Un premier ouvrage sur le pétainisme. La 4ème de couverture présente ainsi l’auteur : « Philippe Laborie est né dans les Landes en 1968. Il enseigne l’histoire au collège depuis 1992. Sa passion pour l’histoire du Vercors ainsi que son intérêt pour les archives et l’histoire des représentations l’ont porté tout au long de l’écriture de ce livre qui constitue sa première publication ». En 2017, il découvrit un manuscrit rédigé sur sept cahiers d’écolier, dans un fond des Archives départementales de l’Isère, où il avait été déposé par son auteure, Madeleine Guyot, avec un délai de consultation de trente ans.

Il prit conscience du caractère « exceptionnel » du document sur le pétainisme (l’expression est du professeur Gilles Vergnon, spécialiste de l’histoire et de la mémoire du maquis du Vercors, dans la préface qu’il a rédigée pour cette édition) et entreprit alors « un long et minutieux travail de recherche, pour l’éclairer, l’interroger, l’annoter, le compléter par d’autres documents (photographies, sources familiales, plans de localisation), en extraire tout le suc », toujours selon Gilles Vergnon.

Un modèle d’édition critique

 Disons d’emblée, que si le journal de Monique Guyot est un document exceptionnel, l’ouvrage qui le présente est un modèle d’édition critique. L’ouvrage est constitué de trois parties distinctes.

La première partie (62 pages), intitulée Monique Guyot, le retour de Jeanne d’Arc, est une analyse par Philippe Laborie du contenu du journal de Monique Guyot, le manuscrit découvert aux Archives départementales de l’Isère, et une présentation des événements qui y sont relatés, dont Monique Guyot a été le témoin et l’actrice, qui se déroulent pour l’essentiel à Villard-de-Lans et sur le plateau du Vercors, entre le début de 1944 et mai 1945. Je conseillerais de lire cette analyse après la seconde partie, afin de découvrir par soi-même le contenu du récit.

La seconde partie (173 pages) est la retranscription du texte du journal de Monique Guyot, auquel elle avait donné pour titre, Le Revers de la médaille. Il s’agit d’un journal personnel tenu de janvier 1944 à mai 1945. Il est possible de lire les corrections et réécritures qu’elle a faites par la suite : les corrections immédiates sont signalées par une barre sur les mots concernés, les annotations apportées par l’auteure à son journal dans les années 1980, en le relisant, sont en gras et dans une police différente. Un barré double accompagne les corrections du texte des années 1980. Corrections et retouches sont assez rares et ces choix de rigueur typographique ne gênent pas la lecture.

Philippe Laborie a rédigé environ 800 notes de bas de page (900 pour la totalité de l’ouvrage) qui permettent d’identifier les personnes citées, de contextualiser les événements dont parle Monique Guyot, de localiser les lieux qu’elle évoque, de préciser en les corrigeant chaque fois que nécessaire les chiffres qui sont donnés. Le contenu de ces notes traduit une parfaite connaissance de l’histoire du maquis du Vercors, des chefs résistants et des maquisards, de la répression, ainsi que des lieux et de la topographie. Les références bibliographiques sont précises et nombreuses, et la connaissance que l’auteur a du terrain est évidente.

La troisième partie est constituée par des annexes (42 pages) qui sont de trois types :

  • La retranscription d’un tapuscrit de Monique Guyot, intitulé Eté 44 au Villard-de-Lans, et daté de 1945. Il s’agit d’un texte écrit à postériori, rassemblant les notes de Monique Guyot dans un texte plus synthétique que le journal. Philippe Laborie estime que « cette partie possède une dimension par endroits plus littéraire que le journal».
  • Une sélection de lettres extraites de la correspondance de Monique Guyot. « Ces extraits permettent d’éclairer les textes du journal grâce à d’autres points de vue, notamment celui de son neveu Jean Crabrières, dit Yani », qu’elle adore et dont il est beaucoup question dans le journal car elle se rend plusieurs fois à Marseille et à Toulon pour s’efforcer de le faire sortir des geôles de la Gestapo et, au moins, de lui faire passer des colis.
  • Une chronologie synthétique qui permet de mettre en perspective les événements locaux et les événements nationaux et internationaux.

Il faut ajouter à cet ensemble un encart de 23 pages (comprenant quatre cartes, de nombreuses photographies, une reproduction du manuscrit), quinze pages de sources, bibliographie et sitographie, un index des lieux et un index des personnes. Le lecteur dispose ainsi de tous les outils nécessaires pour apprécier le texte, le mettre en perspective et en appréhender l’intérêt historique.

Monique Guyot : une femme jeune, indépendante et sportive, directrice d’une pension d’enfants à Villard-de-Lans, propriétaire d’une ferme dans un hameau du Vercors

Quand elle prend sa plume pour écrire, à l’encre violette, la première ligne de son journal sur un cahier d’écolier, le vendredi 21 janvier 1944, Monique  Guyot est une femme de 38 ans, professeur de musique et directrice d’une pension d’enfants à Villard-de-Lans (lieu de tourisme florissant, avec des maisons d’enfants et des transports réguliers avec Grenoble), qu’elle a créée et qu’elle gère avec sa mère.

Monique Guyot était la troisième d’une famille de quatre enfants élevés par leur mère, après la mort précoce de leur père. Elle ne se maria jamais, mais adopta un petit garçon dans un orphelinat, en 1946. Elle donne des leçons de piano dans diverses pensions et parcourt le plateau du Vercors. « Femme de caractère, aimant débattre et comprendre, elle parcourt inlassablement le Vercors occupé par la Résistance, puis Vercors-martyr après son anéantissement par les troupes allemandes. » C’est une sportive, elle a pratiqué le ski dans sa jeunesse, l’alpinisme et la randonnée en haute montagne autour de Grenoble.

En juin 1943, elle achète une ferme et des terres au hameau de Loscence, à côté de La Chapelle-en-Vercors, à 25 kms de Villard-de-Lans, au cœur du Vercors drômois, plus isolé et agricole que celui de Villard-de-Lans. Son objectif est de se ravitailler, mais aussi « de vivre au plus près des gens de la terre, ceux qui dans l’esprit de Pétain possèdent les vraies valeurs mises en avant par la Révolution nationale ».

Elle parcourt fréquemment, seule, chargée de ravitaillement, les 25 kms qui séparent sa ferme de sa pension, sur des sentiers difficiles alors que des centaines de réfractaires affluent sur le plateau. Elle fait la tournée des fermes et revient lourdement chargée de marchandises. Eprise de liberté et profondément croyante, elle présente souvent ces marches difficiles et dangereuses dans le contexte de l’été 1944, comme des pèlerinages. Pendant les trois semaines de l’anéantissement du maquis du Vercors par les Allemands, elle reste avec sa mère à Villard-de-Lans, renonçant à ses allers-retours à Loscence. Le 12 août 1944 elle reprend le chemin de sa ferme et traverse le Vercors dévasté par la terrible répression.

Elle rend compte dans son journal des horreurs qu’elle observe, des incendies, des destructions, des cadavres en putréfaction un peu partout, les Allemands ayant interdit les inhumations. Monique Guyot traverse les ruines de La Chapelle-en-Vercors et celles de Vassieux-en-Vercors ; elle recueille les témoignages des survivants. Elle vit la Libération et les mois qui suivent à Villard-de-Lans, se rendant parfois à Grenoble.

Monique Guyot : une « pétainiste convaincue, une légionnaire de la première heure », et qui le restera jusqu’à sa dernière heure

Elle se qualifie ainsi elle-même dans son journal, à la date du 29 août 1944. Ce pétainisme absolu, assumé, persistant jusqu’à la Libération, et dans les années suivantes d’ailleurs, est l’élément le plus étonnant, le plus dérangeant (et avouons le, le plus insupportable, à la lecture du manuscrit). « Un des principaux apports des carnets de Monique Guyot est de contribuer à mieux éclairer ce que fut sans doute le « pétainisme » de millions de personnes dans la France occupée », écrit  Gilles Vergnon dans sa préface. Il ajoute : « Plus que maréchaliste, car elle n’en a pas la dimension opportuniste et étroitement personnifiée (elle soutient aussi Pierre Laval et puise une bonne partie de son argumentaire dans les propos de Philippe Henriot, qu’elle admire), Monique Guyot fut une pétainiste, c’est-à-dire une partisane du régime et de sa politique », même si son profil ne correspond pas aux stéréotypes du pétainisme !

Elle pense que « le pays avait avant tout besoin d’ordre et de discipline », que Pétain est l’homme de la situation, qu’il est le chef officiel et légitime de la France, que l’armistice a sauvé la France et que tout Français digne de ce nom lui doit obéissance. Il protège la France et les Français, il est chrétien, protège la religion et les croyants. La Révolution nationale ne mérite que des louanges. Elle pleure presque à la lecture du dernier message du maréchal, « le plus beau de tout ce qu’il a jamais écrit ».

Rien dans l’évolution dramatique de la situation politique et militaire du pays et du Vercors plus particulièrement, ne la fait changer d’avis, alors que son frère est un militaire, cadre de la Résistance et qu’elle le rencontre à plusieurs reprises. Elle cache à peine ses opinions au cours de ses multiples rencontres avec des maquisards, des résistants, et beaucoup d’autres dont elle ignore les opinions. Son pétainisme perdurera.

Après la Libération encore, elle conserve, à ses risques et périls et à la vue de tous, un portrait du maréchal Pétain accroché au mur. Quand enfin elle se décide à le décrocher, c’est pour le mettre dans sa chambre… et constater alors qu’elle doit se dévêtir le soir face au portrait ce qui ne lui semble pas très correct ! L’enquête menée par l’auteur auprès de la famille nous apprend que sa fidélité au maréchal durera jusqu’à sa mort.

On ne sait pas quelles sont les origines de cette pensée réactionnaire, éducation, tradition familiale, lectures ? Il est difficile de comprendre qu’aucune remise en question ne s’opère au fil du temps. On constate à la lire, que cette idéologie s’enracine dans un antisémitisme évident, « dans un anticommunisme virulent, un rejet viscéral du désordre qu’amène le refus de l’autorité instituée ». Monique Guyot craint une révolution rouge qui lui semble inéluctable quand viendra la Libération ; elle voit « les brigades internationales » avancer sur les pas des maquisards.

Elle déteste les Allemands et l’Occupation, constate les horreurs dont ils se rendent coupable sur le plateau du Vercors, les décrit comme « des êtres repoussants et brutaux », mais ne semble pas consciente des effets de la politique de collaboration. La Milice garde sa sympathie, et elle ne veut pas voir sa  collusion avec l’Occupant. Elle déteste et méprise les résistants, la Résistance, la France libre et les Alliés. Mais elle n’aime pas les collaborateurs et à aucun moment elle n’envisage un acte de délation alors qu’elle a connaissance de beaucoup de choses. Ce qui explique sans doute qu’elle n’ait pas été inquiétée à la Libération.

Monique Guyot : détestation de la Résistance, des maquisards, des Alliés, du général de Gaulle

« Le journal de Monique Guyot ressemble à un long reportage sur les résistants, une enquête inhabituelle pour nous lecteurs car elle est menée par une femme qui ne les apprécie pas, les redoute même. » Les résistants ne sont presque jamais qualifiés de « résistants » : ils sont des « réfractaires », et surtout des « dissidents » : ils désobéissent, refusent de reconnaître l’autorité du maréchal ; ils sont donc fauteurs de désordre et d’anarchie. Les résistants sont irresponsables, provoquent les Allemands et déclenchent leurs réactions répressives. Ils sont donc des victimes et les vrais responsables des massacres. Mal rasés, mal vêtus, ils ressemblent plus à des bandits de grands chemins qu’à une véritable armée : elle reprend à son compte les mots de Laval et de Philippe Henriot sur la « ridicule armée secrète ». Ils sont la plupart du temps inactifs, paresseux.

D’ailleurs, s’ils ont gagné le maquis, c’est parce qu’ils n’ont pas eu le courage d’aller travailler en Allemagne, là où était leur devoir. Elle ne supporte pas les contrôles établis par le maquis sur les routes et les chemins. Elle peste contre cette tyrannie et ces actes « illégaux ».

Mais comme elle se déplace beaucoup, elle les rencontre souvent, et on constate qu’ils sont polis avec elle. Propriétaire d’une ferme en plein maquis, elle n’a souffert d’aucun mauvais geste. Elle n’a jamais été arrêtée ou emprisonnée. Elle a toujours obtenu les laissez-passer qu’elle demandait. Aussi Philippe Laborie constate-t-il qu’« elle nous transmet sans le vouloir un portrait poignant de ces hommes courageux, épuisés par des semaines d’errance à dormir en pleine nature, sous-alimentés, véritables « hommes des bois » ».

Elle distingue les jeunes hommes qui ont gagné le maquis des chefs qui les y ont entraînés. Ces chefs sont des incapables, qui ne savent pas se battre, qui d’ailleurs n’ont pas d’armes, ou qui, quand ils en ont, ne savent pas s’en servir. Ils ne contrôlent pas leurs hommes. De plus se sont des lâches car ils sont prompts à se sauver, à fuir, à abandonner leurs hommes et les populations civiles. L’auteur observe que « cette opinion radicale correspond parfaitement aux idées de Vichy et plus particulièrement à l’idéologie de la Milice ». Elle n’a rien compris à la stratégie choisie ; restée à Villard-de-Lans durant l’invasion du plateau et la répression, elle n’a pas vu les maquisards se battre, n’a pas apprécié le rapport de force, et n’a pas compris que le décrochage n’est pas la fuite.

« Elle nous présente les combats du Vercors, comme une vaste fuite sans gloire. Il s’agit donc bien plus de ses idées projetées sur des faits qu’elle ne comprend pas totalement ou qu’elle ne veut pas imaginer. Avec les éléments qu’elle a vus, les ruines, les cadavres, les rumeurs, elle construit ses propres interprétations des faits et cela lui suffi pour construire sa vérité. »

« Ça ne va pas mieux qu’avant »

Aucun doute pour elle : le bilan de la Résistance est négatif. Les maquisards ne sont pas morts pour la France ; en provoquant les Allemands, ils ont suscité des représailles. Les populations n’ont pas voulu écouter les mises en garde du maréchal ; « Les dévastations et tueries sont la suite fatale de ce que le maréchal Pétain avait prédit » : l’effroyable massacre qu’elle constate ne la fait pas changer d’avis. Les résistants sont les véritables responsables du drame du Vercors.

La situation du pays n’est pas meilleure ; elle déplore les pénuries, les privations et souffre du froid durant l’hiver 1944-1945. L’occupant américain a remplacé l’occupant allemand, il est accusé de piller le pays après l’avoir détruit en le bombardant. Les résistants sont divisés entre eux, le « désordre » règne. Or, le désordre est son obsession, et c’est De Gaulle qui en a donné l’exemple en refusant d’obéir au maréchal. Une période sombre de règlements de compte violents et souvent injustifiés s’ouvre avec la Libération. Elle en veut beaucoup aux gendarmes qui n’ont pas suivi le pétainisme et les lois de Vichy comme c’était leur devoir, et ont trop souvent servi la Résistance.

« Aujourd’hui, les cahiers de Monique Guyot, malgré leur caractère inédit et rare, n’ouvrent pas une nouvelle polémique sur l’histoire du Vercors ». Nombreuses sont les études historiques sur ce sujet, mentionnées dans la bibliographie. On sait que les populations civiles ont été indispensables au maquis et l’ont soutenu. Mais on sait aussi, et ce journal nous le confirme pas plusieurs aspects, que les populations n’ont pas toujours été tout à fait favorables au maquis, que la contrainte s’est exercée pour obtenir du ravitaillement, et que les populations redoutaient d’abord les représailles sanglantes.

Ce journal nous rappelle « que le Vercors n’a pas été une terre ou vécurent seulement des résistants, et des populations favorables à la Résistance ». « Fidèle aux idées du maréchal Pétain, elle pense détenir des vérités historiques que l’Histoire n’a pas retenu, d’où le titre qu’elle a choisi d’inscrire sur la couverture des cahiers après coup : Le Revers de la médaille (…) Son journal est un exutoire de ses pensées dissimulées, de  ses angoisses de femme pendant les années noires. Il nous livre un récit à contre-courant des récits habituels sur cette période, mais constituant un document d’une grande richesse pour comprendre les mentalités des hommes et des femmes de cette époque difficile ».

La remarquable analyse du journal de Monique Guyot proposée par Philippe Laborie dans la première partie de l’ouvrage, aborde encore d’autres apports de ce document, relatifs notamment à la circulation de l’information et des rumeurs et à la construction de la mémoire du Vercors. Nous laisserons aux lecteurs le soin de les découvrir.

© Joël Drogland pour les Clionautes