Cet ouvrage, publié une première fois en espagnol en 2018L’édition originale de ce livre a été publiée en 2018 par Gráfica e Editora (Toledo,Paraná, Brésil) sous le titre O Maior Genocídio da História da Humanidade : Uma história de resistência e sobrevivência, puis a fait l’objet d’une réédition revue et augmentée en 2021 par Bambual (Rio de Janeiro, Brésil) sous le titre Abya Yala ! : Genocício, Resistência e Sobrevivência Dos Povos Originários das Américas. vise à réunir des études, jusque-là séparées sur le sort des peuples qui occupaient le continent américain, avant l’arrivée des Européens. Les éditions Écosociété, ont ajouté, sous la plume de Pierrot Ross-Tremblay, un chapitre consacré aux Peuples Premiers du CanadaL’éditeur en a confié la rédaction à un historien innu, originaire d’Essipit, sur la Côte-Nord du fleuve Saint-Laurent, en collaboration avec l’avocate Nawel Hamidi..
Dès l’introduction, les auteurs posent la question fondamentale : Qu’est-ce qu’un génocide ?
Reprenant la définition qu’en donne l’Assemblée générale des Nations unies, le 9 septembre 1948, le crime de génocide est ainsi défini :
« [Un] génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »
La question de la destruction des peuples d’Amérique a été abordée par différents historiens. Pour David E. Stannard « la destruction des Indiens des Amériques fut, de loin, le plus grand acte massif de génocide dans l’histoire du monde »Cité p. 23 – extrait de David E. Stannard, « Prologue », American Holocaust : The Conquest of the New World, New York, Oxford University Press, 1992, p. 11. .
Les auteurs annoncent clairement leur objectif : « Cette publication n’est pas une recherche archéologique ou démographique sur le thème que nous abordons. C’est une modeste contribution à la cause indigène »
Un premier chapitre rappelle les « grandes découvertes » du XVIe siècle.
Chaque partie est consacrée à un espace défini et décline les mêmes paragraphes : Données sur les peuples autochtones avant la conquête européenne – Génocide dans ses formes et ses conséquences – Résistance indigène et Survivance dans l’actualité.
Dans les îles de la mer des Caraïbes : Le début du génocide des peuples autochtones
Le premier voyage de Christophe Colomb marque le début de cette histoire. Arrivé sur l’île de Quisqueya : « Terre-Mère » en langue taïno, il y voit un « paradis terrestre ». Hispaniola (actuellement l’île de Saint Domingue) aurait abrité, selon l’historienne Leslie Bethell, environ 1 million d’habitants. Les auteurs détaillent ces premières pas de l’empire espagnol des Amériques et les premiers heurts avec les natifs soumis à l’appropriation de leurs terres et à la volonté espagnole de la convertir.
La couronne d’Espagne vise à soumettre les indigènes à ses intérêts notamment en imposant de lourds impôts. Le système de « la répartition » (repartimiento) allouait un groupe des indigènes, à un colon, pour collecter l’impôt. L’exploitation de cette main-d’œuvre s’est accompagnée de violences, notamment sous l’autorité de Nicolás de Ovando, débarqué en 1502 qui écrasa la rébellion des Taïnos. Il mit en place le système de l’encomienda : répartition des terres entre des colons, toujours plus nombreux, et placement des populations originaires sous leur entière autorité.
Malgré les demandes d’Isabelle de CastilleDans une lettre, elle demandait que soit respectés ces principes : « a) engagement d’évangéliser les Autochtones ; b) possibilité d’employer un certain nombre d’entre eux (pas les vieux, ni les enfants, ni les femmes) dans les exploitations agricoles des Espagnols pour assurer leur alimentation ; c) respecter les besoins des familles des Autochtones, de leurs maisons et de leurs terres ; d) payer chaque jour travaillé en correspondance avec l’effort fourni ; e) exiger des travaux modérés et jamais les dimanches et les jours de fête ; et f) traiter les indigènes comme des êtres libres et non comme des esclaves en captivité ». Cité p. 61 / extrait de Bartolomé de las Casas, Histoire des Indes, vol. 2, Paris, Seuil, 2002 [1986], p. 77-79., le travail forcé, en particulier dans les mines d’or, eut de lourdes conséquences dénoncées par Bartolomé de las Casas : épuisement et mort des indigènes, faim, maladies et épidémies. Le règlement de la Couronne rendait possible la mise en esclavage. Le déclin de la population autochtone fut rapide.
Un paragraphe décrit l’exploitation des autres îles : Porto Rico, la Jamaïque, Cuba.
La résistance des Taïnos, bien que réelle, fut difficile malgré les « héros » comme Enriquillo ou Agüeybaná II à Porto Rico…
L’extermination, débutée en 1493, fut totale.
Mexique – Le génocide atteint le continent
Les auteurs présentent rapidement les civilisations précolombiennes : Olmèques, Totonaques, Toltèques, la cité-État de Teotihuacan, Mayas et les Aztèques.
L’arrivée de Cortés marque le début de la conquête continentale. On sait la violence de la prise de Tenochtitlan et des années qui suivirent.
Les historiens Cook et Borah évaluent la perte de population à 20 millions d’indigènes, en 30 ans.
Comme dans les îles, la population était soumise au système de l’encomienda et de la répartition.
La résistance fit des centaines de milliers de morts : depuis la guerre du Mixton au nord du Mexique (1541), le soulèvement général des Guachichiles au Nuevo León (1624)… jusqu’aux nombreuses révoltes du XIXe sicle : Rébellion des Yaquis dans la région de Sonora (1868-1887) ou la « Guerre des castes » dans la région du Yucatán (1847-1901).
L’histoire récente de ces populations s’inscrit d’abord dans la guerre d’indépendance du Mexique en 1810, mais jusqu’au XXe siècle : révolte des Yaquis (1927) et celle de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) en 1994.
D’après l’Institut national indigéniste (INI) du Mexique, on recensait, en 1995, 64 peuples indigènes organisés en communautés, collectifs, coopératives et autres assemblées et des coalitions. Le Congrès national indigène (CNI) milite pour la « reconstitution intégrale des peuples indigènes », une nouvelle relation avec l’État national.
Les Andes centrales – De l’Empire du Soleil à « une nouvelle place au soleil »
Après la présentation des civilisations préincas, l’apogée de l’empire des Incas et la conquête par Francisco Pizarro.
Les Espagnols recherchent l’or et l’argent. Quand en 1534, ils entrent dans Cuzco, l’installation coloniale commence avec Lima comme nouvelle capitale.
Le vice-roi Francisco Àlvarez de Toledo initia un modèle de recrutement de la main-d’œuvre pour l’extraction minière : la « mita ». Chaque année, 50 % des hommes de chaque district devaient rejoindre les mines et notamment celles du Potosi, d’après un recensement officiel cela représenta au moins 13 500 hommes. Une exploitation décrite par les auteurs.
Le système de la mita était utilisé dans d’autres secteurs comme le textile.
S’appuyant sur les travaux de l’historien péruvien Villanueva Sotomayor, l’effondrement démographique fut brutal même si les maladies eurent moins d’impact.Sur ce thème : Épidémies, conquête et génocide dans les Amériques
Les révoltes furent nombreuses, notamment celles de Túpac Amaru en 1780 et Túpac Katari en 1783.
Aujoud’hui, les autochtones représentent environ 62 % de la population en Bolivie, 24 % au Pérou et 7 % en Équateur, selon le rapport de la CEPAL (Comisión economica para America Latina). Les auteurs décrivent les récents mouvements politiques en Bolivie.
Brésil – le génocide qui n’est pas encore terminé
Depuis les premiers contacts, la relation des Portugais avec les populations autochtones est l’histoire d’une guerre qui se prolonge jusqu’à nos jours.
Les auteurs rappellent le partage du monde en 1494 lors du traité de Tordesillas. C’est en 1500 que Cabral atteignit le littoral du Brésil. La population autochtone était d’environ quatre millions d’habitants appartenant à divers peuples. C’est un choc des cultures. Pour certains historiens, le Brésil fut envahi par la croix et l’épée.
Dans un premier temps, on ne parle pas de colonisation, mais s’installe un commerce de bois de brésil (pau-brasil) dont sève pouvait être utilisée comme colorant textile. Ce n’était pas une colonie de peuplement, les Portugais construisirent quelques établissements fortifiés, les « feitorias », entrepôts et sites de défense.
La colonisation ne commença qu’en 1531 avec l’expédition de Martim Afonso de Sousa, dans la région de São Pau. Pour l’exploitation de la colonie, le roi choisit un modèle de production de la canne à sucre, et d’installer des capitaineries héréditaires, comme celles déjà en activité aux îles Canaries et à Madère, confisquant ainsi les terres des Autochtones.
Pour les besoins en main-d’œuvre, des « villages de répartition » furent créé, un esclavage masqué. Dans chaque village de répartition, il y avait une école, une église et des maisons pour les familles indigènes. La répression de tout refus était l’esclavage. Cependant, les Jésuites s’opposèrent à l’esclavage et aux mauvais traitements dans les villages de répartition.
Les auteurs décrivent les « chasseurs d’Indiens », à la recherche de nouveaux esclaves. Ces actions pouvaient aller jusqu’à attaquer les missions comme le montre « L’Épopée de Guaira ».
Sous le commandement du missionnaire Antonio Ruiz de Montoya, les indigènes s’enfuirent et parcoururent à pied une distance d’environ 1500 kilomètres.
La révolte des GuaranisCette révolte est le thème du film Mission de Roland Joffé. (1754-1756) montre la volonté de défendre leurs terres.
Selon l’anthropologue Marta Maria Azevedo, environ 70 % de la population native du Brésil fut éliminée par la faim, les guerres, l’esclavage et les maladies. Pour les auteurs : « De 1500 à 1910, la politique indigéniste brésilienne fut, sans l’ombre d’un doute, génocidaire. » Citation p. 173.
En 1757, la loi interdit l’esclavage et les retire au pouvoir temporel et religieux des missionnaires, mais l’usage exclusif de la langue portugaise est obligatoire. Les nombreuses constitutions brésiliennes après l’indépendance considèrent les Natifs comme des êtres inférieurs devant être sous tutelle et considérés comme des individus, non comme des nations. Au XXe siècle, les territoires indigènes ont été constamment menacés et usurpés, notamment en Amazonie.
Les auteurs dressent la liste des moments de révolte et montre la participation des femmes.
Aujourd’hui, le rapport Figueiredo,7000 pages qui couvrent la période de 1940 à 1968, longtemps perdu il fut transféré au musée national de l’Indien à Rio de Janeiro en 2008. rapporte les assassinats de masse, la torture, l’esclavage, la guerre bactériologique, les abus sexuels, le vol de terres et la négligence envers ces populations. Les auteurs évoquent l’administration actuelle chargée de la question autochtone : la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI) et la poursuite des exactions contre les populations natives. Ils insistent sur le génocide culturel et les revendications en ce début de XXIe siècle.
Les États-Unis d’Amérique – Le « nettoyage ethnique » comme politique d’État
« De 18 millions d’habitants avant le XVIIe siècle, la population indigène des États-Unis d’Amérique est passée aujourd’hui à environ 2,5 millions, c’est-à-dire 13 % de la population d’origine.
C’est le résultat d’une extermination qui s’est poursuivie sur trois siècles et qui, principalement aux XVIIIe et au XIXe siècles, selon David E. Stannard, « fut de loin le génocide le plus massif de l’histoire de l’humanité »Citation p. 216.
C’est ainsi que commence le chapitre sur les États-Unis. Les auteurs rappellent les débuts de la colonisation anglaise, et le célèbre épisode du capitaine Smith sauvée par Pocahontas, la fille du chef Powhatan. Ils montrent le caractère brutal de l’implantation des colons et le rôle de la religion.
Le XVIIIe siècle est marqué par la guerre entre Français et les Anglais. Au moment du traité de Paris de 1763, la couronne britannique reconnaît la région située entre le fleuve Mississippi et la chaîne des Appalaches comme territoire réservé à l’usage exclusif des Premières Nations c’est la Proclamation royale (« Proclamation Act »).
L’indépendance des « Treize Colonies » mis fin à ce statut. Les auteurs décrivent la « Destinée manifeste », cette idée que les Américains étaient élus par Dieu pour civiliser l’Amérique et posséder tout le continent. L’expansion blanche, toujours plus vers l’Ouest, entraîna le déclin démographique et culturel des nations amérindiennes ce que les auteurs qualifient de « nettoyage ethnique » prenant appui sur les travaux de StannardDavid E. Stannard, American Holocaust : The Conquest of the New World, New York, Oxford University Press, 1992 à propos des Cherokees. En 1830, l’« Indian Removal Act » prévoit la déportation des Autochtones à l’ouest du fleuve Mississippi. De véritables drames, comme ce qu’il est convenu d’appeler la « piste des larmes » qui furent accentués par l’« Homestead Act » (Loi sur le peuplement) de 1862 qui visait à garantir l’occupation par les colons des terres traditionnelles des Premières Nations. Le gouvernement multiplia les traités qui, de fait, dépossédaient les Premières Nations de leurs terres notamment pour développer le chemin de fer et ouvrir des mines. Quand en 1874, des gisements d’or furent découverts dans les Black Hills, sur les terres sacrées des Sioux et des Cheyennes, ceux-ci se révoltèrent (victoire indienne de Little Bighorn en 1876).
le « General Allotment Act » (Loi sur la distribution des terres) en 1887 prévoit la distribution des terres collectives et les terres non réparties pouvaient être vendues aux Blancs. L’objectif était l’ assimilation des Autochtones. C’était la fin des modes de vie des Premières Nations. Faute de pouvoir les exterminer, il fallait détruire leur identité, notamment par le biais de l’école.
Les auteurs consacrent un paragraphe à l’histoire du Far West, écrite par les Blancs, largement reprise par le cinéma et la télévision.
Les tentatives de résistance prirent plusieurs formes : tenter de faire respecter les traités, attaques des villages de colons et véritables guerres.
Enfin, comme pour chaque région étudiée, l’état des lieux actuel montre organisation (Le Congrès national des Indiens d’Amérique -NCAI) et revendications.
ABYA YALA ! – Une organisation continentale des peuples originaires des Amériques
Abya YalaAbya Yala est le nom originel que donnèrent au continent américain les membres de la nation Kuna, du Panama et du nord de la Colombie, et qui fut adopté par une grande partie des Peuples Premiers des Amériques pour nommer le territoire qui est le leur est le nom adopté par les Premières Nations pour exprimer un sentiment d’unité et d’appartenance au continent américain.
Ce mouvement s’inspire des mythes ancestraux comme la prophétie de l’aigle et du condor.
Inaugurés en l’an 2000, des sommets continentaux se sont réunis d’abord en Amérique du Sud. Des réunions des chefs spirituels s’accompagnent de grandes manifestations comme des marathons continentauxSur ce sujet voir 10 000 KM, une course sacrée à travers les terres voles des Indiens d’Amérique, Noé Alvarez, Marchialy, 2022 et des journées de la paix et de la dignité.
Les autochtones participent à des instances internationales, comme le Groupe de travail international des Nations unies sur les questions autochtones ou la Conférence mondiale sur les peuples autochtones aux Nations unies (2014). Ils ont collaboré à la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur les peuples indigènes tribaux et à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 2007 ou à la Déclaration universelle des droits de la Terre-Mère produite à Tikipaya en 2010. En tant que peuples autochtones, ils se sont exprimés lors des COP.
En guise de conclusion : « C’est surtout le moment d’apprendre des enseignements des peuples originaires, de combiner la sagesse millénaire avec les connaissances produites au cours des derniers siècles. » (p. 291)
En annexes
La carte n’est pas le territoire
Un complément à l’ouvrage d’origine : Le génocide colonial des Premiers Peuples au Canada par Dr. Nawel Hamidi, Université St-Paul, Dr. Pierrot Ross-Tremblay, Université d’Ottawa
et une abondante bibliographie
Le génocide colonial des Premiers Peuples : des destructions massives de population, c’est certain, mais volonté de les exterminer ?
L’intérêt de cet ouvrage est de réunir des éléments sur les sociétés amérindiennes et de rappeler les conditions de leur asservissement par la colonisation européenne.