L’auteur, Benjamin Joinau qui habite à Séoul depuis 1994 où il mène depuis la fin de sa carrière universitaire une double vie de restaurateur et de critique littéraire,, souhaite combattre les préjugés que les occidentaux projettent sur cette cité. Il retrace l’historique de la ville qui explique que la forteresse primitive ait laissé la place à une ville qui s’étale dans toutes les directions. Ville triste, qui ne s’amuse pas jusque dans les années 1990. elle est donc paradoxale.
Séoul est une des villes les plus industrieuses du monde où la compétition est vive même dans la guerre. Les villes satellites ont concentré la population. Dans les années 1990 près de deux millions d’habitants se sont déplacés vers ces « fronts pionniers urbanistiques ». Mais surtout, ce qui frappe l’auteur c’est la démocratisation que la crise de 1997 a accéléré « c’est pourquoi le mot qui pourrait résumer ce que vit maintenant la Corée, c’est la participation. » (p.81).
La séquence 1, « Le renouveau du communautaire », s’ouvre sur la rencontre avec des alter-mondialistes ou des personnes qui ont permis une évolution significative de la société coréenne ou ont accompagné sa récente démocratisation. Choe Yeol, écologiste, dirige la « Green Foundation » et symbolise le pouvoir grandissant les ONG coréennes. La ville la plus polluée du monde est en passe de devenir une ‘ville habitable’. Sa stature d’opposant emprisonné sous la dictature lui confère une aura peu commune dans nos sociétés occidentales. Une autre figure centrale de ces changements est l’icône des Gays, Hong Seok-cheon, animateur vedette qui fut le premier à faire son coming-out bousculant ainsi la société qui maintenait les homosexuels dans un ostracisme social total.
Même ceux qui pourraient apparaître comme le produit du capitalisme à la coréenne proposent une solution alternative pour accompagner ces changements. Choe Jin-su, pdg d’une entreprise de livraison de repas, prône un capitalisme responsable et durable, à l’encontre des idées reçues. L’école n’échappe pas à cette lame de fond. L’auteur rend compte aussi de sa rencontre avec Ju Chang-bok qui fut à l’initiative de la création d’une école alternative loin des normes de la très conservatrice Corée du Sud. Il « souhaite donner aux élèves le sens de la communication et du réel loin des histoires clinquantes des réussites instantanées ».
La séquence 2 : « Les acteurs de la scène alternative » et la séquence 3 « L’ouverture sur la scène internationale » illustrent parfaitement les paradoxes de la culture coréenne.
De courts portraits permettent de partir à la découverte de la ville et des ses quartiers « branchés » comme celui d’Itaewon.. Mais ils sont aussi et surtout l’occasion de découvrir ceux qui « font » la culture alternative dans la Corée contemporaine. Leur lien avec la mondialisation culturelle est forte comme le prouve le portrait d’un galeriste qui veut sortir l’art dans la rue ou celui de Cho Mi-Hee, artiste-activiste au parcours atypique. Fille adoptée par des belges, elle redécouvre depuis une quinzaine d’années son identité et combat les préjugés et la raideur de la société coréenne. Mais c’est aussi l’ouverture au monde qui est indissociable à la connaissance de l’art. Ainsi un des portraits les plus convainquant est celui de Kim Hank, libraire au centre-ville. Il diffuse auprès des étrangers vivant à Séoul une lettre d’information pour ce qu’il y a à faire, à voir, à manger dans le pays. Il est ainsi une sorte d’ambassadeur atypique de la richesse de la culture coréenne et précise : « Dans la guerre qui a lieu à l’échelle mondiale entre les pays pour s’imposer sur la scène internationale et y occuper la meilleure place, je dois faire connaître le mien, et la culture en est la meilleure arme » (p.133).
La Séquence 4, « la réinvention de la ville et de ses usages » participe à cette découverte de Séoul et de ses spécificités et propose d’illustrer comment la ville est entrée dans la mondialisation occidentale et cherche encore à trouver son identité. La construction immobilière est au cœur de ce néo-modernisme coréen. L’auteur choisit d’inaugurer cette partie par l’activité de Raemia, qui construit de 10 à 15000 foyers par an et est la propriété d’un des chaebol les plus connus, Samsung, qui propose une vision idéale de la cité et de l’habitat en « offrant » aux futurs habitants choix et variétés de conceptions tout en intégrant l’ensemble dans la nature. Les doutes concernant les projets du groupe comme de la façon dont a été traité l’interview contraste avec l’interview passionnante de Baek Seung-man, responsable de projets d’urbanisme qui propose une vision « radicalement novatrice de la ville ». Ce dernier est chargé, entre autres, de coordonner les quelques cinquante projets qui longent les vingt kilomètres du fleuve Han dans la ville. Ces berges ont été développées pour répondre aux problèmes structurels du transport , elles sont aujourd’hui repensées pour répondre aux besoins d’espace vert des citoyens. Cette séquence donne aussi à comprendre la création futuriste, en liaison avec le MIT, de la Digital Media Center, véritable ville dans la ville et symbole de la post-modernité coréenne. L’auteur rappelle le goût des coréens pour les technologies de l’information : 80% des coréens sont connectés et parmi les cent premiers sites internet mondiaux, soixante-seize sont coréens. Ce projet complexe, bien que repoussé, n’en reste pas moins comme le symbole architectural, économique et social du futur Séoul.
Enfin la séquence 5 « La tradition revisitée » affine cette vision contrastée de l’ensemble et replace Séoul dans une perspective de l’entre-deux. Serait-elle une « ville désordonnée » comme l’affirme l’historien Lim Jie-hyun ? ou une ville sans âme rappelant que peu d’habitants y résident depuis plus de trois générations ? C’est plutôt la première solution qui a les faveurs de l’historien : « cette ville me rappelle la Pologne dans son aspect dramatique et désordonné. Elle se situe aux antipodes de l’Europe du Nord policée et de ses paradis ennuyeux ». Cet impression de « chaos » est partagé par la plupart des interviewés. Le retour de la tradition dans la post-modernité coréenne se juge aussi par le renouveau de la mode, avec le hanbok, l’habit traditionnel, ou dans l’habitat avec le hanok, la maison traditionnelle coréenne.
La Postface clôt l’ouvrage sous la forme de regards croisés et contrastés de deux habitants célèbres de la ville. Le premier, Lee Chang-dong, ancien ministre de la culture en 2003-2004 et écrivain et réalisateur reconnu et populaire qualifie Séoul de « ville en chantier depuis trente ans » comparable à un « zoo ». Il est rejoint sur ce point par Lim Ok-sang, artiste engagé, pour qui la ville est le symbole même de l’argent-roi : « l’argent décide, permet, contrôle tout sans honte ». Mais, les deux acolytes se rejoignent pour dire que la conjonction des millions d’âmes de la cité « exerce une séduction indéniable ».
Les portraits de Benjamin Joinau sont nerveux, parce que courts, attachants et symboliques.
Les magnifiques photos de Kang Yeon-Uk illustrent parfaitement ces contrastes entre traditions et modernité.
L’auteur nous propose une vision décalée de la Corée du Sud résumée ici par Séoul, celle où la famille et la réussite représentent le cœur même de la société coréenne mais que la démocratisation en cours remet en question ou tout du moins interpelle. En effet, citant Choe Jin Sun (p.54), l’auteur nous donne à voir une autre vue des rapports de la famille nucléaire : « Il déteste les parents qui lèguent tout leur capital à leurs enfants. Selon lui, les enfants doivent hériter d’un esprit, pas d’un bien. ».
L’ouvrage présente un plan des quartiers de la ville, de petites notices biographiques mais aussi une bibliographie. Mais, c’est surtout la filmographie qui est intéressante preuve du foisonnement de cette ville qui, une fois le livre fermé, mérite d’être mieux connue.
Utile pour les enseignants que nous sommes pour approcher la réalité d’une ville au plus près, l’ouvrage est avant tout destiné à un public féru de découvertes sociales, architecturales, économiques et culturelles.
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