Une réflexion sur l’Europe, la citoyenneté, l’identité à partir de pistes de pensée philosophiques hors des entiers battus….
 

Rosi Braidotti est docteur en philosophie de l’Université Paris I. Son champ de recherche est la philosophie européenne. Dans ce livre l’auteur explique la crise identitaire et institutionnelle que traverse la philosophie contemporaine et propose des pistes de pensée originales et inédites.

La philosophie hors d’elle-même

L’optique de l’auteur est un vécu réfléchi. Son ouvrage repose sur des témoignages autobiographiques et des informations personnelles afin de commenter les conditions contextuelles qui ont influencé la pratique philosophique depuis les années 70. Dans les premières pages Rosa Braidotti nous précise que la philosophie est mouvement : depuis ses origines grecques, elle a été plus proche de la marche que des relations cérébrales statiques. La philosophie est un non –lieu (hors lieu) par excellence car elle échappe aux lieux institutionnels consacrés. L’auteur consacre ensuite quelques pages à l’émergence de nouvelles pratiques philosophiques : Au cours des années 80 la pratique philosophique s’est étendue à des activités situées hors des cadres établis de cette discipline. Ancrés dans la vie réelle et situés hors des limites de la philosophie, les concepts philosophiques ont échappé à leur cadre académique formel pour devenir des modes d’engagement concret à l’égard du monde. Cette mutation reflète l’évolution des conditions socioéconomiques et culturelles . La philosophie s’intègre ainsi aux débats publics sur l’identité, la citoyenneté et la migration, sur les modes de culture populaire et publique. Une nouvelle fonction du philosophe en tant qu’intellectuel public émerge. Les philosophes ont joué un grand rôle dans les luttes pour la défense des droits de l’homme, dans des ONG telles que Médecins sans frontières, Greenpeace. Le Droit est devenu un lieu de réflexion sur des catégories philosophiques telles que Justice, force, conception de l’avenir. L’impulsion philosophique interdisciplinaire devient intense et stimulante. La philosophie se transforme -t- elle en une activité fondamentalement différente lorsqu‘elle devient un événement médiatisé ? L’auteur évoque la fondation du Collège International de Philosophie en 1983 qui reconnaît que la Philosophie est mieux servie en étant située à des « intersections » telles que philosophie/sciences ou Philosophie/Droit. L’évolution du paysage philosophique après 1989 permet l’émergence de perspectives transeuropéennes qui modifient les termes de la relation franco américaine historiquement privilégiée ( La déconnexion transatlantique). L’auteur nous propose à la fin de ce chapitre de considérer « les habitudes mentales, même lorsqu’il s’agit de traditions de pensée, comme des formes d’addictions légalisées dont nous savons qu’il faut les dépasser ».

« Je pense donc elle est » la philosophie au féminin

L’auteur évoque ici la contribution de quelques femmes à l’histoire officielle de la philosophie en tant qu’amoureuses : Simone de Beauvoir et Jean Paul Sartre, la Cordélie de Soren Kierkegard , Lou Andreas Salomé aimée par Nietzsche, Rilke et Freud….. Au centre d’une évolution convulsive qui redéfinit la relation entre la philosophie et ses fondements, ses racines et structures inconscientes ( Freud), le féminin surgit comme symptôme et comme alternative. Avec jacques Derrida et Gilles Deleuze le féminin ou plutôt le « devenir femme » de la philosophie occupera le centre du débat.

L’auteur nous propose une définition du champ de pensée féministes et de ses règles de base. Dans le prolongement de Simone de Beauvoir, la politique du positionnement et de l’expérience demeure le point d’ancrage de la philosophie féministe. L’auteur nous en explique les grandes règles : une philosophie basée sur l’expérience vécue, sur une stratégie de défamiliarisation, de prise de distance de ce qui est familier, intime, connu pour mieux le dépasser.
Cours introductif à la philosophie féministe:
Rosa Braidotti analyse ici les caractéristiques dominantes des philosophies féministes selon une classification en trois volets, trois tendances qui ne s’excluent pas mutuellement. L’empirisme féministe : cette approche avance l’hypothèse que la pratique de la philosophie institutionnelle représente les intérêts, les besoins et les attentes des hommes et vise à remédier à la sous représentativité des femmes. L’école dite du « Parti pris féministe » :qui considère que l’expérience des femmes est le meilleur point de départ pour élaborer de nouveaux paradigmes de savoir. La critique de certains principes fondamentaux des Lumières à l’origine d’une approche plus déconstructive ( déconstruction de la masculinité)

La génération du poststructuralisme

Les féministes de cette génération rejettent le dualisme nature/culture. Elles refusent de réduire le corps à sa nature brute (on naît femme) ou à une simple condition sociale (on devient femme). Au lieu de cela elles situent le corps à l’intersection de la nature et de la culture. Le but est la transformation des structures profondes de la subjectivité féminine et de son imaginaire social de la part d’êtres sexués qui ne se reconnaissent plus comme autre de l’homme ( Luce Irigaray ) . L’auteur évoque le grand succès rencontré par les philosophies françaises poststructuralistes en langue anglaise à partir des années 1980. Succès public et dans les grandes universités américaines. Elle aborde le problème des difficultés de traduction qui déforment les concepts de base. Cette philosophie s’ouvre maintenant à la diversité en développant les outils et la terminologie qui permettent d’analyser masculinité, racisme, supériorité de la race blanche, dogme de la raison scientifique et autres systèmes de valeur soutenus socialement. Dans les dernières pages de ce chapitre, l’auteur développe ses réflexions , très intéressantes, sur la « différence », « l’altérité ». Le sens péjoratif de la « différence » a étayé le colonialisme et le fascisme européens. La notion de « différence » est un concept fondateur de la philosophie européenne et de son histoire.
6- Vers un nouveau matérialisme :

Depuis les années 1990, un nouveau type de matérialisme est apparu dans les philosophies. La philosophie repart de nouvelles découvertes scientifiques autour de la génétique et traite des questions de l’évolution technologique, des questions d’ethnicité, de race, d’identité nationale et religieuse à l’ère de la mondialisation. Une nouvelle génération de chercheuses a élaboré une version contemporaine d’une matière vitale et intelligente, un mouvement vers le « matière réalisme » qui réfute le cadre de référence linguistique et avec lui l’héritage sémiotique et psychanalytique et refuse l’opposition dualiste entre matière et signe, corps et esprit . Une génération de « penseuses nomades et vagabondes » est en train de tracer des pistes inconnues autour d’une matière vitale, génératrice d’une bio puissance que l’auteur nomme « Zoé »( ou vie nomade non humaine) .

La philosophie après l’eurocentrisme: Vers un nomadisme généralisé?

La mondialisation comme condition matérielle de notre existence, engendre une forme généralisée de nomadisme : flux transnationaux de circulation des capitaux, des données informatiques, des gens. La mondialisation procède par mouvements schizoïdes qui multiplient les contradictions sans pour autant en entamer une analyse critique. Cette modernité avancée est saturée de violence et de terreur. Notre culture est définie par des « zones contiguës de contact entre différentes natures et cultures : des frontières, la transculturation, des hybridités, des diasporas multiples.

Ce qui distingue notre époque est le fait que ces zones d’hybridations se situent à l’intérieur des espaces urbains occidentaux et non plus à la marge des territoires coloniaux du passé. L’idée même de ce que l’Europe et ses traditions de pensée représentent dans le monde actuel a éclaté en une série de questions ouvertes et polémiques. Les identités fixes ne résistent plus. Le nomadisme global est une forme de déterritorialisation des identités socialement constituées. Le rapport autrefois très étroit entre origine ethnique, appartenance nationale et citoyenneté est devenu plus flexible ou carrément décalé. Dans ce contexte l’objectif spécifique de la philosophie est de rendre compte de ces complexités en remettant en cause les méthodes clés de la discipline, la linéarité et l’objectivité des raisonnements .

Une certaine idée de l’Europe doit être remise en cause par ce qu’elle coïncide avec la suprématie blanche et « les pouvoirs universalisant de la raison autoréflexive ». L’auteur se concentre sur les deux caractéristiques de cet idéal eurocentrique. La première est la revendication universelle portant sur la structure, la valeur et la fonction de la raison. La seconde est l’importance de la dialectique de soi et de l’autre, la logique binaire de l’identité et de l’altérité comme moteur de la subjectivité. L’auteur développe les conséquences de ces deux caractéristiques, les oppositions qu’elles soulèvent. C’est autour du concept d’Europe et sur le rapport entre l’Europe et la philosophie que la divergence transatlantique s’accentue. L’auteur évoque le débat public sur l’essence de l’identité européenne qui a été perverti et manipulé (surtout après les événements du 11 septembre 2001) par deux questions entrelacées : l’islam et la laïcité.

Elle évoque la vision polarisée de l’Europe et du monde islamique, la percée critique contre l’eurocentrisme développée par la philosophie française depuis les années 70. Au sein de la philosophie européenne elle-même un débat se fait jour sur le type d’entité politique, morale et juridique que l’Europe est en passe de devenir. Une partie de l’intelligentsia parisienne adopte la position de plus en plus intransigeante d’un esprit républicain conservateur. Contre le post structuralisme la classe intellectuelle française a réclamé l’humanisme comme meilleure réponse aux défis de la mondialisation, l’universalisme moral et cognitif comme caractéristique spécifique de l’Europe et la laïcité comme règle indépassable.

Critiques philosophiques de l’eurocentrisme

Rosa Braidotti nous démontre que la question coloniale se situe au cœur de la philosophie depuis la génération existentialiste. Elle commente l’idée même de l’Europe comme notion philosophique qui glorifie la supériorité du sujet européen par rapport à tous les autres systèmes de pensée. Selon elle, la critique de l’universalisme et de l’individualisme libéral est le seul point de départ fondamental pour repenser de façon responsable l’interrelation entre le soi et la société. La nouvelle vague de littérature philosophique qui s’élève contre l’eurocentrisme est intéressante . A la place des grands auteurs canoniques, les trois « H » (Hegel, Husserl et Heidegger) et leurs équivalents de gauche, les trois « M » (Marx, Mao et Marcuse) se profile une autre histoire de la philosophie, un autre canon philosophique. C’est une véritable contre généalogie philosophique qui se met en place dans le but de subvertir les règles de pensée de cette discipline ( Foucault , Deleuze, Edward Said ).

C’est autour du problème de l’humanisme universaliste européen que s’organise l’opposition à ce front d’attaque contre l’eurocentrisme.L’auteur développe les idées qui sous tendent cette opposition : La notion d’individualisme, l’objet de la réflexion éthique, le cosmopolitisme, se réduit-il à l’universalisme rationaliste ?Il ne faut pas demeurer dans des schémas de pensée abstraits ou tournés vers le passé. Une mémoire transhistorique adaptée aux espaces transnationaux de notre monde est la notion clé de la redéfinition du cosmopolitisme postcolonial qui s’oppose à l’universalisme classique. L’auteur évoque ensuite Edward Said puis les théories de Gayakri Spivak et celles du sociologue philosophe et linguiste Stuart Hall selon lequel l’identité est un processus en devenir constant, ce qui positionne les potentiels du futur comme le point de référence privilégié et non pas l’autorité du passé, les revendications nostalgiques d’un passé non contaminé par l’oppression des européens. Enfin Rosa Braidotti consacre quelques pages à Paul Gilroy.

Au cœur de ses analyses : la révolution biogénétique de nos temps et l’impact des médias. L’hybridation induite par l’économie globale, la vitesse des systèmes de télécommunication et l’état de délocalisation généralisée dans lequel nous nous trouvons ne semblent pas diminuer les discriminations raciales et sexistes.

Bien au contraire, ils favorisent la croissance de la xénophobie. Un « racisme sans races » se préfigure en réponse aux déterritorialisations des lignes de démarcation entre les races. Des exemples très révélateurs et très intéressants sont cités. Le chapitre se termine par un commentaire sur Edouard Glissant et la politique rhizomique. Son argument est que ceux qui sont situés entre les lieux, les espaces, les langues et les appartenances (les sujets nomades) sont mieux placés pour entamer le processus de transformation de la relationalité . Il s’agit d’une hybridation qui ne laisse personne intact et transforme le cadre de référence. Rosa Braidotti développe une des innovations principales de la pensée non eurocentrique qui est la méthode de défamiliarisation ou de déterritorialisation de soi. La désidentification d’avec tout ce qui est familier ce qui implique l’abandon lucide et volontaire des structures et habitudes de pensée. Cette stratégie est particulièrement valable, nous dit l’auteur, dans une époque telle que la notre qui voit un renouveau de macro et micro nationalismes à l’échelle planétaire.

Des européens transnationaux

Suivent des pages très riches sur l’Europe, ce qu’elle signifie, sur quoi elle s’est fondée. Il ne s’agit pas de qui sont les européens mais de ce qu’ils sont capables de devenir. Le philosophe Michaël Walzer avance que, alors que le multiculturalisme est le mythe politique fondateur des Etats unis, l’homogénéité culturelle fonde l’identité européenne. Et pourtant l’histoire de ce continent démontre le contraire. Le point de vue des philosophes de la pensée postcoloniale est que nous sommes dans l’hybridité ethnique et le devenir nomade généralisé. Le modèle classique qui reliait la citoyenneté à l’appartenance à un territoire et à une communauté (un Etat Nation et une culture) et l’opposait à une condition d’apatride, n’est plus approprié . Le fait de dissocier les trois unités de base qui composent la citoyenneté ( l’origine ethnique ou le lieu de naissance, la nationalité ou le lien avec un Etat et la structure juridique ou la citoyenneté réelle) crée les conditions nécessaires à une transformation radicale . Ces trois facteurs dissociés et désarticulés peuvent être assemblés de nouveau de diverses et intéressantes manières On aboutit à la redéfinition du concept de citoyenneté européenne qui doit être redéfinie en termes transnationaux en tirant les dures leçons du passé et par rapport aux complexités de la mondialisation.

Dans « Les nouveaux cosmopolites » L’auteur présente les travaux du philosophe et sociologue allemand Jürgen Habermas qui explore les principales questions philosophiques soulevées par le cas de l’Union européenne. Elle évoque également les théories de Seyla Benhabib , de Jacques Derrida. Le chapitre s’achève sur la philosophie politique de Gilles Deleuze et Félix Guattari qui considèrent que le nouveau contexte mondial permet de resituer la notion d’Europe comme projet nomade et non ethnocentrique. Ils dénoncent les mythes de l’homogénéité culturelle de l’Europe. »Le religieux » aussi se fait voyageur et se vit en termes de diaspora : désoccidentalisation du christianisme, occidentalisation du bouddhisme. L’avenir ne pourra être que métis, multiple et porteur « d’un devenir-monde des structures mêmes de notre subjectivité ». Le centre est désormais partout.

Vers une philosophie post-humaine

Le dépassement de l’anthropocentrisme : Le trait le plus distinctif de la culture et de la société contemporaines est la convergence entre des branches de la technologie différentes. Les biotechnologies et l’ingéniérie génétique d’un côté, les technologies de l’information et de la communication de l’autre interviennent dans la reconfiguration de la matière vivante. Cela produit une prolifération de pratiques sociales, industrielles, scientifiques et politiques qui ne sont plus renfermées dans un horizon humain mais relèvent de la vie toute entière y compris non humaine. Rosa Braidotti évoque les déraillements spatio-temporels actuellement en cours, les effets de fragmentation structurelle du temps auxquels nous sommes soumis, la coexistence de la haute technologie avec des archaïsmes dans les mœurs et les pratiques sociales. Ce qui compte n’est plus la spécificité de l’espèce mais la vitalité et la mutabilité de la matière vivante humaine. Les transformations profondes de notre époque entraînent l’effacement de la distinction entre l’humain et les autres espèces. L’auteur dénonce les ravages du capitalisme avancé qui prend l’aspect d’un système qui promeut un féminisme sans femmes, un racisme sans races, une écologie sans nature, une reproduction sans sexe, des sexualités sans différences, une croissance économique sans développement et des flux financiers sans argent ou relation à l’économie réelle. Le devenir-animal :Rosa Braidotti dénonce les conditions d’existence matérielle des animaux qui ont atteint une dimension dramatique à l’époque de la mondialisation. Elle consacre quelques pages à Donna Haraway (cyborgs, oncosouris et politique) et avance qu’en tant qu’hybride ou corps-machine , le cyborg est un engin relationnel ou une entité établissant des connections qui rendent floues les distinctions catégoriques ( humain/machine , Nature/Culture, Mâle/femelle). Elle accorde une place de choix à Gilles Deleuze et le « devenir-animal » : La puissance de l’animal consiste à son attachement à un territoire qui le définit et qu’il définit à son tour. Il est commun d’opposer le « Monde » des hommes au « Milieu » des animaux. Le devenir-animal consisterait à développer des formes de compréhension subtiles de ce que les corps sont capables de faire, de devenir et de transmettre. Les différentes phases du devenir sont des moments de reconstructions du rapport à l’altérité. La robotique contemporaine ne s’inspire pas seulement du corps humain pour en dupliquer les capacités et propriétés physiques et neuronales. Le corps animal fournit des modèles de loin supérieurs à l’humain : le sonar des dauphins, l’odorat des chiens….La « Vie » dépasse l’humain mais l’entoure de tous côtés.

La conscience pensante et sa rationalité n’est qu’un écran et une barrière contre la joie et l’horreur d’une vie qui par définition nous échappe. Dans la dernière partie de cet ouvrage, l’auteur aborde la mortalité qui fait partie intégrante de la matière vivante La mortalité apparaît comme un « devenir-imperceptible » pas comme le contraire de la Vie mais comme l’un des composants essentiels de ses devenirs.

Le post-humain planétaire ou devenir –monde : L’hypothèse Gaia et l’écologie profonde :Ces théories positionnent la terre comme un organisme holistique et unitaire et exigent une position éthique pour faire face à la vitalité du sujet géopolitique qu’est la planète. Le « devenir –animal » rejoint ici un devenir plus général, un « devenir-monde », un devenir imperceptible qui fait de nous des parties intégrales de la vie sur cette planète. L’identité individuelle n’est qu’un point de relais dans une chaîne de relations multiples, complexes , contradictoires. Nous, les humains ne sommes ni les propriétaires de cette vie qui nous anime ni les dirigeants des forces productives qui la structurent : nous sommes immanents à Zoé. La conscience souveraine se voit obligée d’accepter cette contigüité dangereuse avec une matière dont elle a du mal à accepter l’intelligence.

La mort, la terre, le sort : Avec la visualisation de la vie des gènes, des cellules d’ADN et des codes génétiques un imaginaire social génétique naît par exemple dans les pratiques médicales, la culture populaire, le cinéma. L’objet de ce chapitre est d’explorer les implications de ce nouveau paysage social sur notre attitude envers la mort et les nouvelles façons de mourir. Rosa Braidotti déclare que « la métaphysique de la finitude est une façon bien myope de soulever la question des limites de ce que nous appelons « vie ». La soustraction ultime n’est selon elle, qu’une phase dans un processus génératif. Un groupe important de chercheurs dont elle fait partie met l’accent sur la politique de la « vie elle-même » en tant que force générative implacable. Techno (im)mortalité : Le discours célébrant l’union des humains et de la technologie électronique qui circule actuellement dans la communauté scientifique et la culture populaire alimente un rêve d’immortalité ou d’identité terminale en dehors du corps , celui d’une sorte de « cybersujet ».Les machines ne meurent pas pourquoi serait ce le sort des techno-humains ? Si en ce début du troisième millénaire, la seule constante est le changement alors le défi réside dans la façon de penser les processus plutôt que les concepts. Par ailleurs, la vitesse des transformations induites par la technologie déplace les conventions établies par la pensée et les certitudes morales. La notion de « vie » en tant que force vitale est cruciale. La vie est une énergie cosmique qui est à moitié animale (Zoé) et à moitié discursive ( bios). Le défi éthique implique d’approcher le monde par l’affect et non par la cognition, comme une singularité, une force, un mouvement à travers des réseaux d’interconnections entre tout ce qui vit. Cette vie non anthropocentrique exprime le désir de dépersonnaliser la vie subjective et la mort. Ce n’est qu’une vie, pas ma vie La vie en moi ne répond pas à mon nom. « je » ne fais que passer. Cette philosophie de la mort comme processus est liée à la philosophie du temps chez Deleuze, pris comme endurance et durabilité.

La mort comme événement qui s’est déjà produit : La mort est derrière nous. Elle est l’événement qui a toujours pris place au niveau de notre conscience. Elle s’imposera au sens de l’extinction physique du corps mais en tant qu’événement, au sens de la conscience de la finitude : la mort a déjà eu lieu. Les forces de Vie et de mort sont recodées par les nouvelles théories philosophiques dont l’auteur nous facilite les grandes lignes. La vie est éternelle mais cette éternité se postule sur la dissolution du soi, de l’ego individuel. L’auteur nous explique ensuite le « devenir-imperceptible » de Deleuze : faire mourir son soi afin d’entrer qualitativement dans des processus de devenir plus affinés. La vie en nous se poursuivra dans les pouvoirs génératifs d’une Vie impitoyablement non humaine.

Noëlle Bantreil Voisin