L’agronome Pierre Feillet fut directeur de recherche à l’I.N.R.A. et est un éminent spécialiste des questions agronomiques. Cela lui vaut d’être membre de l’Académie d’Agriculture de France. Il tente dans La nourriture des Français de décrire les différentes étapes de l’histoire alimentaire de notre pays et de présenter les grandes questions futures.

Compte-rendu par François da Rocha Carneiro, Lycée Jean-Moulin, Roubaix

Il organise son propos en trois temps.

L’histoire de l’alimentation depuis les périodes préhistoriques

La première partie consiste à donner un aperçu rapide de l’histoire de l’alimentation depuis les périodes préhistoriques. Un des premiers tournants intervient il y a environ 160.000 ans, alors que l’Homo erectus élabore les premières méthodes de conservation de la viande chassée, comme le montre l’exemple de la grotte du Lazaret. Avec la fin de la période glaciaire, le gibier se fait rare. L’Homo sapiens apprend, il y a 10.000 ans, à privilégier un autre aliment, dont il prélève une partie pour semer : l’agriculture est née. Dans le même temps, il domestique suffisamment quelques animaux pour devenir éleveur. Cette domestication des espèces sauvages semble être à l’origine de nouvelles pathologies humaines aux origines animales, les zoonoses. Aux temps historiques, les progrès de l’agriculture, aux techniques de plus en plus variées, ne permettent pas d’éviter les famines et disettes qui reviennent à période régulière. L’auteur profite de cet aperçu pour proposer un rapide exposé de l’histoire du sel, du sucre et des épices. Il dresse ensuite le portrait de sept personnages qu’il considère comme fondamentaux dans l’histoire de l’alimentation (Olivier de Serres, Louis de Vilmorin, Mendel, Appert, Pasteur, Liebig et Claude Bernard). Ainsi, il aborde différents progrès de la production et de la conservation des aliments ainsi que l’apparition du nutritionnisme. Pierre Feillet consacre ensuite une bonne vingtaine de pages à l’ère agro-industrielle. Les progrès agricoles participent pleinement alors de la phase d’expansion économique des Trente Glorieuses. La nourriture des Français se transforme sous l’effet conjugué de l’abondance alimentaire et du changement de mode de vie, illustré par la grande distribution et par la restauration hors foyer. Le chercheur aboutit enfin aux O.G.M., qu’il aborde davantage comme objet scientifique que comme centre d’un débat éthique qu’il résume aux seules inquiétudes des consommateurs. L’ensemble de cette première partie est agrémenté d’une chronologie des principales innovations agro-alimentaires.

« Les médecins, les hygiénistes et les cuisiniers s’invitent à notre table »

Elle résume l’ensemble des questions agro-alimentaires actuelles. Un premier point insiste sur l’apparition d’une nutrition raisonnée, sous l’égide d’une « diététique (qui) devient une science ». L’obésité et la question du bien-vieillir terminent cet aperçu, permettant de souligner le lien entre pratiques agro-alimentaires et mode de vie. Le plan socialisant de l’alimentation est repris ensuite dans une douzaine de pages consacrées aux peurs alimentaires et surtout aux solutions hygiénistes et au principe de précaution. Enfin, les cuisiniers sont mis à l’honneur dans une série de pages dans lesquelles la nutrition devient le bien-manger, résumé pour la période récente à la « nouvelle cuisine » et à la cuisine moléculaire (p.146).

Cinq scénarios pour les trente prochaines années

Le premier consisterait en un 1984 scientifique, où les biologistes imposeraient leurs vues alimentaires et où les aliments seraient de synthèse. La technologie aurait envahi le lieu cuisine, au point que le cuisinier ne semble plus qu’un distributeur d’activités à des machines excessivement performantes. On est là dans une fiction amusante, angoissante mais évidemment incertaine. Le deuxième scénario attribue davantage d’autorité aux pouvoirs publics qui pourraient ainsi aller jusqu’à prescrire une alimentation saine. La troisième piste est l’exact inverse de la précédente : cette fois, le pouvoir serait entre les mains d’industries agro-industrielles avides de profit au point d’agir non seulement sur notre goût mais aussi sur les autres sens, en particulier sur l’odorat. Ces grands groupes mettraient aussi en circulation un nombre croissant d’« aliments-santé ». Le quatrième scénario viserait à la massive adoption de mesures protectrices, par le refus des pesticides, par la réduction des irrigations et des dépenses d’énergie, par la généralisation de l’agriculture biologique. Enfin, le cinquième scénario est un peu une macédoine de différentes idées, avec comme thème fondateur la victoire des consommateurs.

Le livre de Pierre Feillet se laisse très agréablement lire. L’auteur maîtrise évidemment à merveille son sujet et sait rendre simple des débats aux contours parfois bien flous et aux arguments souvent complexes. En revanche, son plan confus et l’organisation étrange de ses propos nuisent beaucoup à cet ouvrage au thème pourtant essentiel. Les professeurs de lycée pourront s’en servir éventuellement pour enrichir leur cours sur « Nourrir les hommes » en classe de seconde, mais il faudra davantage y voir une lecture de vacances qu’un manuel de base sur le sujet.

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