entreprise s’accommode mal du temps nécessaire à une collectivité territoriale pour mettre en œuvre les moyens de reprendre à son compte les locaux industriels pour les préserver (en moyenne : 10 ans).

Lors de la deuxième journée, les intervenants se sont intéressés aux usages du patrimoine industriel, une fois reconnu comme tel. De nombreux locaux industriels sont convertis en musées de l’industrie. C’est souvent le premier usage. Ainsi, dès 1830, le Musée de l’impression des étoffes à Mulhouse est créé. Le Musée est vu comme une vitrine. On retrouve ce phénomène à Lyon, Saint Etienne. D’autres musées sont mis en place au moment où l’activité disparaît (1984 : Musée de la Mine à Lewarde). Dans ce cas, le défi est de dépasser l’aspect émotionnel du lieu et d’apporter au public une information scientifique.
Toutefois, toutes les usines ne peuvent pas devenir des musées. Il faut trouver un compromis entre le passé et le présent. C’est pourquoi les sites industriels s’inscrivent, de plus en plus, dans une démarche de dynamisation territoriale et de développement local. Ils accueillent la conservation des archives, des espaces de création d’art contemporain, des pépinières d’entreprises, des espaces d’expérimentation et d’innovation. D’autres sont transformés en logements sociaux. L’idée n’est pas de mettre en avant un paysage relique mais un paysage vivant. Il a la volonté d’aménager et de renouveler le territoire.

Cette question est particulièrement cruciale en ce qui concerne l’avenir des usines Renault à Billancourt. Depuis 1989, date de l’annonce de la fermeture de l’usine pour 1992, une nouvelle histoire s’écrit : non plus celle des usines mais celle du patrimoine industriel, culturel et urbain de Renault. L’enjeu pour les élus est de décider quoi faire des 65 ha anciennement occupés dont l’Ile Seguin n’est qu’une infime partie. On assiste, depuis 1992, à un effacement de l’histoire industrielle de Billancourt. « Boulogne assassine Billancourt ! » s’écrit Jean NOUVEL en 1999. La politique de la table rase patrimoniale (déjà mise en œuvre avec les Halles) a eu raison de Billancourt, la forteresse ouvrière. L’abandon, en 2005, du projet de fondation d’Art Contemporain par Pinault n’a rien changé au mouvement en œuvre.

La dernière journée du colloque a consisté en une réflexion sur le patrimoine industriel comme matériau pour l’histoire. Les intervenants insistent sur le fait qu’il ne faut pas se limiter aux bâtiments encore présents. De nombreuses activités industrielles n’ont pas laissé de traces (ex : Domestic System). D’autres ont su se renouveler et adapter leurs locaux et leurs machines au fur et à mesure des innovations. C’est la preuve de leur dynamisme. Les historiens peuvent utiliser, avec précaution, les œuvres d’art présentant des bâtiments industriels ou le travail industriel. Par ailleurs, ils doivent aussi être prudents dans la manière dont on a transmis ce patrimoine. Ainsi, Gracia DOREL – FERRE met en garde, dans son article, contre la singularité du modèle utopique développé par C. N. LEDOUX aux Salines d’Arc-et-Senans. La pratique des colonies industrialo-agraires est répandue dès le XVIII° siècle, partout en Europe. Il faut, d’ailleurs, redonner sa juste valeur à l’utopie. La présentation actuelle du lieu comme projet de cité idéale gomme toute référence à l’espace ouvrier et à la technique industrielle. La patrimonialisation a transformé la manière de voir ce lieu.
L’enjeu, pour l’historien, est de dépasser le culte nostalgique mis en place.

Ces actes de colloque rassemblent des articles brillants, très bien écrits. Toutefois, comme le souligne Denis WORONOFF dans la conclusion du colloque, on peut déplorer une certaine tendance à la monographie. Il insiste sur la nécessité de changer d’échelles pour faire une synthèse. Les organisateurs ont pourtant eu le souci de présenter un éventail très large du sujet, appuyé par les interventions d’auteurs venus d’autres pays.

La lecture de cet ouvrage prend place dans le nouveau programme de première STG (chapitre : Mutations et diffusion du modèle industriel). Même si ce dernier s’arrête en 1950, une réflexion sur le patrimoine industriel vient, à mon sens, particulièrement s’inscrire à la fin du chapitre, à titre d’ouverture à la réflexion.

Au delà, la thématique du patrimoine industriel peut trouver sa place dans les programmes de 4°, de 1° et en 3° (dans le cadre de l’option découverte professionnelle 3 heures), en histoire. Mais, ce thème est aussi stimulant à étudier en géographie dans l’optique de l’aménagement du territoire.

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