Les questions sont rassemblées en cinq thèmes.
La première partie vise à comprendre les liens entre le terrorisme et l’idéologie du complot. On retiendra la définition de terrorisme acceptée par les deux intervenants et inspirée du code américain : « usage délibéré de la violence ou de la menace de la violence pour atteindre des objectifs qui sont de nature politique, religieuse ou idéologique […] par le recours à l’intimidation ou à la coercition ou en inspirant la peur » (p.14). Les auteurs dénoncent alors l’extension de la définition par l’Union Européenne, qui devrait permettre, avec des interprétations déformantes, d’intégrer au terrorisme les mouvements contestataires alter-mondialistes. Sur la deuxième guerre du Golfe, celle de 1991, Chomsky apporte une interprétation originale : l’Irak ne s’attendait pas à une réaction aussi ample de la part des Etats-Unis, lesquels ont ensuite laissé Saddam Hussein en place « comme contrepoids à l’Iran » (p.47).
La deuxième partie vise à comprendre les structures politiques internes des pays du Proche-Orient. Entre « intégrisme et démocratie », ces pays connaissent d’inquiétants soubresauts. L’intégrisme est considéré par Achcar comme la marque de la défaite du nationalisme laïque, largement encouragée selon lui par les Etats-Unis qui allèrent même jusqu’à soutenir les talibans en 1996. Chomsky ajoute l’exemple d’Israël qui suivit la même politique en discréditant continuellement l’O.L.P., pourtant empreinte de ce nationalisme laïque, et surtout en soutenant des groupuscules islamiques dans les territoires occupés à la fin des années 1980. Face à cet intégrisme, la démocratie semble mal en point, puisque seuls le Liban, la Turquie et Israël peuvent revendiquer ce type de régime. Evidemment, aux yeux des deux débatants, la politique américaine ne vise nullement à favoriser l’installation de démocraties dans la région, tant cette politique est finalement marquée par les seuls intérêts occidentaux. Ainsi, Achcar souligne l’absurdité selon laquelle « Washington considère le gouvernement saoudien comme un grand ami, mais empêcherait un gouvernement de type iranien de prendre racine en Irak, au nom de la laïcité » (p.79).
Dans un troisième temps, les deux interlocuteurs débattent des « sources de la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen Orient », c’est-à-dire des enjeux en cause. Ils en retiennent deux : le pétrole, comme « point focal de divers intérêts économiques et stratégiques » (p.90), et la sécurité d’Israël, aux relations avec les Etats-Unis beaucoup plus complexes que ne le laisseraient croire les discours souvent caricaturaux. Ainsi, il faut rappeler les tensions que provoquèrent les exigences de la diplomatie américaine au sein des cercles sionistes au début des années 1990.
La quatrième partie fait le point en une centaine de pages (soit autant que les trois premières parties réunies) sur les conflits du « Grand Moyen Orient ». Afghanistan, Irak et question kurde occupent l’essentiel des échanges, qui ouvrent sur les zones de tensions potentielles que sont la Syrie et l’Iran. Les interventions américaines dans les deux premiers pays sont bien sûr fortement liées aux attentats du 11 septembre 2001, même si Achcar et Chomsky y voient aussi les résultats d’arrière-pensées plus profondes et plus anciennes. Alors qu’en Irak, la volonté états-unienne était de prendre quasiment le pouvoir dans le pays, en Afghanistan il n’était envisagé que l’installation d’un gouvernement contrôlé et d’une présence militaire continue. C’est ainsi que pour l’Irak, le scénario Chalabi, qui envisageait une insurrection extérieure au parti Baas, a été privilégié par la diplomatie américaine, au détriment du scénario Allaoui, qui privilégiait une révolte interne. Cela a évidemment pour conséquence non seulement la fin du parti Baas mais plus généralement le démantèlement des structures fondamentales de l’Etat, en particulier l’armée et la police.
La cinquième et dernière partie se concentre sur le seul conflit israélo-palestinien. Chomsky refuse l’hypothèse d’un « règlement à deux Etats ». Il ne s’agirait pour lui que d’une première étape vers une fédération sur le modèle espagnol ou belge (!). La paix est intimement liée aux oppositions internes aux sociétés israélienne et palestinienne : ainsi, les élites ashkénazes soutiennent les mesures néo-libérales au détriment des masses misrahim, les Juifs orientaux, et alors que le million de Juifs russes s’opposent non seulement aux politiques social-démocrates mais aussi à toute tentative de paix. Les deux auteurs s’accordent à relativiser l’essor d’un éventuel antisémitisme en Europe occidentale et tout particulièrement en France.
L’ouvrage s’achève sur une rapide mise à jour par chacun des intervenants six mois après leur rencontre, ce qui leur permet en particulier de faire le point sur la situation en Irak ou sur l’installation du Hamas au pouvoir.
La connivence entre les trois hommes, intervenants et arbitre, est réelle, ne serait-ce qu’idéologiquement. Ce sont deux hommes d’une gauche peu adepte de la social-démocratie, très critiques à l’encontre du géant américain et de ceux qui localement en sont les alliés. On a donc là un dialogue d’intellectuels aussi magnifique qu’orienté. C’est sans aucun doute l’une des limites de cet ouvrage. L’autre tient au titre : « La poudrière du Moyen Orient » ne correspond qu’imparfaitement au sujet du dialogue. Il s’agit en effet surtout de saisir et critiquer la politique américaine sur place davantage que de comprendre la géopolitique interne à la région. L’intervention des Etats-Unis y est omniprésente.
Cependant, ce livre mérite de rejoindre nos bibliothèques et tables de nuit. Le dialogue entre ces deux grands esprits est une formule stimulante, d’autant que le caractère scientifique des affirmations est affirmé par la présence d’un riche appareil de notes.
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