Les images d’Epinal ont la peau dure et les professionnels du tourisme les entretiennent: cocotiers, sable blanc, vahinés, eau turquoise… en voici quelques-unes accolées à la FOM (France d’Outre-Mer) lorsque l’on évoque le tourisme dans ces territoires. Jean-Christophe Gay, spécialiste de ces espaces et membre de l’équipe MIT, ouvre son propos en rappelant quelques-unes des caractéristiques de cette France du lointain: éloignement, dynamisme démographique, situation économique compliquée. Dans ce tableau général, le diagnostic porté par l’auteur sur le tourisme ultra-marin est rude : une mauvaise santé générale, et le désordre statistique en est le reflet; il est, selon lui, impossible de donner le nombre de touristes se rendant dans l’outre-mer.
La France ultra-marine n’est pas touristique par essence et Jean-Christophe Gay établit les étapes de sa mise en tourisme. Née au tourisme au XIXème siècle, elle n’est recherchée que pour ses hautes terres par un nombre limité de touristes. Puis vint, dans les années 50, l’ère du balnéaire et les images paradisiaques répandues par le Club Med qui, bientôt associées à l’amélioration du transport aérien et à l’investissement de l’état, permirent le décollage du secteur touristique en pleine vague « sea, sun and sand ». L’essor de l’activité profita, principalement dans les Antilles, de l’afflux de moyens dans les années 70 puis d’un corpus législatif autour de la loi Pons (1986), prévoyant des avantages fiscaux pour favoriser l’investissement, chambres, infrastructures de plaisance. Par contre, l’auteur insiste sur l’absence de mesures destinées à accompagner la fin desdits avantages, omission à l’origine de friches touristiques dans les années 90 et 2000.

Malgré une mise en tourisme volontariste, ces terres ne figurent pas parmi les plus fréquentées. Même si le tourisme est devenue une activité souvent essentielle, sa part dans le PIB et les flux en direction de la FOM continuent d’être inférieurs à ses voisins; la Polynésie recevant ainsi cinq fois moins de visiteurs que Guam ou deux fois moins que les Fidji. Autre indice de cette infériorité, seules Guadeloupe et Martinique réceptionnent plus de touristes qu’elles n’ont d’habitants.
Parmi les explications convoquées, le manque de compétitivité, l’accueil médiocre, l’absence de vie nocturne, une ambiance sociale délicate (grèves de 2009 sous l’impulsion d’Elie Domota), la question foncière (en Nouvelle-Calédonie), une forme d’hostilité aux touristes participent à la situation précaire du tourisme d’outre-mer.

Au-delà des traits communs, Jean-Christophe Gay distingue deux systèmes touristiques:

*Celui des départements se caractérise pêle-mêle par une sur-représentation des Français de métropole expliquant l’hégémonie des vols à destination de la France, l’absence des grands groupes hôteliers internationaux, la présence d’hôtels à l’abandon (établissements Méridien de la Pointe-du-Bout en Martinique et de Saint-François en Guadeloupe), ou en partie investis par des particuliers, ou encore le manque de plages pour la Réunion et la Guyane.

*Le système Pacifique au lien plus lâche avec la métropole du fait de l’éloignement et dont la clientèle, plus hétérogène (française, européenne, Pacifique) vient attirée par le rêve polynésien, pour vivre un moment fort (se marier), parfois dans une démarche pragmatique (se marier en Nouvelle-Calédonie revient moins cher à un couple japonais que de le faire dans son pays). L’hébergement marchand et le tourisme d’agrément prennent ici le dessus sur l’accueil par des proches et le tourisme affinitaire.

Ces deux systèmes, associés aux particularités géographiques des départements et de l’espace Pacifique, participent à la construction d’une organisation spatiale particulière. Les départements insulaires présentent une structuration en auréoles, de l’espace littoral à forte concentration d’activités aux hautes terres intérieures. Les territoires du Pacifique s’agencent sur le modèle Centre/Périphérie, autour de Nouméa et de Tahiti bien qu’une diffusion s’opère en Polynésie à Mooréa, Bora-Bora, aux Tuamotu, sur l’Ile-des-Pins en Nouvelle-Calédonie. Quant à la Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, le tourisme y demeure confidentiel (à peine 150 000 visiteurs par an).

En conclusion, Jean-Christophe Gay met en évidence les difficultés structurelles auxquelles sont soumis ces territoires pour développer l’activité: les transferts de l’état, l’absence de motivation des populations en grande partie liée à la faiblesse des rémunérations. Il attire à nouveau notre attention sur la difficulté à évaluer et donc à bien envisager le tourisme Outre-mer et recommande aux autorités de créer un observatoire du tourisme de l’outre-mer. Il pointe aussi les possibles afin de dynamiser les territoires par le tourisme: en Guyane, étoffer l’offre en construisant des hôtels forestiers à l’instar des états voisins; en Polynésie, ouvrir une 2ème porte d’accès, un 2ème aéroport, peut-être dans les Tuamotu, pour déployer l’activité.

Jean-Christophe Gay commet là un vrai bon livre, le sujet est « exotique » et on s’évade grâce aux superbes photos couleur (32 au total) du cahier central. Et puis, trêve de plaisanterie, en un nombre de pages réduit, il réussit le tour de force de dresser un tableau complet, mais non exhaustif bien entendu, du tourisme d’Outre-Mer.
Enfin, et cette dernière remarque s’adresse plus particulièrement aux professeurs, mais aussi aux étudiants et aux candidats aux concours, cet ouvrage est une mine d’or, 106 documents (textes, cartes, graphiques…) en 136 pages, présentés sous forme d’études de documents suivies d’une synthèse organisée; des études de cas et je pense notamment à celles de Bora-Bora, Saint-Martin ou Saint-Barthélémy.