Publié par l’institut d’histoire ouvrière économique et sociale, cette histoire de la presse clandestine est une œuvre collective réunissant Michel Hannotte ( Dir), Micheline Zanatta, Jeanne Marie Noiroux et Lily Rochette Russe chercheurs associés à titre bénévole dans ce centre d’archives privées.
L’ouvrage qui comprend en annexes de nombreuses reproductions de ces titres de la presse clandestine ainsi que des notices biographiques est organisé autour de quatre parties. La lutte antifasciste avant 1940, le choc de l’invasion, le panorama de la presse clandestine et combattre sur d’autres fronts avec une évocation de la complémentarité entre la diffusion de presse, le renseignement et la lutte armée.
L’odeur de l’encre et du papier…
Dans cette Seraing la rouge, dans cette ville ouvrière de Wallonie, l’enseignement obligatoire et les sociétés de culture populaire telles qu’elles se sont développées en marge des mouvements socialistes et syndicaux du nord de l’Europe, la lecture de la presse écrite constitue sans doute un enjeu décisif. C’est sans doute pour cela que la première préoccupation des troupes allemandes a été de mettre sous contrôle les titres de la presse quotidienne. De la même façon, et illustrant parfaitement cette définition des balbutiements de la Résistance, comme « un refus spontané de la défaite » la première feuille clandestine de Seraing voit le jour dès mai 1940. La publication de ces feuilles se poursuit pendant toute la guerre avec deux titres amiraux, le Monde du travail et la Churchill gazette. Autour de ces titres, les plus réguliers, se développent des feuilles d’entreprises, des journaux de parti, comme le parti communiste belge ou le parti ouvrier belge. (Socialiste).
Le syndicat enseignant, appelé PES, (Personnel enseignant socialiste) joue également dans ce groupe de villes industrielles autour de Seraing, un rôle important. La société d’étude populaire comme l’Escrime organise déjà en 1935 des débats autour de la guerre des races et de la lecture de Mein Kampf, une prise de conscience précoce des dangers du nazisme.
Dans ce monde ouvrier wallon, les mouvements de solidarité avec les républicains espagnols par exemple, sont là aussi solidement implantés tout comme les jeunes gardes socialistes et les milices de défense ouvrière. À l’évidence, la population de Seraing et d’Ougrée compte dans ses rangs un fort contingent de militants et de résistants potentiels. Mais cette région industrielles devient également, pendant les années noires, un centre de diffusion remarquable d’une presse clandestine régulière dans sa parution, bien documentée, diverse dans ses tendances, et de ce fait, impitoyablement réprimée par l’occupant.
… Une odeur de liberté…
De la première feuille dactylographiée, comme Radio patacoye , en passant par le journal ronéotypé avec ses dessins formés directement sur le stencil de la Churchill gazette, à la mise en page très professionnelle du monde du travail », on imagine sans peine les multiples talents, le courage et l’inventivité de ceux qui ont été les rédacteurs, dessinateurs de presse, dactylos, imprimeurs et diffuseurs de ces titres.
Sur les trois cent soixante dix militants qui participent au Monde du travail, sans doute plus de dix pour cent ont payé de leur vie leur engagement… Au fur et à mesure de l’avancée de la guerre, la répression est devenue plus forte. Les arrestations plus nombreuses se sont largement soldées par des déportations.
On ne peut alors qu’être admiratif devant ces remarquables reproductions de feuilles clandestines ronéotypées dans les conditions difficiles que l’on connaît. Ces feuilles sont toutes présentées à la fin de l’ouvrage, dans une série remarquable que l’on pourrait facilement utiliser en classe. On pourra alors établir des comparaisons entre la feuille « spontanée », le refus de base de la défaite, comme Radio patacoye, et son humour décapant, et « le monde du travail », organe politique du parti socialiste belge.
De la même façon, on peut opposer le style de la Churchill gazette, et celui de la presse syndicale ou communiste d’entreprise, comme L’ouvrier mineur ou l’exploité de Cockerill.
La présentation de cette presse clandestine de Seraing est absolument remarquable. L’institut d’histoire ouvrière, économique et sociale a la chance de disposer d’un véritable panel de ces feuilles de combat et les chercheurs de l’institut grâce à la qualité de ces sources et archives ont pu aisément retracer leur histoire mais aussi celle des femmes et des hommes qui ont payé très cher leur engagement.
On appréciera notamment la présentation sociologique des rédactions de ces feuilles, composées de petits employés, d’enseignants, de mineurs et de métallos mais aussi de notables. Dans la Churchill gazette, le service public est largement représenté mais la gendarmerie également. Les élites par contre, industriels, magistrats sont par contre largement sous représentées… De quoi peut-être alimenter un argumentaire sur « la trahison des possédants », chemin sur lequel il convient de rester prudent.
Bruno Modica
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