Prix du livre d’histoire de la Ville de Paris (Prix Augustin-Thierry de la Ville de Paris 2013).

Cardinal, abbé, aumônier, confesseur, la cour de France est remplie de robes de différentes couleurs et de collets de dentelles. Chargés des âmes, les membres du clergé de cour ont des fonctions politiques et diplomatiques importantes participant grandement au fonctionnement de la monarchie. Présents à tous les niveaux, ils restent globalement peu connus dans leurs fonctions et leurs actions, bien que souvent décriés et affublés des clichés qu’ils ont parfois contribué à construire.

L’ouvrage de Benoist Pierre est nécessaire par la synthèse qu’il offre, remarquable par la clarté de ses idées et par l’examen complet de cette question fondamentale dans l’Ancien Régime, la place de l’Eglise et de son clergé dans l’espace de la cour. Le sujet avait été abordé par l’historien américain Joseph Bergin (entre 1589 et 1661), plus récemment par Cédric Michon (entre François 1er et Henri VIII), par le médiéviste Jean-Philippe Genet.

L’auteur est spécialiste de l’histoire socioculturelle des réseaux de l’Eglise face à la monarchie. Il a notamment écrit en 2006 La bure et le sceptre, la congrégation des Feuillants dans l’affirmation des Etats et des pouvoirs princiers (vers 1560-vers 1660), issu de sa thèse en histoire moderne. L’ouvrage actuel est tiré de l’Habilitation à diriger des recherches de ce professeur d’Histoire moderne à l’Université de Tours et membre junior de l’Institut Universitaire de France.

L’ambition est large pour Benoist Pierre, il s’agit de traiter les enjeux et les finalités du service curial du clergé en France à l’époque moderne à l’entrecroisement du social, du politique de l’artistique et du religieux. Quelle place occupe le clergé et le religieux dans les élites du pouvoir ? Dans l’émergence du pouvoir et dans l’affirmation de l’Etat? Ne s’agit-il, dans l’Etat bureaucratique qui succède à l’Etat dynastique, que de capter les réseaux cléricaux pour les mettre au service du gouvernement monarchique, dans une monarchie ecclésiale, concept fondé par l’auteur ? En retour, assiste t-on à une instrumentalisation religieuse du politique (la question a déjà été soulevée sur un court moment par Fabrice Peyrat au sujet du Petit Concile) ? Cette cléricature de service donne t-elle naissance à une monarchie ecclésiale ? Qu’en est-il de la spiritualité de cour (p 13)?

L’ouvrage est divisé en trois parties. La première s’interroge sur la définition du clergé de cour en passant par la nécessaire déconstruction des présupposés historiographiques, processus d’inventions mémorielles qui déforment la perception aulique. De manière étonnante, l’auteur montre que les reproches anticléricaux naissent autant dans les milieux humanistes que gallicans et ce, dès le XVe siècle, réactivés par les inventions interconfessionnelles au XVIe siècle. Il fait le tour des reproches de simonie, de courtisanerie et de corruption qui éloignent le clergé à la cour, du divin.
L’ouvrage suit ensuite un plan chronologique : de l’âge d’or du clergé de cour (1480-1560), sondant ensuite la crise de la monarchie ecclésiale (1560-1610) qui cherche à encadrer la cour pénitente, voire à la convertir, pour arriver en troisième partie à une cléricature de service avec le temps des cardinaux-ministres (XVIIe-XVIIIe siècle).

Le clergé de cour a t-il existé ?

L’auteur s’interroge sur les voies d’accès du clergé à la cour, par un changement d’état social (de l’état laïc à l’état clérical) ou par l’achat d’une charge à la cour pour un ecclésiastique.
Le clergé de cour dispose de dérogations et dispenses importantes qui les distinguent à la fois des membres de la cour et des membres du clergé (dérogation de résidence …). Il y a des lieux privilégiés de l’exception, la chapelle royale (le « diocèse personnel » du roi) et le conseil du roi. Le ressort de la Chapelle est ambulatoire (là où se trouve le roi, se trouve le pouvoir spirituel et canonique obéissant intimement au roi). Dans le conseil du roi, se jouent les préséances avec les grands, les officiers du roi et les princes du sang. Un cardinal prend par moment l’ascendant sur les pairs ou les princes. Point amusant de l’exception comme signe identitaire curial ou ecclésiastique: un évêque porte la barbe à la cour où il obéit au roi tandis qu’il se rase la barbe lors de son investiture canonique ou quand il se rend à Rome.

La cour est le lieu où se font les carrières. Trois quart des évêchés au XVe siècle, sont tenus par des membres du conseil royal. Les prélats de cour passent pour être les hommes les plus riches de leur temps, ayant un train de vie somptuaire, favorisant des réalisations architecturales considérables pour leurs cathédrales, bâtiment d’évêchés, projets urbains (Charité, Hôtel-dieu, léproserie…) ou domaines résidentiels personnels, se constituant de fabuleuses collections d’œuvres d’art du fait de leurs contacts ultramontains. Grâce à eux se sont effectués des transferts culturels de grande ampleur au moment de la Renaissance (tableau p 55). Ainsi le clergé de cour élabore une identité affirmée au sien du clergé, Princes dans l’Eglise.

La cause de Dieu ou la cause du roi ?

La Chapelle est le lieu de socialisation, d’intégration et d’ascension sociale des ecclésiastiques à la cour. Elle est le lieu de passage fréquent vers le conseil politique pour les futurs cardinaux-ministres. Le service quotidien du roi privilégie deux figures de la Maison ecclésiastique: le grand aumônier et le confesseur. Si leur service domestique à la Chapelle est nécessaire au roi très chrétien, inversement ces deux éminentes figures ont leur place réservée au Conseil politique. Progressivement et surtout après François 1er, on assiste à un retrait de la maison ecclésiastique au conseil du fait de la multiplication et de la spécificité des tâches. Le grand aumônier qui s’affirme comme le « ministre de l’assistance publique», ne vient que rarement au Conseil. Le confesseur n’intervient plus au Conseil que sur des sujets qui relèvent de la religion, tenant souvent seul avec le roi, la feuille des bénéfices.

Le service de Dieu va t-il plus loin ? Les prélats de cour interviennent dans la formation et l’encadrement spirituel du roi, comme précepteur, bibliothécaire. L’action de l’Etat peut être renforcée par le vœu marial (Louis XIII-1638), la multiplication des dévotions monarchiques. L’apostolat aulique se répand dans l’espace diocésain par le vicariat. L’auteur pose comme piste de recherche à creuser, l’hypothèse que l’élan réformateur émane peut-être du clergé de cour.
Inversement, quel place tient le confesseur dans la prise de décision politique en raison du contact intime et privé avec le roi ? La question sous-jacente est de savoir si l’absolution lors de la confession, incite le roi à réformer son comportement, ses lois, ses décisions. La question qui mérite grandement d’être posée, ne trouve pas encore de réponse circonstanciée.

La plupart des ecclésiastiques de cour, formés à la prudence, à la discrétion et à la modération furent appelés à un moment à devenir ambassadeurs, soit pour des missions ponctuelles, soit par des représentations durables dans des états voisins, auprès du saint Siège et de la Curie. Or, conflit d’intérêts permanents, ils sont les seuls serviteurs royaux à ne pas relever exclusivement du roi et à devoir obéir au pape. Les arbitrages sont périlleux en temps de crise. En cas général, il apparaît que les ecclésiastiques de cour soutiennent les intérêts du roi, sans être des gallicans farouches. Ils interviennent toujours pour consolider l’axe Rome-Paris, privilégiant le dialogue et l’entente de façon à respecter leur double fidélité personnelle.
Dans cette monarchie ecclésiale, la spécificité du clergé de cour apparaît nettement. Pour ce clergé aulique, il n’y a pas de service politique pensé indépendamment du service religieux même s’il y a de multiples façons de servir son prince. Pour le roi, le clergé de cour est un groupe social éminent, au recrutement restreint mais présent jusque dans les provinces diocésaines, à l’obéissance multiforme, qui exerce une forme de service domestique ou étatique tout en devant assurer le salut du monarque, de la cour et des sujets.

Un clergé de cour humaniste ou politique (fin XIVe s –début XVe s)?

L’ouvrage donne une lecture chronologique évolutive de la position du clergé aulique dans l’entourage politique et princier. Vers 1480, le clergé de cour présent pour un quart du personnel de Conseil. C’est le résultat du choix que les clercs firent de cesser le service des cours princières, celui personnel des ministres pour devenir définitivement fidèles au roi. L’auteur montre l’orientation religieuse de la politique d’Etat. Cet aspect apparaît comme un éclairage novateur. Pour développer chacun de ses points, l’ouvrage prend souvent des exemples de parcours concrets, comme celui de Claude de Seyssel, du cardinal George d’Amboise, de ces membres du clergé illustrant le ralliement au roi. En se faisant serviteur du roi, ces religieux deviennent agents du Christ au service du messianisme ambiant soutenu par Vincent de Paul. Le roi considéré comme le messie, supérieur à tous les princes de la terre, peut se lancer dans des guerres à connotations mystiques comme le mirage italien. Avec François 1er, se confirme la triple vocation messianique du roi, restaurateur de l’Eglise, de l’Empire et des Lettres. Les premières victoires de François 1er furent interprétées comme des signes de l’avènement imminent d’un temps de gloire. La guerre pouvant conduire à la paix chrétienne, au bonheur des peuples et à la seconde parousie. Ainsi se diffuse un imaginaire où le roi est un médiateur privilégié entre l’au-delà et la réalité terrestre. Ce messianisme politique est entretenu par les médecins astrologues, les historiographes, les poètes et les membres du clergé jusque dans le Conseil du roi (p 137).

Les « moyenneurs » gagnants

Le roi et notamment François 1er se charge du retour aux sources de la foi chrétienne par les « bonnes lettres ». Cette quête humaniste et évangélique dans la société s’accompagne d’une réforme interne de l’Eglise gallicane. La France doit devenir un espace de sainteté à la pointe de la reconquête chrétienne. Cette stratégie est avancée par de nombreux ecclésiastiques de cour, qui conseillent aux rois de convoquer des assemblée pour réformer l’Eglise, entraîner des rénovations dans les ordres religieux, la traduction de textes anciens, de canons antiques, la rédaction de modèle de prince vertueux organisant ainsi des réseaux lettrés actifs dans la réappropriation du savoir, dans sa diffusion imprimée, gravée et architecturale…. Il s’agit moins de contre-carrer la réforme que de diminuer l’angoisse eschatologique des années 1520, de détourner la menace panique des pronostications de fin du monde. Le clan du cardinal George d’Amboise est particulièrement actif dans cette rénovation, même si l’auteur estime difficile de reconstituer complètement le réseau d’influence et ce, jusque dans les diocèses, autant de projets de recherche à mener. L’auteur donne une cohérence nouvelle à ces activités multiples de la Renaissance française qui, pensait-on servaient la gloire du roi, mais sont inspirées par le grand projet messianique dont le roi est l’animateur. Le clergé de cour apparaît alors comme le pasteur de reconquête, le restaurateur de la confiance dans les diocèses, cherchant à refonder l’unanimisme des premières communautés chrétiennes. C’est en ces termes qu’il faut présenter dans le double portrait des Ambassadeurs de Hans Holbein Le Jeune, un des artisans de cette nouvelle orthodoxie d’apaisement, cet apôtre de la paix dans la foi, que fut l’évêque Georges de Selve.

Ce processus de confessionnalisation entamé par le clergé de cour en direction des puissants et des diocèses fut une longue reconquête, qui n’était pas achevée vers 1560. Ambassadeurs entre puissances étrangères, ces hommes de cour furent également des intermédiaires entre le roi et la Sorbonne, les Parlements, dans les Conciles nationaux, dans les négociations du Concordat… Face aux protestants, l’auteur montre qu’ils furent peu partisans de la répression judiciaire, ni dans les tribunaux d’exception, ni pour la Chambre Ardente de 1547. Henri II ne tenait pas à reproduire le modèle italien ou ibérique, c’est pourquoi il choisit comme Inquisiteurs des prélats de cour modérés. Le roi devint ainsi le vecteur de l’unification chrétienne et non le bras armé de l’Eglise romaine. Le clergé de cour a fait le choix après celui de la servitude volontaire à la puissance céleste de se soumettre à la puissance terrestre et de construire une monarchie ecclésiale.

C’est ainsi que le clergé de cour rentre massivement dans le conseil du roi et de la régente Catherine de Médicis : six cardinaux et 3 évêques sur 19 membres en 1560. Ils sont immédiatement critiqués, les huguenots faisant porter sur eux la responsabilité des guerres de religion sur ces membres du conseil royal, les pro-romains imposant la résidence dans les diocèses pour contrecarrer la présence à la cour. Plusieurs voies s’ouvrirent alors : ne pas en tenir compte, réduire le nombre visible de membre du clergé à la cour, s’attaquer au service de la Chapelle, placer dans les conseils des prélats favorables à la pacification religieuse (remplacer Michel de l’Hospital par Morvilliers, de l’Aubépine, Jean de Montluc) ou favoriser la carrière de laïcs coachés par des ecclésiastiques (Villeroy, Pomponne de Bellièvre..). Ces hommes de paix durent assumer la Saint Barthélemy qu’ils ont tenté d’éviter. Face aux Guise, à Charles de Lorraine, ces hommes donnent une image très hétérogène du clergé de cour. Derrière une apparente unité de foi, le clergé est très désuni.

L’économie de la faveur dans le clergé de cour

La guerre dans le clergé ne peut être que spirituelle. Il faut donner des exemples édifiants de morale rénovée. Henri III se veut le modèle du roi philosophe, adepte de la concorde et de la coexistence religieuse. Son aumônier Ponthus de Thiard, son grand aumônier, le traducteur humaniste Jacques Amyot travaillent à établir un prince idéal sur le modèle antique animé par la paix publique. Les conseils de 1574 comportent toujours entre un tiers et un cinquième d’ecclésiastiques. D’autres se trouvent dans des conseils plus spécialisés. 23 conseillers majoritairement ecclésiastiques s’assemblent tous les matins chez la reine entre 7 heures et 10 heures pour débattre de problèmes ouverts par les Etats généraux de Blois. En 1583, Henri III entend mener une grande enquête dans le royaume découpé en six entités ayant à leur tête un prélat. L’implication politico-religieuse reste dominante. Henri III entend commencer la rénovation en donnant l’exemple du roi pénitent favorisant ainsi l’unité religieuse du royaume. Il décide de l’appliquer également aux grands de son royaume en les intégrant dans l’Ordre du Saint Esprit (1578-1579) sous la conduite du chef de la chapelle royale, Jacques Amyot où, à coté de la grande noblesse, les principaux prélats de cour sont intégrés. De nouvelles communautés religieuses, les Minimes, les Augustins, les Chartreux, les Feuillants… desservaient les nouvelles confréries royales. Le renouveau religieux entraîne le clergé de cour à seconder le roi, ce qui ne fait pas l’affaire des ultras devenus minoritaires et qui cherchent à surpasser les signes de conciliation, par des processions spectaculaires de pénitents blancs. La Ligue semblait dépassée.

Un cardinal-roi ou un roi hérétique ?

Mais les années suivantes bouleversent la donne. Quelle place peut prendre le clergé de cour quand le roi est cardinalicide (assassinat du cardinal de Guise) ? Un cardinal ligueur peut-il devenir roi : Charles de Bourbon, « Charles X » ? Quelle place peut prendre le clergé de cour quand face à un roi hérétique (1584-1589)? Le clergé de cour fait état de ses divisions intérieures comme le reste de la société.
Mais dès la déclaration royale du 4 août 1589, les ralliements autour du roi s’organisent. Le cardinal de Vendôme, Charles II de Bourbon, s’éloignant de son oncle le ligueur cardinal de Bourbon, et soutient son cousin Henri de Bourbon, roi de Navarre devenu Henri IV. Il appelle tous les évêques de France à s’assembler pour ramener le roi dans le giron de l’Eglise. Actifs dans le conseil, les prélats loyalistes prescrivent des actions de grâce dans les municipalités et des levées de deniers. A l’Assemblée du clergé de Chartres, en mai 1590, ils déclarent « nulles et injustes » les bulles de Grégoire XIV qui excommuniaient le roi hérétique et ceux qui l’avaient suivi. Le nouveau clergé aulique se porte garant du nouveau roi, quitte à rompre avec le pape.

Loin de se mutiner contre le pape, décriés par les protestants, haïs par les ligueurs, les loyalistes agissent ainsi pour obtenir l’abjuration et la conversion du roi. Le maître de la chapelle-musique Eustache Du Caurroy eut ainsi l’occasion de faire retentir un magnifique Te Deum à Saint Denis, musique du premier baroque français. L’évènement est ensuite fêté comme fondateur de la Chapelle royale et de ses officiers. L’autorité d’Henri IV est ainsi restaurée à Rome comme dans le clergé français, comme à la Curie, comme auprès des sujets par ces membres du clergé de cour qui ont agi pour convertir le roi. Le pouvoir royal est resacralisé grâce au clergé aulique modérateur.

Pourtant c’est sous le règne d’Henri IV, qui prit des mesures d’apaisement avec Rome, en recevant les décrets du Concile de Trente, entr’autres, que les ecclésiastiques de cour disparurent du Conseil. Le roi a t-il voulu procéder à une décléricalisation de l’appareil de l’Etat ? Pas délibérément. Roi de conciliation, il s’entoura de ses favoris en cherchant à ne pas raviver les tensions religieuses. Après le sacre de Henri IV, l’attention des prélats de cour se porta sur la conversion de l’entourage de la maison du roi. Convertir les huguenots de l’espace aulique entraînerait nécessairement la conversion des réformés du royaume. Mais les ligueurs veillent, en témoigne la tentative d’attentat dont fut victime le père Coton, confesseur du roi (13 janvier 1604).

Dépossédé de son pouvoir, subordonnant l’Église à l’État, le clergé de cour fut frappé de plein fouet, comme le royaume, par l’assassinat du roi. Les funérailles royales furent un moyen de revivifier la Chapelle et à travers elle le clergé aulique : ni le roi, ni l’État peuvent se passer d’Église. Ce qui fut rendu visible par une querelle de préséance : qui serait au plus près de la dépouille du roi lors de la cérémonie ? (réponse p 321). C’était avant que n’explosent à la cour, à l’Université, auprès de l’éducation du jeune Louis XIII, les controverses entre les Gallicans et les Jésuites, débouchant sur la crise théologico-politique des années 1614-1615. Quand le grand aumônier de France affirma que le clergé ne céderait jamais sur le principe du droit reconnu au pape de déposer les rois, les prélat de cour tentèrent une voie moyenne auprès de Marie de Médicis, en négociant le retour des prélats dans les Conseils. Le jeune Armand du Plessis de Richelieu, jeune prélat inconnu porta la voix discrète et alors peu représentée du bas clergé, absent de la cour, en soutenant l’idée dans le discours de clôture des Etats généraux et demanda au roi le rétablissement de l’antique splendeur de la monarchie ecclésiale. C’était ouvrir la voie aux grands cardinaux-ministres de 1615 à 1661.

Du roi dévot à la dévotion royale

Le retour des prélats au conseil, après une longue décennie d’absence, fut discrète, six membres sur cinquante en 1616. Beaucoup étaient des spécialistes de droit reconnus pour ce titre. A la différence des Valois, quand Louis XIII ouvrit la porte des conseils aux prélats, il accorda la priorité à un seul prélat à la fois, le garde des sceaux Guillaume du Vair, puis Henri de Gondi puis François de la Rochefoucauld avant Richelieu.

Quant à la Chapelle, elle s’était renouvelée avec de nombreux jésuites, membres des ordres mendiants et prédicateurs. Beaucoup s’appuient sur l’ouvrage rédigé au préalable par le Père Caussin, La Cour Sainte. La cour redevint ainsi le lieu des expériences de moralisation de la société, de l’encadrement religieux des élites et de l’armée, de la tentative d’unité chrétienne, la recatholisation du royaume en rétablissant une hiérarchie sociale décidée par Dieu. Le clergé de cour tenta d’agir pour apaiser les tensions entre mère et fils, de façon à rétablir l’autorité royale entre 1617 et 1620. Le représentant le plus célèbre est Pierre de Bérulle, aumônier du roi Henri IV, proche de Séguier, conseiller de la régente Marie de Médicis. La réforme chrétienne de la société se ferait à l’initiative de l’Etat et non plus de l’Eglise. La fondation de la compagnie du Saint Sacrement (1627) indique bien la place et l’ambition des nobles dévots à la cour.

Mais c’était sans compter sur le centralisme de Richelieu, rapidement prédominant parmi les hauts dignitaires de la cour. Si, comme l’a montré Françoise Hildeheimer, le mobile de Richelieu est que les préceptes divins et la morale chrétienne guident l’action d’un État, ce qui se fait par l’État, se fait pour Dieu. L’action de l’État doit s’opérer par la persuasion, la conversion, la prudence dans les négociations notamment dans le domaine de la religion. Les dévots qui s’arrogeraient le droit d’agir dans la société à la place de l’État, perturberaient ainsi l’ordre public. C’est donc au clergé de cour que reviendrait la mission de recatholiciser les consciences de discipliner la société, pour établir une raison d’État au service de l’Eglise.
Au sien de la Chapelle royale, Richelieu confia l’emploi de grand aumônier à son frère Alphonse du Plessis, qui préféra son rôle d’ambassadeur à Rome tout en mettant au pas la Chapelle et le confesseur du roi, forcément Jésuite… Il limite le rôle du confesseur royal à la cour, allant même jusqu’à limiter la durée de ses sermons. Il s’appuie sur son clergé régulier et séculier pour renforcer la prise de décision, collecter des informations, en faire passer, remplir des missions administratives, avoir des prélats aux armées (voire chefs militaires), devenir des polémistes au service de l’Église aussi bien que des thuriféraires du régime.

Le Grand aumônier

L’auteur renverse la théorie d’une conception de l’État qui se détacherait de l’Église. Avec son étude de la cour, de ses parcours multiples, contradictoires, il affirme que le salut de l’Etat, la gloire de Dieu sont indissociables, créant ainsi une cléricature de service de la monarchie ecclésiale. Mazarin serait l’agent de la raison d’État pour gérer les affaires humaines car il est impossible de connaître les voies de Dieu d’une puissance incommensurable. La présence des grâces divines se mesurerait à l’aune des résultats politiques obtenus. Le dévouement de Mazarin à l’État et au roi ne s’exprime plus avec des rituels traditionnels de la piété. Il exerce un sacerdoce d’État, dans une union étroite du spirituel et du temporel.

En 1661, tout était prêt pour que Louis XIV s’estime le chef de l’État, de son Église et se dispense d’un cardinal-ministre. Des hommes d’Église sont appelés dans les conseils de plus en plus spécialisés, techniques, notamment dans les affaires de la religion. Notons cependant une exception, le département spécialisé de la religion prétendue réformée fut confiée jusqu’au début XVIIIe siècle aux ministres de la famille Phélyppeaux de la Vrillière, échappant aux prélats de cour. Le roi renforce son emprise sur son confesseur, intervint dans le fonctionnement de la Chapelle, l’embellit, donna un éclat particulier à la liturgie… Il devint le chef du clergé de cour. Tout cela contribua à la divinisation de sa personne. Ceci ne fut pas accepté par certains hauts dignitaires de l’Église de cour, qui se divisèrent entre acceptants et opposants de la Bulle, avant de relancer la querelle entre jansénistes et gallicans. Bientôt ces querelles se déplacent en cour de Rome ou dans les diocèses, délaissant la cour de Versailles où le roi s’affiche comme un roi-évêque. A l’issue de ces fortes tensions politico-religieuses, un nouveau cardinal-ministre s’impose dans l’esprit du petit roi Louis XV.

En conclusion, il apparaît difficile de distinguer le clergé d’État du clergé de Chapelle, comme l’indique l’auteur tant les fonctions de chacun sont multiformes, techniques. La monarchie a toujours utilisé ce maillage du clergé de cour vers la province, qui facilitait la diffusion de l’information ou la collecte du renseignement, de l’état d’esprit à l’échelle du royaume, voire de la Chrétienté en passant par Rome. L’action permanente de ce clergé de cour tourne autour des moyens plus ou moins accentués selon les périodes, pour réformer la société par l’Église. Le clergé aulique pouvait aussi bien servir de soutien à la politique royale que prendre la tête d’une Eglise gallicane. Quant au roi, il passa en trois siècles de la figure d’un roi-Christ à celle d’un roi recatholicisé, pour aboutir selon sa fonction, ecclésiastique ou curiale, à la figure d’un roi-évêque ou d’un roi déifié.

L’ouvrage, complexe et riche, indique des rythmes de l’influence du clergé de cour au sein des conseils. De nombreux parcours personnels d’ecclésiastiques sont décrits et analysés. Il donne de précieux tableaux synthétiques pour ceux qui travaillent sur les grands officiers ecclésiastiques. Il donne quelques indications pour ceux qui voudraient enrichir la question des princes de l’Eglise et des arts. Il ouvre de nombreuses problématiques, de nombreuses pistes de recherche dont certaines, comme celles sur le cardinal de Fleury se sont révélées sans issue pour l’instant.