C’est son regard d’archéologue et de chercheur que dévoile Ludovic Slimak dans ce livre où on suit sa carrière et le cheminement des questions qu’il se pose à propos de Néandertal. Il invite le lecteur à abandonné les idées reçus, à suivre les traces d’une humanité éteinte.
Ludovic Slimak montre le cheminement des chercheurs. Comment les questionnements et les nouvelles données remettent en cause ce que l’on croyait sur Néandertal. C’est un des intérêts majeurs de cet ouvrage.
Néandertal, en nos âmes et conscience
Après 30 ans de recherches dans les grottes, Néandertal reste une énigme : « Ni homme ni singe, et possédant ses propres manières d’être au monde, qui me renvoient à notre propre humanité et à la fragilité de nos regards. » (p. 24).
Ce premier chapitre introduit les questionnements. Il annonce aussi la question de l’extinction car même si les généticiens ont pu montrer des traces d’ADN de Néandertal dans les populations actuelles de l’Europe elles ne sont que la marque de rencontres lointaines et non celle d’un métissage. Cette lignée et ses modes de vie se sont éteints alors que les Sapiens, même les plus anciens, ce sont nous comme le souligne l’analogie entre les peintures rupestres et les tags contemporains du métro.
Une odyssée boréale
Le voyage commence en Sibérie boréale avec les traces des Néandertaliens de la période froide laisses dans les loess. S’appuyant sur l’adaptabilité du métabolisme humain aux températures extrêmes, l’auteur montre de Néandertal a fréquenté la Sibérie boréale, marquée par un climat très froid mais sec. Leurs traces sont aujourd’hui révélées et menacées par le dégel du permafrost. Quels sites très septentrionaux à plus de 600 km au nord du cercle polaire (péninsule de Taïmyr) ont montrés des ossements de mammouth avec des traces de dépeçage avec des outils de pierre à environ 48 000 ans.
Une civilisation boréale inconnue a été découverte à Rhino Horn site dans le delta du fleuve Yana : des outils, de l’ivoire de mammouth gravé, des bois de rennes datés d’environ 30 000 ans. L’ADN de dents humaines de ce site a révélé une population d’hommes modernes non connus : les « anciens sibériens du Nord » avec des séquences d’ADN néandertalien.
Dans les collections du musée de Syktyvkar les outils de facture néandertalienne, datés de 28 000 sont donc postérieurs à la disparition des Néandertaliens de l’Europe tempérée.
La question de la persistance de Néandertal est d’autant plus difficile à trancher que les ossements sont peu nombreux et on en ignore le contexte archéologique car les fouilles sont souvent anciennes et dans des collections mal conservées.
L’auteur aborde les débats à propos de l’effacement des Néandertaliens et la question sera reprise au chapitre VI
Le site Byzovaya à l’Ouest de l’Oural polaire fut-il un refuge.
Des cannibales dans la forêt ?
L’archéologie atteste de pratiques anthropophages au moins jusqu’à l’Age du fer. Les fouilles de la grotte de Néron, en Ardèche montre un climat chaud, une forêt dense. Longtemps fouillée par des amateurs depuis le XIXe siècle qui ont hélas beaucoup détruits, des fouilles relancées dans les années 1990 ont apportées de nouvelles connaissances. Pour l’auteur le cannibalisme de Néandertal est sans doute pas alimentaire. Il évoque des pratiques rituelles sud-américaines de fracturation des os comparables à ce qui a été trouvé en Ardèche. D’autres hypothèses, discutées, existent comme un endo-cannibalisme qui serait à relier aux forts changements climatiques qui ont modifié l’environnement de Néandertal, imposant d’inventer de nouvelles techniques de chasse.
L’auteur démontre pourquoi il réfute cette hypothèse en utilisant l’étude des datations, l’ethnographie inuit et l’analyse des situations d’anthropophagie de catastrophe ( expédition Franklin de l’Erebus en 1854). Il reprend l’analyse comparées des os humains et animaux trouvés en mélange à l’abri Moula à Néron et penche pour un rituel funéraire.
Rites et symboles ?
C’est poser la question fondamentale : qu’est-ce que l’humain ? Néandertal est-un une humanité différente de Sapiens ? Quelle place pour la pensée symbolique ?
Les changements climatiques ont Neandertal a été témoin, victime peuvent-ils nous apprendre quelque choses sur ses rites ?
Le site récemment découvert en 2008 dans les gorges de l’Ouvèze (Vaucluse) pourra peut-être répondre à ces questions ? L’auteur raconte, de façon très vivante, cette fouille. Le lecteur est transporté sur les lieux, perçoit l’excitation des découvertes.
Des restes nombreux, vieux de 100 000 ans, très bien conservés dans des sables fossilifères, le site vierge montre un milieu forestier, une large biodiversité. L’occupation va de 123 000 à 80 000 ans, ce qui va permettre d’étudier l’évolution des biotopes de la période interglaciaire et les stratégies d’adaptation de Néandertal : consommation de viande, prélèvement des peaux, tannage. L’auteur décrit des chasses souvent dangereuses qui participent sans doute aux rites de passage à l’âge adulte : une possible existence de rites chez les Néandertaliens.
De l’esthétique néandertalienne
Les traces ténues comme ces plumes trouvées en Italie (grotte de Fumane) ou ces traces rupestres en Espagne (Ardales, La Pasiega, Maltravieso) sont difficiles à interpréter.
Les analyses présentées vont plutôt dans le sens d’une absence d’expression artistique alors que les Néandertaliens sont de remarquables artisans comme l’atteste leurs outils.
Un paragraphe est consacré à la culture du Châtelperronien et aux incertitudes sur cette population Néandertaliens ou Hommes modernes ?
L’auteur conclut ainsi : « Néandertal est quant à lui une humanité trois fois fossile, culturellement, biologiquement et éthologiquement.» (p. 187)
Comprendre la créature humaine
Ludovic Slimak rappelle l’ancêtre commun de trois homininés : Néandertal, Sapiens et le chimpanzé. Si les informations génétiques attestent d’un brassage entre Néandertal et Sapiens aucun site, à ce jour, n’a documenté cette rencontre. Combien de temps entre les uns et les autres sur un même site ?
La grotte Mandrin, à Malataverne va peut-être répondre. L’analyse des traces de feu sur les parois a montré que les deux populations ont fréquenté la grotte à la même période.
Reste à comprendre pourquoi c’est aussi le moment où disparaissent les derniers Néandertaliens en Europe. Néandertal quitte la scène quand s’installent dans la vallée du Rhône les artistes de la grotte Chauvet.
L’auteur montre que si on a trouvé des traces d’ADN néandertalien dans les populations sapiens on n’a pas trouvé de traces sapiens chez les Néandertaliens. D’autre part on n’a pas trouvé de trace de conflits mais l’espace européen est vaste. L’auteur avance quelques hypothèses pour expliquer ce « remplacement », évoquant des parallèles avec l’arrivée des Européens en Amérique : choc microbien, technique, d’organisation sociale.
Ludovic Slimak conclut sur la probable différence de compréhension du monde entre les deux humanités. Pour lui ce qui caractérise Néandertal est l’absence de standardisation, par exemple dans ses outils. Il parle de l’unicité des objets trouvés.
A la fin de cette longue quête de l’identité de Néandertal, à la quelle nous a convié l’auteur, il insiste sur la singularité du monde néandertalien.
Un voyage à travers le temps très plaisant.