Dans son petit ouvrage, Le textile dans le Nord, l’auteure Isabelle Leclercq se propose d’offrir un vaste panorama des réalités de l’activité textile dans le nord de la France à travers une vaste collection de deux cents cartes postales.
Le propos s’articule autour de six grands thèmes intitulés respectivement « un siècle d’aventure industrielle », « les fibres et les métiers du textile », « dynasties du textile : des pionniers au héritiers », « les ouvriers entre l’usine et la courée », « les combats et acquis sociaux » et « le paysage industriel ».
Après un rapide propos liminaire sur les villes drapières du nord, la première partie évoque la mécanisation de l’activité textile et l’importance acquise par l’activité dans le Nord. En 1913, ce territoire assure 90 % de la production nationale de lin, 40 % du « potentiel français » pour la laine ainsi que pour la filature de coton et 30 % pour les tissages. Roubaix et Tourcoing acquièrent une telle place dans la production lainière qu’elles reçoivent le surnom de « Manchester de France ». La Grande Guerre porte un coup terrible au textile du Nord et aura pour conséquence des restructurations. Un patron comme Jean Prouvost, créateur de la Lainière à Roubaix, fait de son entreprise la première filature d’Europe avant le second conflit mondial.
La seconde partie mentionne les fibres travaillées et les activités liées aux métiers du textile : peignage de la laine, filatures, tissages. Le tulle et la dentelle avec les villes de Caudry et de Calais sont également évoquées, tout comme les teintureries et la vente par correspondance (La Redoute et les Trois Suisses).
La troisième partie est consacrée aux grands patrons de l’univers du textile comme Les Prouvost, créateurs de La Lainière, Eugène Motte à Roubaix qui occupa également des fonctions politiques ou encore Auguste Lepoutre. Les alliances matrimoniales, la formation et le mode de vie des ces grands bourgeois sont également l’objet de développements, avec notamment de très belles vues des grands hôtels particuliers qu’ils se font construire le long des boulevards ou dans les territoires ruraux avoisinants les villes de leurs unités de production.
La quatrième partie s’attache à présenter les conditions de vie des ouvriers et leurs statuts. Un rappel des conditions d’exercice est effectué : travail pénible, dangereux et mal rémunéré (l’ouvrier travail dix heures et est très souvent payé au rendement) accompagné d’un réelle misère sociale.
Les grandes grèves de 1903 à Armentières, de 1907-1908 à Hazebrouck et de 1909-1910 à Lille sont le reflet des tensions sociales pouvant exister et de la nécessité d’un mieux-être des prolétaires.
Au sein de l’atelier existe une hiérarchie ouvrière. Les mieux rémunérés sont les trieurs de laine ou les tullistes. Viennent ensuite les fileurs, les teinturiers, les tisserands et les peigneurs de laine. En « bas de l’échelle » figurent les « rattacheurs et bacleurs » et les femmes. L’auteure rappelle que « le travail féminin représente 60 % de la main d’œuvre des filatures de coton à la fin du XIXe siècle (p.52) ». Les Belges qui viennent travailler dans les filatures (entre 1850 et 1914, 400000 Belges migrent vers les villes industrielles du Nord) sont souvent employés aux tâches les plus pénibles et ils sont de surcroît victimes du racisme de certains ouvriers. Enfin, les distractions ouvrières concluent cette partie, avec l’estaminet, les jeux, le sport (boxe, vélo et natation) et les spectacles (salle du Fresnoy entre Roubaix et Tourcoing).
La cinquième partie débute sur le massacre du 1er mai 1891 à Fourmies et qui a pour origine le refus patronal d’accorder une journée fériée. Le bilan est de neuf morts, notamment des femmes et des enfants tués par l’armée. Des grandes figures du mouvement socialiste naissant sont mentionnées comme Delory, Jonquet et Ghesquière qui sont à l’origine du parti ouvrier, Paul Lafargue qui est élu député de Lille ou encore Jules Guesde qui devient député de Roubaix. En 1879 est fondé à Lille le syndicat des fileurs et filtiers et en 1883, à Calais, l’Union française des ouvriers tullistes..
La grève de 1898 à Caudry permet d’obtenir l’une des premières conventions collectives sur les salaires de cette branche professionnelle.
Certains patrons paternalistes comme les Thiriez, construisent des crèches, des écoles ou des bains douches et parmi les grandes figures du catholicisme social se distingue l’abbé Lemire, député et maire d’Hazebrouck et créateur du mouvement des jardins ouvriers avec la Ligue du coin de terre et du foyer.
La dernière partie est dévolue au paysage industriel et à l’architecture ostentatoire qui accompagne le développement des usines textiles. Nombre d’entre elles prennent l’allure de véritables « châteaux-forts » à l’instar de l’usine Motte-Bossut à Roubaix (qui accueille désormais les Archives du monde du travail).
Les ouvriers du textile vivent dans des logements insalubres, maisons de deux pièces sans lumière et sans confort. Ces habitats sont regroupés dans des courées appelés « forts » à Roubaix. Ces lieux sont frappés par des maladies récurrentes et la mortalité infantile y fait des ravages.
Enfin, les villes voient leur population fortement augmenter sous l’action de l’activité industrielle (à titre d’exemple, Roubaix-Tourcoing voient leur population passer, entre 1800 et 1900, de 30000 à 275000 habitants) et leur physionomie évoluer avec la construction de gares, d’hôpitaux ou encore l’installation de tramway (en 1909, un tramway est inauguré qui relie Lille-Roubaix-Tourcoing).
L’ouvrage d’Isabelle Leclercq se révèle agréable à lire et le propos est basé sur des lectures de qualité.
L’abondante documentation iconographique réunie par l’auteure est particulièrement intéressante et elle pourra, avec grand profit, être employée dans le cadre d’une séquence consacrée à la révolution industrielle.
Grégoire Masson