L’auteur, professeur d’histoire honoraire à Is-sur-Tille (Côte d’Or) et membre de la Société d’histoire Tille-Ignon (SHTI), choisit ici d’évoquer la présence des troupes américaines en France à la fin de la grande guerre et dans les mois qui suivent les traités de paix. Des ouvrages récents et anciens avaient certes évoqué la question mais, comme annoncé en quatrième de couverture où l’on mentionne l’existence d’études «universitaires très pointues;» et de «;récits d’historiens locaux », l’auteur souhaite ici s’adresser au public non universitaire en lui présentant un ouvrage simple et surtout une riche iconographie annoncée comme «très largement inédite;», même si
certaines photographies nous sont déjà connues
Le plan de l’ouvrage est relativement clair. Il comporte cinq grandes parties: L’Amérique choisit son camp, (elle) met ses forces en place, (elle) intrigue et séduit les
Français, (elle) fait basculer la guerre, l’Amérique et la France tissent de nouveaux liens. Ces parties se composent de chapitres d’autant plus courts qu’ils sont richement illustrés.
Le principal défaut de ce livre est sans doute dans sa qualité première. La facilité d’accès ou la simplicité peuvent surprendre le lecteur habitué à la rigueur des exigences universitaires. Ainsi, la bibliographie présentée dans les premières pages mentionne t-elle les ouvrages d’Y. Nouailhat ou A. Kaspi mais sans date et sans éditeur. On conçoit qu’il n’est pas toujours chose aisée pour les auteurs, d’obtenir de l’éditeur une mise en page prenant en compte les sources de façon précise. La remarque vaut pour un certain nombre de citations présentes au cœur de l’ouvrage sans qu’on puisse en connaître exactement la nature et la datation. Souvent plus consensuel que distant avec le sujet, l’auteur dénonce cependant «l’occultation scandaleuse;» de l’utilisation du chlorure de sodium par les médecins américains contre la très mortifère épidémie de grippe espagnole de 1918. Ce virus H1N1, très proche du H5N1 de la grippe aviaire, n’a été isolé qu’en 1997. Selon l’auteur, le
scandale se poursuit avec, à la Réunion, le dénigrement et la censure qui frapperaient aujourd’hui l’usage du dit remède contre le chikungunia. Une note de bas de page évoque l’hypothèse de l’existence de virus résultant éventuellement de manipulations génétiques volontaires…(p. 56).
On regrettera par ailleurs, qu’un ouvrage, qui cite tant de noms de lieux et de personnes, ne soit pas pourvu d’un index ou d’une table des illustrations qui, au delà de l’usage universitaire possible, permettent à chacun d’y retrouver son village ou sa région.
C’est de toute évidence dans le regard porté sur l’espace français qu’est l’autre grande qualité de l‘ouvrage. La diversité des sources y est pour beaucoup. L’auteur mêle en effet travaux d’érudits locaux, sources orales et analyses universitaires en y intégrant ses souvenirs familiaux.
En Bourgogne, en Champagne ou dans la vallée de la Loire, beaucoup de lycéens et collégiens y retrouveront la trace d’une base américaine dont ils n’avaient pas soupçonné l’existence. Les photographies, cartes postales, croquis ou peuvent très pertinemment illustrer un exposé d’élève ou illustrer un cours. Celui-ci peut par ailleurs être étoffé par la foule de détails rapportés par l’auteur avec un talent indéniable. Ainsi en est-il du rôle des chevaux dans l’artillerie (p. 56) et des progrès réalisés dans les soins des animaux grâce au concours des vétérinaires américains. Idem du macadam qui vient améliorer l’état des routes françaises avant qu’elles puissent accueillir les convois américains.
La question de l’accueil réservé aux Américains et des malentendus
entre les deux cultures revient tout au long de l’ouvrage. Même si elle est
souvent l’objet de remarques pertinentes, on peut être décontenancé par son organisation.
Ainsi la société américaine passe t-elle pour ne pas connaître les mêmes aristocraties, la même imperméabilité entre milieux sociaux que la société française.Encore faut-il souligner que les Américains noirs sont l’exception notable. La chose est d’autant plus vraie que la question revient dans tous les ouvrages universitaires sur le sujet. En étendant à l’ensemble de la population française les remarques de l‘abbé Chauveau.
Joël Mangin affirme que la ségrégation raciale ne gêne en rien les Français qui la pratiquent aussi (p. 77). Il témoigne de ses doutes sur le sujet en reproduisant un avis contraire quelques pages plus loin (p. 106). Contre la première affirmation, il faut rappeler que si, sauf pour les vieilles colonies, les unités coloniales sont effectivement constituées sur la base de critères ethniques dans un contexte colonial ségrégationniste, il est faux de croire que les Français ne se choquent pas de la façon dont les Américains noirs sont traités par leurs compatriotes blancs. Si l’une des illustrations de l’ouvrage présente un cliché comme l’une des rares photographies où se mêlent Américains noirs et blancs, il convient sans doute de souligner que les dits noirs sont tous assis par terre. Tous les auteurs français et américains ayant travaillé
le sujet savent combien la brutalité et la ségrégation ont choqué.
La chose explique le sentiment de liberté ressenti par les Américains noirs en
France quand leurs compatriotes blancs ressentent avec colère l’absence de stricte séparation dans le territoire de la métropole et, surtout, le fait que les relations sexuelles entre hommes noirs et femmes blanches ne soient pas a priori considérées comme le comble du crime et de l’obscénité en France métropolitaine. On regrettera peut être que cet aspect ne soit pas présenté dans un ouvrage qui a vocation à une large diffusion tant cette rencontre États-Unis-France joue sur le regard que les deux sociétés portent sur elles-mêmes. L’attitude américaine conforte ainsi les Français dans l’idée qu’ils sont de bons colonisateurs. On sait que la découverte de la France par les Américains noirs entraîne, en retour, une recrudescence des lynchages, le
fameux Red summer de 1919. Evoquant des viols que l’opinion américaine
attribue volontiers à des Américains noirs (p. 103), l’ouvrage fait également
mention de la pendaison à Is-sur-Tille, d’un lieutenant blanc auteur du viol
d’une fillette de huit ans (p. 113). Il se trouve que cet événement rapporté
par une dépêche Havas ne fut cité aux Etats-Unis que dans quelques journaux
noirs lesquels reprochaient à leurs homologues blancs de reproduire complaisamment
tous les crimes commis par des soldats noirs exécutés sans enquête et sans
jugement.
Autre aspect de cette rencontre franco-américaine, l’étonnement des Français devant l’extrême mobilité sociale et professionnelle des Américains, évoluant dans une société où dans les limites évoquées plus haut, peut à bien des égards se révéler plus ouverte que la leur;. Le succès du jazz apparaît avec les Hell Fighters, du 69e d’Infanterie. Les Américains impressionnent également en jouant Dvorak ou en faisant connaître le base-ball et la boxe, laquelle sera promise à un grand succès en France. On apprend également l’existence de journaux internes publiés par les unités américaines parmi lesquels Toot sweet (transcription du «tout d’suite;»
des commerçantes françaises) de la base de Savenay. L’indiscipline des Américains frappe également les Français, notamment les employés de chemin de fer désespérés par l’ampleur de la resquille, les commerçants volés ou les témoins de beuveries mémorables. L’ouvrage en fait simplement le constat. Sur la question des vols, il semble, d’après H. Levenstein, que certains conflits s’expliquent par la suspicion des soldats vis-à-vis de commerçants eux-mêmes victimes de la nouveauté que représentait une inflation galopante. Reste que la présence américaine fait monter les prix, phénomène classique du tourisme, qu’il soit civil ou militaire. C’est notamment le cas dans la Sarthe à propos du prix du beurre. On s’amuse au passage que des Français aient osé rendre la monnaie en pièces démonétisées. Des Américains auraient eux-même résolu les problèmes de hausse des prix en payant
les Français en dollars des «Confederate States». Joël Mangin évoque le souvenir qu’ont laissé chez les témoins français les exploits soulographiques des «sammies» et les ruses qu’ils emploient pour pouvoir consommer de l’alcool au bar ou au camp, au nez et à la barbe de la Military police (les MPs). On connaissait depuis H. Levenstein l’étonnement des touristes américains du XIXe devant cet étrange pays où les restaurants servaient de l’alcool. Cette consommation n’était pas systématiquement associée à des lieux de perdition interdits aux honnêtes femmes ou à de mémorables beuveries collectives. Il est clair que les «doughboys» (ou «sammies», à qui l’armée ne fournit pas d’alcool, ne sont guère préparés à comprendre un pays où l’on en sert en toute occasion sans pour autant finir ivre mort. Joël Mangin fait également remarquer la différence d’origine sociale entre les premiers
volontaires américains et les vagues qui les suivent. Levenstein l’avait fait à l’échelle séculaire en comparant touristes américains huppés du XIXe et catégories plus modestes du XXe.
La construction des camps et des hôpitaux américains n’est pas sans poser de problèmes de main d’œuvre. D’après les cartes de circulation conservées à Savenay, les ouvriers employés sur ces chantiers peuvent être chinois, algériens, marocains, tunisiens, monténégrins, grecs, portugais, anglais de Malte ou levantins. On note qu’une carte des retrouvées mentionne un Israélite du Levant, selon une surprenante mention officielle de judéité. A Rimaucourt (Haute-Marne), un traité sino-américain permet d’employer 298 Chinois au chantier de l’hôpital. A Beaune, la construction du grand hôpital entraîne une longue controverse entre l’entreprise et la chambre de
commerce qui l’accuse de drainer une main d’œuvre ainsi détournée des vignes
ravagées par le mildiou. On en appelle même au président du conseil Clemenceau,
qui a sans doute alors d’autres chats à fouetter.
On ira également avec amusement la page consacrée au commissaire de Savenay persuadé de l’existence d’un complot «boche;» prévoyant de diffuser des ouvrages licencieux parmi les Français et les Américains afin d’augmenter la propagation des maladies vénériennes et de réduire ainsi le nombre des soldats dirigés sur le front (p.
113). Plus sérieusement, l’auteur met en évidence le changement constitué par
l’arrivée massive de véhicules à moteur sur des routes qui en connaissaient alors fort peu. Le fait explique le nombre relativement important d’accidents signalés et d’animaux écrasés. On sait par ailleurs par Nouailhat et Levenstein l’importance de l’accident automobile en pleine ville comme élément d’exaspération de la population dans le déroulement des incidents anti-américains de Saint-Nazaire en avril 1919
A Is-sur-Tille, c’est le facteur qui est écrasé, ce qui entraîne la limitation de la vitesse à 12 km/h et l’obligation nouvelle d’équiper d’une lanterne allumée les automobiles roulant de nuit.
L’ouvrage de Joël Mangin rapporte avec beaucoup de talent une foule de détails et d’innovations techniques liés au passage des Américains en France en 1917-1919. Même s‘il ne fait pas toujours preuve de la plus grande sévérité d’analyse au yeux d’un lectorat enseignant, c’est un livre destinée à une large diffusion. Il trouve sa place dans le CDI d’un établissement scolaire et mérite largement d’être intégré aux préparations de cours et aux exposés voire aux lectures complémentaires d’élèves. Outre une évidente possibilité d’illustration, sa très riche iconographie peut illustrer ou fournir la matière à préparation d’activités ou de sujets de devoir, en 3ème ou en 1ère.
Le caractère bilingue des documents permet une exploitation en classes européenne anglais comme dans les cours classiques.