Les éditions Autrement rééditent, en version poche,  un ouvrage de Philippe Artières, paru en 2013, dans la collection « Leçon de choses », consacrée aux objets, « lieu d’une mémoire silencieuse ».  Cette réédition vient quelques semaines après celle, dans la même collection, du livre de Éric Hazan, La barricade[1].

Philippe Artières, historien, chercheur au CNRS, influencé par le travail de Michel Foucault, s’intéresse particulièrement à l’écriture : écrits de médecins, d’assassins de la fin du 19ème siècle, aux tatouages… mais aussi aux luttes sociales : événements de  mai-juin 1968 en France, luttes des prisonniers dans l’après-1968, action de Solidarnosc en Pologne… C’est ainsi qu’il a co-dirigé avec Michelle Zancarini-Fournel, 68. Une histoire collective (1962-1981), aux éditions La Découverte (2008 réédité en 2018) qui faisait la part belle aux objets de ces années.

Dans cet ouvrage, cet auteur s’intéresse à la banderole, qui a pour fonction d’être vue mais auquel souvent nous ne prêtons plus attention dans la vie quotidienne. Il s’intéresse, en fait, à l’écrit dans l’espace public. Pour lui, la banderole n’est pas seulement la bande de tissu ou la pancarte sur laquelle nous inscrivons signes d’appartenance, interpellations, revendications, critiques, jeux de mots lors de défilés syndicaux ou protestataires comme le firent les vignerons du Languedoc en 1907. Son étude porte sur tous les écrits éphémères (bannières, graffitis, tatouages, drapeaux, pancartes, defacing sur le web[2]…), ce qu’ils nous disent de la société et ce qu’ils révèlent de l’importance du « pouvoir de l’écriture » encore aujourd’hui (136).

L’auteur présente une rapide généalogie de la banderole puis s’intéresse à la manière dont le corps est écrit : tatouages de marins, écharpes tricolores, façon dont les suffragettes britanniques firent parfois de leur corps une banderole  lors de manifestations.

 Dans un autre chapitre, après avoir rappelé la révolte des prisons en France au début des années 1970, il porte son attention sur la banderole dans les manifestations. On y lira des pages intéressantes sur les dazibaos en Chine, pendant ce que Mao et ses épigones appelèrent  la « révolution culturelle » mais aussi sur mai 68 ou sur les photographies de graffitis et de banderoles prises par Élie Kagan.

Le chapitre intitulé « L’autre drapeau » nous rappelle le combat graphique mené par Solidarnosc et les nombreux Polonais qui soutenaient ce syndicat contre l’ordre graphique que tenta d’imposer le gouvernement après le coup de force de décembre 1981. Drapeaux, banderoles, tracts, graffitis, cartes de vœux, timbres… largement mobilisés témoignèrent alors de la vitalité de la résistance à la dictature de Jaruzelski.

Parfois, la banderole est utilisée pour « contrer le silence de la mort » (p. 93). Ainsi, lors de l’enterrement de Pierre Overney, militant de la Gauche prolétarienne[3], assassiné par un vigile de Renault, en mars 1972. Les militants d’Act-up ont aussi voulu politiser la mort en défilant et en brandissant des banderoles originales : patchworks regroupant plusieurs pièces de tissus portant chacune, au minimum, le prénom d’une personne décédée du sida.

Des banderoles sont parfois visibles dans des arènes sportives, elles peuvent être publicitaires ou à l’initiative de groupes de supporters. Il s’agit alors d’affirmer fortement l’identité du groupe qui les déploie. L’unité du groupe se faisant parfois en étant agressif envers l’équipe adverse voire en humiliant les habitants de la ville d’où est issue celle-ci.

Pour l’auteur, la banderole, d’une « incroyable plasticité », est aussi utilisée sur internet permettant « une extension de la guerre graphique » (p. 133-136).

Ce petit ouvrage sur un objet banal intéressera tous ceux qui aiment prendre en histoire des chemins de traverse. Il rappelle que même dans un monde numérique, l’écrit n’est pas mort. Il permet d’étudier un objet utilisé par nombre de contestataires mais dont l’importance est souvent peu perçue. Ce travail doit être relié avec celui de Êric Hazan sur la barricade mais aussi ceux portant sur les affiches[4] ou un travail peu connu sur les auto-collants[5]. Autant d’objets éphémères auxquels ont recours les mouvements sociaux et qui sont souvent rapidement oubliés.

[1] Dont le compte-rendu est consultable dans La cliothèque.

[2] Le defacing consiste à intervenir sur le site d’une institution ou d’une entreprise pour y changer la page d’accueil, est-il dit p. 134.

[3] Groupe d’extrême-gauche, post-68, qui mariait références maoïstes et libertaires.

[4] La lutte du Larzac a par exemple donné lieu à un beau livre de Solveig Letort avec un avant-propos de Louis Joinet et une préface de : Stéphane Hessel: Le Larzac s’affiche, Seuil, 2011.

[5] Zvonimir Novak, La lutte des signes. 40 ans d’auto-collants politiques, Éditions libertaires, 2009.  Ouvrage que le rédacteur de cette note, à sa grande honte, n’a pas encore lu.