Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique (partie Recherche), composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées. Quelques varia complètent régulièrement cette partie. La séquence (Sources) approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique (Lectures) regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés et des contributions écrits en français et en anglais (suivis de mots-clés).

Cette revue a été publiée successivement par plusieurs éditeurs : Gallimard (n° 0) en 2003, Armand Colin (n° 1 à 6, H-S n° 1 et 2) de 2004 à 2006, Pepper / L’Harmattan (n° 7 à 20, H-S n° 3 à 9) de 2007 à 2013, Classiques Garnier (n° 21 et 22, H-S n° 10) en 2014 et, enfin, les PUR (depuis le n° 23 et le H-S n° 11) à partir de 2016.

La revue Parlement[s]. Revue d’histoire politique – n° 36 a pour thème : La nuit pénitentiaire. De l’invention d’un modèle à l’impossible décroissance de la population carcérale. Ce trente-sixième dossier a été coordonné sous la double direction de Frédéric Chauvaud (Professeur d’histoire contemporaine, Criham, Directeur de la MSHS de Poitiers). Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la [Recherche] (avec 5 contributions de 5 chercheurs ou chercheuses, jeunes ou confirmées : Ludovic Maugué, Martine Kaluszynski, Aline Martinet, Jean-Jacques Yvorel et Julie de Dardel et la seconde à des [Sources] (au nombre de 3) commentées par trois enseignants-chercheurs : Amélie Chabrier, Frédéric Chauvaud et Jean-Marc Berlière. De plus, dans ce numéro, nous trouvons des [Varia] (au nombre de 3, avec les contributions de Cassandre Feuillâtre, Bryan Muller et François Dubasque) et à nouveau une partie consacrée à des [Lectures] (au nombre de 8) critiquées par 8 historiens (Alexandre Goderniaux, Philippe Boulanger, Frantz Laurent, Cédric Maurin, David Bellamy, Philippe Nord, Maxime Launay et, enfin, Julie Boudon) puis résumées par Jean-François Bérel, auteur des recensions de la revue Parlement[s]. Revue d’histoire politique pour le compte de « La Cliothèque », rubrique du site de l’association « Les Clionautes ».

Avec une introduction (p. 11-20), Frédéric Chauvaud présente le dossier intitulé La nuit pénitentiaire. De l’invention d’un modèle à l’impossible décroissance de la population carcérale. Ce dossier n’a pas la prétention de livrer une fresque panoramique, mais de revisiter et de réfléchir à la naissance de la prison contemporaine, à ses enjeux dont l’inflation carcérale, à s’interroger aussi sur les changements que l’institution pénitentiaire a connus, à aborder l’épreuve personnelle qu’elle représente pour les condamnés comme pour le personnel. Si des chercheurs américains avaient lancé les travaux scientifiques sur la prison pendant l’entre-deux-guerres, le livre de Michel Foucault, Surveiller et punir a fait, en 1975, l’effet d’une déflagration, écrasant les autres travaux sur la prison. Le passage de l’éclat des supplices aux peines obscures, la dialectique savoir-pouvoir, la redécouverte du panoptique et son extension dans une société de surveillance, l’enfermement pénal privilégiant certains « illégalismes » et délaissant la délinquance et la criminalité financière, l’essor d’un discours pseudo-scientifique sur la déviance et le crime, la diffusion de nouvelles technologies de discipline sont quelques-unes des idées-forces développées dans le livre. Depuis les thèses du philosophe ont été discutées, prolongées, renforcées, contredites, mais rarement un essai a eu un tel impact. Les historiennes et historiens, en particulier Michelle Perrot, Jacques Léonard ou Jacques-Guy Petit ont, à partir de questionnements et d’une solide documentation, contribué à faire de la prison un véritable objet d’histoire.

[RECHERCHE]

R 1- La Maison centrale d’Embrun (1800-1815) : la naissance d’un modèle carcéral français ? (p. 23-37)

Ludovic Maugué (Chargé de recherche, Université de Genève et Haute École de santé)

Depuis Rabelais et Montaigne, le terme de progrès est apparu avec une dimension temporelle et morale dans le cadre humaniste de la Renaissance. Avec Bacon, l’accumulation des connaissances scientifiques en devient la matrice. Le siècle des Lumières y ajoute la perfectibilité et un débouché dans le droit et la politique. Kant renforce le lien entre perfectibilité, progrès moral et liberté collective. Condorcet y ajoute l’irréversibilité du progrès, certitude rationnelle, notion enrichie et complexifiée par Proudhon avec la paix et la justice, Saint-Simon avec la sécularisation de la foi, Comte avec l’altruisme.

R 2- La prison en débats sous la IIIe République. Une philosophie pénale au cœur de la République (p. 39-55)

Martine Kaluszynski (Directrice de recherches au CNRS, laboratoire Pacte, IEP de Grenoble)

La prison est, sous la IIIe République, l’objet de nombreuses discussions entre les philanthropes et les hommes politiques car les élites voient dans la réforme pénitentiaire un moyen de résoudre la question sociale. Le projet de réforme est constitutif, majeur, prédominant, pour cette jeune République en quête de légitimité, qui témoigne ici d’une capacité inventive dans la création du politique. C’est la réforme qui initie nombre de projets en cette période et ce n’est pas tant la prison en soi qui est discutée que ce qui peut en éviter l’accès ou le retour. Nous nous attacherons spécifiquement à la loi du 27 mai 1885 sur les récidivistes et à la loi du 14 août 1885 sur les moyens de prévenir la récidive, et nous montrerons en quoi elles sont révélatrices d’une société républicaine en construction, et en quoi elles permettent de comprendre les dynamiques de changement et de régulation à l’œuvre dans l’État républicain. Ces lois, ainsi que le débat national qui présida à leur adoption, se trouvent au cœur même de l’édifice qui aboutira à la constitution d’un État-providence moderne où la loi pénale, base même du lien politique républicain, apparaît comme la seule alternative aux carences d’un pacte social ébréché. La loi pénale devient ainsi un instrument privilégié dans la construction de l’État, et s’installe au fondement de l’identité démocratique.

R 3- Mutations et évolutions de la population carcérale dans les Alpes-Maritimes de la Révolution française à la veille de la Seconde Guerre mondiale (p. 57-80)

Aline Martinet (Docteure en histoire contemporaine, agrégée d’histoire-géographie, Université Côte-d’Azur, MCC)

L’incarcération constitue une expérience individuelle marquante. Le présent article vise à comprendre les trajectoires des hommes et des femmes qui ont vécu dans les prisons des Alpes-Maritimes depuis la Révolution française jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. L’étude de la population carcérale peut être réalisée à la fois de façon globale, à l’aide des registres d’écrou permettant de dégager de nombreux tableaux statistiques et graphiques, et à la fois sous un angle plus humain grâce aux nombreux témoignages laissés par les prisonniers ou par l’administration pénitentiaire. Le nombre important des individus incarcérés peut rendre caricatural toute tentative de globalisation car chacun est singulier. Chaque homme ou femme est enfermé en prison pour une raison propre qui s’inscrit dans son parcours personnel. Il s’agit, à l’aide d’exemples concrets, de brosser un portrait sociologique des prisonniers, d’analyser l’évolution de la population carcérale enfermée à Nice tout au long du XIXe siècle, de comprendre quelles sont les différentes infractions qui conduisent en prison et quelles sont les peines subies.

R 4- L’enfermement des « mineurs de justice » (1830-1939) (p. 81-97)

Jean-Jacques Yvorel (Chercheur associé au Cesdip et au CRHXIX)

Si l’évolution des décisions judiciaires concernant les adultes et les mouvements de la population carcérale des majeurs ont été bien étudiés, il n’en est pas de même de l’enfermement des mineurs. Il ne s’agit pas ici de retracer l’histoire des politiques pénales à l’égard des enfants, nous voulons simplement donner quelques pistes de réflexion sur la propension plus ou moins grande de la société française à enfermer, non pas l’ensemble de l’enfance « irrégulière », même si les liens entre les différentes populations juvéniles prises en charge par l’État ou la philanthropie privée sont nombreux, mais les mineurs de justice, ceux qui comparaissent devant les tribunaux.

R 5- Les prisons peuvent-elles trouver le Nord ? Le modèle scandinave, boussole de la décroissance carcérale (p. 99-112)

Julie de Dardel (Maître assistante, Département de géographie et environnement, Université de Genève)

Les profonds bouleversements sociétaux générés par la crise du Covid-19 n’ont pas épargné le monde pénitentiaire. Poudrières sanitaires et sécuritaires, les prisons sont apparues pendant la pandémie comme des espaces à très haut risque aux yeux des gouvernements. En Europe, des dizaines de milliers de détenus ont été libérés au printemps 2020 dans l’urgence. Ces mesures temporaires de diminution de l’incarcération ont été saluées par de nombreux spécialistes qui appellent aujourd’hui à une pérennisation de cette tendance. Dans cet article, nous explorerons en quoi la notion de « décroissance carcérale » peut être utile pour penser des alternatives, après quarante ans d’hyper-incarcération au niveau international. Nous analyserons le cas des pays scandinaves qui, à contre-courant, ont développé un « modèle réductionniste » susceptible d’inspirer des réformes ailleurs dans le monde au cours des années à venir.

[SOURCES]

S 1- Surveiller, punir… divertir : le cas du bateau-prison La Martinière dans Détective (p. 115-129)

Amélie Chabrier (Maîtresse de conférences en littérature française à l’Université de Nîmes, Rirra21)

Ces deux articles sur le bateau-prison du La Martinière ne sont qu’un exemple du tropisme de Détective pour les lieux comme le bagne et la prison, ouvrant à des séries architextuelles très riches, en même temps qu’ils s’inscrivent dans le discours social autour de ces sujets. Jean-Lucien Sanchez a bien montré que la question du bagne était omniprésente dans l’hebdomadaire. De même, une rapide étude quantitative des séries (constituées d’au moins deux numéros) consacrées aux prisons montre leur récurrence tout au long des années d’existence du magazine, avec plus de quinze titres de presse concernés. Outre les reportages photographiques, on constate que le genre le plus présent est un autre type de récit à la première personne : journaux intimes, confessions, mémoires ou souvenirs, sont particulièrement efficaces pour raconter de l’intérieur ce qui se passe derrière les barreaux, tout en réactivant tout un imaginaire fictionnel.

S 2- Les enjeux punitifs de la prison en images (p. 131-144)

Frédéric Chauvaud (Professeur d’histoire contemporaine, Criham, directeur de la MSHS de Poitiers)

Sans doute peut-on considérer la prison croquée par les dessinateurs de presse et les caricaturistes comme un personnage. Ce dernier, s’il n’est pas absent de la production iconographique consacrée à la justice, ne joue pas les premiers rôles. Le grand public ne lit pas la Revue pénitentiaire et ignore les controverses qui agitent la philosophie pénale et l’administration pénitentiaire, d’abord sous la tutelle du ministère de l’Intérieur puis, depuis 1911, sous celle du ministère de la Justice. Le lectorat doit une grande partie de sa connaissance du monde carcéral aux images qu’il a vues dans le passé et à celles qu’il découvre dans le temps présent et n’éprouve guère de compassion – plutôt de l’hostilité à l’égard des détenus souvent perçus comme des récidivistes en puissance. La prison appartient, du moins dans les représentations graphiques, à une justice qui recherche moins la rédemption du coupable que l’expiation du détenu. La punition relève alors d’une conception utilitariste : protéger la société en mettant à l’écart les condamnés. Il est vrai que le grand public, mais aussi l’immense majorité des parlementaires, ignore presque tout de la prison. Les images en circulation indiquent que seul l’individu est coupable, responsable de l’acte qui l’a conduit dans une cellule, et qu’il a mérité la sanction qui l’a frappé. Le seul horizon qui se présente est celui d’une longue, voire très longue incarcération. Il convient également de souligner que le faible nombre d’images témoigne d’une indifférence, hier comme aujourd’hui, largement partagée par les acteurs politiques et par les justiciables, dont les dessinateurs, qui ne font pas toujours la distinction entre maison d’arrêt et Centrales, entre prévenus en attente d’un jugement et condamnés. Le renfermement graphique traduit bien le fait que le monde extérieur méconnaît la Prison, qu’il ne cherche pas à en savoir plus et préfère en rire.

S 3- « L’exécrable forfait ». La grâce de Soleilland dans Le Petit journal, 29 septembre 1907 (p. 145-152)

Jean-Marc Berlière (Professeur émérite d’histoire contemporaine, Université de Bourgogne)

Présenté comme le type même du récidiviste, irrécupérable, asocial, amoral, Soleilland tient un rôle central dans ce moment. Son personnage tel qu’il fut construit par la presse, les circonstances « odieuses » et « révoltantes » de son crime, son absence de remords, se prêtaient admirablement bien à toutes les variations sur le développement de l’insécurité, la croissance continuelle et menaçante de la criminalité due à une décadence générale des valeurs morales. Cet « être cruel », qui « n’a d’humain que le nom », ce « monstre » constituait le type idéal pour lutter contre l’abolition d’une peine seule capable de débarrasser la terre de tels individus et de la dangerosité qu’ils incarnent. La grâce d’un être « égoïste », « insensible », qui joue en prison à « la manille et au piquet voleur » avec ses codétenus, permit une construction et une mise en scène de l’opinion aux conséquences essentielles.

[VARIA]

V 1- Les récits du sacre de Marie de Médicis : de l’anecdote à la légende noire (p. 155-172)

Cassandre Feuillâtre (Doctorante en histoire au Polen (EA 4710), Université d’Orléans)

Le sacre est un événement important qui marque la vie des reines de France lors d’une cérémonie fastueuse. Cependant, cet événement est à peine repris par les auteurs. Cela est notamment vrai pour Marie de Médicis sacrée le 13 mai 1610. En effet, en analysant un corpus d’une centaine d’ouvrages des XVIIe et XXVIIIe siècles, on constate que cet évènement est à peine décrit. Pourtant, Marie de Médicis est régulièrement évoquée par ces mêmes auteurs qui s’intéressent à sa régence. Au prisme des deux ouvrages de Sully et de Pierre de l’Estoile, Marie de Médicis est érigée comme le contre-modèle de la « bonne souveraine » et ce dès les préparatifs de son sacre. Anecdotique en soi, il devient ainsi annonciateur d’une mauvaise régence.

V 2- « Enfin Fouché le vrai ! » Les méthodes anti et contre-subversives de Raymond Marcellin (1968-1974) (p. 173-193)

Bryan Muller (Docteur en histoire au Crulh, Université de Lorraine et ATER à l’Université Paul Valéry-Montpellier 3)

Les événements de mai-juin 1968 provoquent un traumatisme auprès d’une partie de la majorité. Convaincus qu’une subversion visant à renverser le régime en faveur d’une dictature marxiste a lieu, des militants et élus gaullistes et républicains indépendants tentent de limiter les activités des « agents subversifs ». Nommé par le général de Gaulle et maintenu par Georges Pompidou, le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin joue alors un rôle central dans la mise en place d’une lutte anti et contre-subversives. Le locataire de la place Beauvau défend une certaine vision (fantasmée) de la menace qui pèserait sur le pays. Ses théories et les troubles qui marquent la France, notamment dans les Universités et durant certaines manifestations, nourrissent l’élaboration de nouvelles méthodes et dispositions juridiques visant à combattre plus efficacement les militants révolutionnaires sur le terrain.

V 3- En finir avec les nuits blanches au Palais-Bourbon ? L’impossible réforme des trente dernières années (p. 195-209)

François Dubasque (Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Poitiers, Criham)

La lourdeur croissante de l’activité législative impose fréquemment aux députés de vivre quelques nuits blanches dans l’exercice de leur mandat. Il en résulte d’inévitables crispations, voire des jugements critiques, de la part des acteurs eux-mêmes, sur la qualité du travail parlementaire produit. Depuis le milieu des années 1990, les tentatives de réforme visant à améliorer le fonctionnement de l’institution se sont multipliées, mais sans parvenir à faire disparaître les séances de nuit. Pour comprendre la persistance de ce phénomène, il convient, au-delà de l’analyse conjoncturelle, de replacer le temps du débat nocturne dans une perspective historique plus large afin de mettre en relief la spécificité des comportements et pratiques politiques individuels et collectifs qu’il génère.

[LECTURES]

L 1- Francesco Benigno, Laurent Bourquin et Alain Hugon (dir.), Violences en révolte. Une histoire culturelle européenne (XIVe – XVIIIe siècle), Rennes, PUR, 2019, 216 p. par Alexandre Goderniaux / FRESH, Université de Liège (p. 215-218)

Cet ouvrage comporte dix-sept articles répartis en trois parties, et une conclusion. Celui-ci se caractérise tout autant par la diversité que par l’unité. Les sources qu’il mobilise sont en effet d’une typologie aussi variée (correspondance, chroniques, documents officiels, documents iconographiques) que les contextes envisagés. De fait, bien que l’empan concret (majoritairement 1550-1650) soit plus restreint que celui revendiqué, les articles sont consacrés à des espaces très divers. Les acteurs sociaux étudiés le sont tout autant : envisageant la violence tant du point de vue des révoltés, des gouvernements que de tiers, ce livre réhabilite, à de nombreux égards, la parole d’acteurs parfois effacés des récits historiques traditionnels. Plusieurs contributions consistent, dès lors, en des relectures d’événements que les auteurs qualifient eux-mêmes de bien étudiés. Dès lors, l’ouvrage se révèle particulièrement stimulant pour une réflexion sur les liens entre le pouvoir et l’écriture de l’histoire ou pour une actualisation de notions, telle que la culture populaire.

L 2- Léonard Burnand, Benjamin Constant, Paris, Perrin, 2022, 380 p. par Philippe Boulanger / Sorbonne Université (p. 218-220)

Entre Montesquieu et Tocqueville, se trouve Benjamin Constant (1767-1830), forgeron de la querelle des Anciens et des Modernes, amoureux de la liberté, du jeu et des femmes, auteur du roman culte Adolphe et de Principes de politique encore vigoureux – et sujet d’une double légende (dorée et noire) nourrie tant par ses admirateurs que par ses contempteurs. C’est cette trappe que parvient à éviter l’historien Léonard Burnand, Professeur associé en histoire moderne à l’université de Lausanne, en s’appuyant sur des archives délaissées. Il rectifie, en effet, l’idée fausse d’une carence d’informations sur Henriette, la mère de Benjamin, décédée après l’accouchement, et souvent ignorée par les biographes de l’enfant de Lausanne. S’il ne s’attarde pas exagérément sur les années de formation du jeune prodige à Erlangen en Allemagne puis à Édimbourg en Écosse, où Constant perfectionne sa maîtrise des langues allemande et anglaise, Léonard Burnand consacre surtout de longs développements à la trajectoire intellectuelle, politique et intime de l’enfant du Pays de Vaud, dont les relations singulières avec Germaine de Staël et Napoléon Ier retiennent ici l’attention.

L 3- Pierre Karila-Cohen, Monsieur le Préfet. Incarner l’État dans la France du XIXe siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, coll. « Époques », 2021, 376 p. par Frantz Laurent / Sorbonne Université – Sirice (p. 220-223)

Version largement remaniée de son mémoire d’habilitation à diriger des recherches, le dernier ouvrage de Pierre Karila-Cohen éclaire d’un jour nouveau l’histoire de l’institution préfectorale dont il est un spécialiste reconnu et qui intéresse malheureusement trop peu de chercheurs. À mi-chemin entre histoire des représentations et sociologie des institutions, l’étude se propose de répondre à quatre grandes questions étonnamment négligées par l’historiographie : les modalités de la construction de l’autorité préfectorale dans la France du XIXe siècle, les ressorts concrets de la représentation de l’État sur l’ensemble du territoire français, la capacité des hommes qui ont exercé des fonctions préfectorales à entrer dans un rôle institutionnel, enfin, la manière dont les Français reçurent ce travail administratif. L’auteur a convoqué, pour ce faire, un panel de sources très variées : dossiers de carrière, traités administratifs, manuels (notamment celui de Vatar des Aubiers), presse, littérature, mémoires, correspondances et autres écrits à valeur biographique. En somme, cette étude magistrale et novatrice représente une fort importante contribution à l’histoire du corps préfectoral et montre tout ce que le métier politique doit aux savoir-faire préfectoraux acquis au cours du long XIXe siècle.

L 4- Rollet Catherine et De Luca Barrusse Virginie, Dans l’ombre de la réforme sociale, Paul Strauss (1852-1942), Mayenne, Ined éditions, 2020, 288 p. par Cédric Maurin / UMR Sirice, Paris-Sorbonne (p. 223-225)

La genèse de cet ouvrage est tout à fait particulière car c’est un projet de recherches que Catherine Rollet, grande historienne et démographe, a mené de 2008 jusqu’à son décès en 2016. Virginie De Luca Barrusse a eu la lourde tâche de reprendre et faire publier un manuscrit de notes imposant avec un questionnement central : comment passer de l’approche démographique de l’étude des groupes à celui de l’individu et de la biographie ? L’angle était tout trouvé car Paul Strauss est un des grands réformateurs de la question sociale dans tous ses aspects démographiques sous la IIIe République et les autrices s’attachent à interroger la spécificité de Paul Strauss au sein de catégories léguées par l’historiographie, comme les « juifs d’État » de Birnbaum ou encore les « grands parlementaires » de Dogan. Paul Strauss meurt en 1942 au sein d’une famille persécutée par la politique de Vichy. La lecture de cet ouvrage très riche, précis et si particulier laisse néanmoins une petite frustration car les aspects internationaux sont peu développés. Or, les comparaisons avec les modèles étrangers et les législations étrangères sont permanentes à propos de législation sociale, les circulations des savoirs scientifiques se font aussi dans un contexte international. La participation de Strauss aux congrès internationaux est néanmoins évoquée. Cette biographie marque une étape importante de la connaissance de l’œuvre sociale de la IIIe République, réalisant ainsi la première étape du triple souhait de Catherine Rollet de voir publiées les biographies de Paul Strauss, Pierre Budin et Théophile Roussel.

L 5- Hugo Coniez et Pierre Michon, Servir les Assemblées. Histoire et dictionnaire de l’administration parlementaire française de 1789 à la fin du XXe siècle, Paris, Éditions Mare & Martin, 2020, 2 tomes, 634 p. et 741 p. par David Bellamy / CHSSC, Université de Picardie-Jules Verne (p. 226-228)

La publication de cet ouvrage marque une nouvelle et grande étape historiographique dans la connaissance de l’institution parlementaire française. Plus de 1 300 pages consacrées à ce que Jean Tulard nomme dans sa préface « les coulisses » du Parlement. Deux tomes complémentaires : le premier est consacré à l’histoire de l’administration parlementaire ; le second est un dictionnaire. Hugo Coniez et Pierre Michon, tous deux historiens et fonctionnaires au Sénat, livrent, dans un premier volume, une étude chronologique des structures et du personnel administratifs parlementaires depuis la naissance de l’institution lors de la Révolution française jusqu’à la fin du siècle dernier. En dix chapitres, ils décrivent minutieusement l’histoire de la fonction publique parlementaire, qui est aujourd’hui, et depuis les années 1960, une branche autonome aux côtés des fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière. Les enquêtes prosopographiques des auteurs produisent à cet égard un dictionnaire passionnant. Les ressources de ces deux ouvrages sont encore accrues de répertoires et listes très pratiques, de tableaux de chiffres, d’une bibliographie et d’un état des sources archivistiques, enfin d’un index, ensemble qui en fait un instrument très maniable et pratique, précieux et même indispensable à qui travaille sur l’histoire parlementaire.

L 6- Noëlline Castagnez, Quand les socialistes français se souviennent de leurs guerres, Rennes, PUR, 2021, 477 p. par Philip Nord / Princeton University (p. 228-233)

La mémoire a joué un rôle clé dans la politique identitaire de la SFIO et de son parti successeur, le PS. Telle est l’affirmation qui est au cœur de l’ouvrage richement documenté et densément argumenté de Noëlline Castagnez. C’est une affirmation simple en apparence, et pourtant, comme le précise l’auteur, elle s’avère contenir plus que sa part de complexités et d’ironies. Pourtant, c’est à ce moment précis, alors que le ciel de la mémoire socialiste semble s’éclaircir, que l’histoire de Noëlline Castagnez prend une tournure ironique. Le PS avait fait la paix avec le bilan du socialisme pendant la Seconde Guerre mondiale, mais les révélations sur le service de Vichy de Mitterrand ont brouillé le tableau… Mitterrand est tombé à l’encontre du régime de la mémoire même que la nouvelle génération de militants du PS avait travaillé si dur à construire. Pas avec des résultats fatals, cependant, car Mitterrand allait bientôt quitter la scène, mourant en janvier 1996. La conclusion pointe encore une autre ironie, celle-ci plus conséquente. La bonne conscience du PS vis-à-vis du passé s’est cristallisée plus ou moins en parallèle avec une angoisse croissante face à l’avenir, non seulement pour le parti, mais pour la France elle-même. Lors de son congrès de 1991, le PS reconnaissait qu’il était incapable pour l’instant d’imaginer un monde au-delà du capitalisme.

L 7- Alain Bergounioux et Mathieu Fulla (dir.), Michel Rocard Premier ministre, Paris, Presses de Sciences Po, 2020, 374 p. par Maxime Launay / UMR Sirice, Paris-Sorbonne (p. 233-235)

Souvent associé aux tribulations du second septennat mitterrandien, le gouvernement Rocard n’a que peu marqué la mémoire collective. Pourtant, les trois ans que Michel Rocard a passés à Matignon ont non seulement laissé une empreinte durable sur notre histoire politique, mais le bilan n’est pas négligeable non plus sur le plan des politiques publiques menées. Cet ouvrage collectif, issu d’un colloque organisé en 2018, deux ans après le décès de l’ancien Premier ministre et trente ans après son arrivée à la tête du gouvernement, entend précisément revenir sur l’action, la méthode et la pratique du pouvoir de Michel Rocard entre 1988 et 1991. Réunissant 22 contributions d’historiens, de politistes, d’économistes et d’archivistes, il s’inscrit dans une tradition historiographique désormais bien établie, croisant recherche universitaire et interventions de grands témoins afin d’éclairer le parcours d’hommes politiques de premier plan. Si un lecteur en quête d’un récit linéaire du rocardisme à l’épreuve du pouvoir n’y trouvera pas son compte – la bibliographie, sur ce point, offre déjà des enquêtes journalistiques –, il pourra en revanche y lire des travaux inédits puisant dans les archives publiques et privées de Michel Rocard. Récemment accessibles, elles sont judicieusement présentées dans un prologue par les deux archivistes en ayant eu la responsabilité. Croisées avec des entretiens oraux, des sources imprimées et les archives du PS, elles permettent de saisir cette expérience gouvernementale en cinq temps.

L 8- Reiko Ôyama, La Diète japonaise. Pour un Parlement qui débatte, traduction par Arnaud Grivaud, Paris, Presses de l’INALCO, 2021, 208 p. par Julien Boudon / Institut d’études de droit public, Paris-Saclay (p. 236-239)

Reiko Ôyama est professeure de science politique à l’Université Komazawa, sise à Tokyo. Née en 1954, elle a suivi un cursus juridique et a travaillé à la Bibliothèque de la Diète, ce qui explique qu’elle soit très à l’aise en droit parlementaire et pas seulement dans le domaine des institutions politiques. Nombre de ses travaux sont consacrés au parlement japonais, la Diète, composée de deux chambres : la chambre des représentants et la chambre des conseillers. En 1947, lors de l’entrée vigueur de la nouvelle Constitution, la Diète est très avantagée : élue directement, elle est qualifiée d’« organe suprême de l’État » et « l’unique organe légiférant » (article 41). De la sorte, la Constitution comme la loi organique d’avril 1947 accordent à la Diète une grande autonomie dans le processus législatif. Les choix opérés en 1946-1947 sont parfaitement éclairés par Ôyama (p. 36-43), avec une précision au sujet de l’initiative des lois (p. 71-72) : la doctrine constitutionnelle discute le point de savoir si la Constitution de 1947 ne ménage pas un rôle au cabinet puisque son article 72 dispose que le premier ministre, au nom du cabinet, dépose les « bills » ou « gian » à la Diète. De façon symétrique, l’exécutif est ravalé à un rang secondaire : d’une part l’Empereur (Tennô) n’a qu’un rôle de représentation (article 4), d’autre part le premier ministre est désigné par la Diète en son sein (article 67). De la sorte, les grands enjeux politiques devraient être débattus au parlement placé au centre de l’échiquier politique.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)