La Révolution française aurait-elle eu lieu sans le concours de la presse écrite ?
C’est par cette question d’histoire-fiction que l’auteur ouvre son livre. Jeremy Popkin est un historien américain spécialiste de la presse sous la Révolution.
Cet ouvrage est un résumé de ses recherches sur la presse révolutionnaire rédigé à l’occasion d’une invitation au Collège de France en mai 2009 organisé par Daniel Roche et Roger ChartierCHARTIER Roger, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990., un des spécialistes français de l’imprimé à l’époque moderne .
Jeremy Popkin a souhaité orienter ses recherches sur la presse de la Révolution en tant que pratiques culturelles et non, au contraire de Jacques Godechot, comme caisse de résonnance du politique. Pour l’auteur, si J. Godechot a envisagé la presse révolutionnaire sous cet angle exclusivement politique lorsqu’il écrit dans les années 1960, c’est essentiellement en fonction du contexte. En effet, à l’époque, la presse quotidienne est le média numéro 1 incarnant le contre-pouvoir. Or ce n’est plus le cas aujourd’hui où la concurrence médiatique plonge la presse dans de profondes difficultés, économiques, notamment.
En étudiant les transformations des médias au cours de l’époque révolutionnaires, Jeremy Popkin souhaite ouvrir quelques pistes pour comprendre la mutation des médias que nous sommes en train de vivre actuellement, en France et dans le monde.
La « révolution des médias » de 1789
La presse révolutionnaire, un champ autonome du politique
Comme dans tout livre d’histoire qui se respecte, l’auteur prend le temps de situer son travail de recherche dans le paysage historiographique international de la Révolution française. Ainsi, Jeremy Popkin étudie donc le champ journalistique de la Révolution comme un champ autonome de celui du politique. Le journal est avant tout une forme d’imprimé et un des aspects de la culture littéraire avec ses codes, ses langagesOn pense tout de suite ici au Père Duchêne et son langage… « Fleuri »…, ses pratiques de lecteurs et d’écrivain. Certes, la politisation des journaux sous la révolution est évidente mais n’est pas systématique et il existe donc une « culture du journal » autonome de la « culture politique ».
Les champs de la presse et plus généralement du livre, se sont autonomisés peu à peu grâce aux travaux de Roger Chartier et Robert Darnton dont se réclame Jeremy Popkin. En effet, ces historiens ont focalisé leurs recherches sur les lectures et leurs pratiques populaires, loin des salons et des textes des grands auteurs, peu diffusés, au final, dans la France du XVIIIème siècle.
L’auteur s’est également inspiré des recherches en sciences sociales de Bourdieu notamment, autour du concept d’habitus afin d’englober dans l’étude de ce champs de la presse, celles des interactions humaines tissées autour des journaux.
Pour Jeremy Popkin, l’étude de la presse révolutionnaire est peu à peu tombée en sommeil à cause de la montée de l’histoire culturelle mettant l’accent sur la diversité des pratiques de cette « culture révolutionnaire » dont la presse n’est qu’un des aspects.
Cependant, pour lui, la presse n’est pas un aspect parmi d’autres de cette culture naissante sous la Révolution. La presse se détache des autres pratiques par sa permanence sous la période et son intégration dans la vie quotidienne tant des élites que des gens du commun. En effet, si le livre, selon Roger Chartier, était au XVIIIème siècle, une pratique individuelle, le journal, lui, devient une pratique collective créant ainsi une communauté de lecteurs et journalistes conscients de faire partie d’un public lisant la même chose en même temps.
Définir le « champ journalistique » sous la Révolution
En empruntant le concept de « champ journalistique » à Bourdieu, Jeremy Popkin le définit comme l’ensemble des périodiques parus durant cette période. La particularité d’un champ est qu’aucun de ses éléments ne peut être étudié isolément mais toujours par rapport aux autres. Un journal sous la Révolution ne se positionne que par rapport aux autres. Il prend ainsi pour exemple l’Ami du peuple de Marat qui n’est un journal extrémiste que par rapport aux autres qui restent plus modérés dans leurs propos.
Le positionnement des journaux qui organisent ce champ ne sont pas que politiques mais également stylistique et langagier. Les journaux, nombreux et souvent éphémères à l’époque, doivent donc survivre (et se définir) dans ce champ très concurrentiel par leur positionnement par rapport aux autres journaux.
Ce champ, comme de nos jours, est donc structuré par la compétition que se livrent les différents journaux qui sont avant tout des entreprises économiques dont la survie dépend de la fidélité de leur lectorat qu’il faut sans cesse séduire.
Paysage de la presse en France à la fin du XVIIIème siècle
Ce champ journalistique de la Révolution n’est pas celui du XVIIIème siècle. On passe ainsi, avec l’accélération des évènements qui caractérise cette période d’un journalisme d’information à un journalisme d’opinion. En effet, la Gazette de France, création de Richelieu est le seul journal à évoquer les faits politiques tout en taisant ceux remettant en cause le pouvoir. C’est ainsi que les lecteurs français ont vite recours à des journaux d’information politique provenant essentiellement de l’étranger avant 1789 comme la Gazette de Leyde. Cependant ces gazettes n’ont pas vocation à contester le pouvoir et à mobiliser les lecteurs, sans compter que leurs sources d’information émanent en grande partie du gouvernement français… De plus, fait important, les nouvelles de ces gazettes n’arrivent en moyenne qu’une semaine après les évènements empêchant ainsi les lecteurs de réagir rapidement. Dans ce contexte, seuls les pamphlets circulant sous le manteau, mais assez aisément cherchent à mobiliser leurs lecteurs et non plus seulement à les informer comme le font les gazettes. Cependant ces pamphlets, productions occasionnelles, même s’ils peuvent créer la sensation, ne permettent pas d’établir un lien durable avec leurs lecteurs. La seule presse pouvant fidéliser un lectorat est celle du périodique scientifique ou littéraire, le domaine politique étant interdit. Les périodiques témoignent du changement progressif du mode de lecture en France : le lecteur recherche la nouveauté et la diversité des sujets.
Une nouvelle presse sous la Révolution, esquisse d’une « nation » de lecteurs
C’est dans un de ces périodiques détenu par l’imprimeur Panckoucke que sévit un journaliste ancien avocat, Linguet. Expulsé du barreau et licencié du journal, il s’exile à Londres et y crée le sien, à l’abri de toute censure. Pour Popkin, ce journaliste en exil préfigure le journaliste révolutionnaire car il réussit à fidéliser un lectorat grâce à sa rhétorique et sa vision apocalyptique de la France et de l’Europe, il devient le journaliste le plus lu du continent, près de 20 000 exemplairesContrefaçons incluses.de ses Annales politiques sont lues en Europe. Embastillé en 1780, il contribue, par le récit de son incarcération, à faire de cette prison, le symbole de la « tyrannie féodale »POPKIN Jeremy, La presse de la Révolution, Odile Jacob, Paris, 2011, page 43..
Linguet fait des émules et devient un modèle pour des plumes comme Marat, Brissot, Desmoulins qui voient alors dans le journalisme cette puissante capacité à susciter des émotions.
Et ce sont ces émotions qui nouent une nouvelle forme de relation entre le journaliste et son lectorat, c’est la naissance d’un journalisme activiste qui veut devenir un moyen de changer la réalité et non plus seulement la représenter.
Le lectorat ne se confond pas encore avec la nation, mais le journalisme s’ouvre peu à peu à une population plus large grâce notamment aux affiches, placards, mais le prix d’un abonnement ou d’un accès à un cabinet de lecture n’en fait pas encore un média démocratique.
La « révolution des médiasExpression de l’auteur, p. 46.» du 14 juillet 1789 : l’évènement crée le journal et le journal crée l’évènement
L’annonce de la convocation des Etats généraux et la levée de la censure provoque une marée de pamphlets, journalisme de crise. Cependant, certaines plumes telles Mirabeau ou Brissot rêvent d’une presse périodique, préalable à une nouvelle société. Le journal aurait la capacité de créer une communauté de lecteurs pourtant dispersés par l’espace mais également celle de permettre la communication entre le peuple et ses représentants… Ils rêvent de transparence démocratique mais également économique. Utopie ? Comment garantir que l’intérêt économique du journal et de ses rédacteurs ne prennent le pas sur l’intérêt public ? Que la démagogie devienne le moyen d’attirer toujours plus de lecteurs ?
Ce sont les premiers journaux nés en mai-juin 1789 et relatant scrupuleusement les débats des Etats généraux puis de l’Assemblée nationales qui se sont le plus approchés de cette utopie rêvée par Mirabeau et Brissot.
Jeremy Popkin voit dans le 14 juillet la véritable naissance de la presse révolutionnaire. C’est l’évènement qui crée sa propre presse et ce sont ces nouvelles feuilles qui firent la chute de la BastilleOp. Cit., page 49.. C’est le cas des Révolutions de Paris, dont le récit se concentre sur l’action du peuple et plonge le lecteur au cœur des évènements, et qui devient selon l’auteur le véritable premier journal révolutionnaire.
Pourquoi parler à partir de cette date, d’une « révolution médiatique » ? Selon Popkin, outre l’explosion du nombre de titres, cette révolution est une transformation du champ journalistique, de la production aux manières de lire en passant par l’écriture des journalistes. Cette révolution s’incarne également dans le choix proposé aux lecteurs : choix d’une idéologie politique, choix d’une formule journalistique (chroniques sobre de l’actualité, feuilles polémiques ou satiriques…), choix d’un format également.
Surtout, cette révolution des médias s’affiche dans l’accélération du rythme de parution des journaux qui souhaitent coller au plus près des évènements qui s’enchaînent alors sous les yeux des lecteurs : la quotidienneté devient la règle.
Enfin, cette révolution se dévoile dans la pratique même de la lecture du journal qui n’est plus une simple occupation du temps libre mais devient un besoin pressant mais aussi collectif qui se concrétise dans les cafés, cabarets ou clubs politiques et notamment les Jacobins. Op. Cit., p. 54..
En devenant lecteurs de journaux révolutionnaires, nous dit Popkin, les individus se transforment d’eux-mêmes et de sujets du roi deviennent des citoyens actifs et conscients de constituer une communauté capable d’action et d’expression.
Naissance d’une culture du journal
Les journalistes de la Révolution, des « Rousseau des ruisseaux » aux guides de l’opinion
Avant 1789, le journalisme est le signe d’une carrière d’écrivain mal partie… Avec la Révolution, le journaliste devient l’homme de lettres par excellence et remplace même le philosophe.
En plus d’un salaire conséquent, les apprentis-journalistes acquiert avec fulgurance une renommée qui en fait les principaux acteurs politiques de l’époque, certains sont mieux connus que la majorité des députés !
Le journalisme est une profession d’une grande diversité humaine. A l’aide de statistiques, l’auteur nous montre que les journalistes sont jeunes (35 ans en moyenne), viennent du haut du Tiers état et exerçaient avant 1789 des métiers en rapport avec la plume nécessitant une certaine éducation. Ces caractéristiques ne diffèrent pas de celles d’avant 1789. Cependant, ce que l’auteur souligne à juste titre, est que le journalisme est un des rares métiers où le talent seul peut suffireIbid. p. 63.
Ce talent n’est pas exempt de risques et, même si la liberté de la presse est proclamée dès 1789, les journalistes ne dorment pas tranquilles à l’image d’un Marat devant vivre caché voire en exil. Même sous la monarchie, la répression n’aura jamais été si sévère. Certains connaissent même la guillotine.
La libéralisation de l’imprimerie
Ces journalistes n’auraient pu accéder à une telle notoriété sans le développement de l’industrie de l’imprimerie en France et à Paris en particulier. Avant 1789, l’imprimerie et l’édition sont étroitement contrôlées par la police et la Chambre syndicale de la librairie, à Paris qui limite leur nombre à 36 dans la capitale et 266 dans le reste du royaume. Ce privilège d’imprimerie, difficile à obtenir, garanti au gouvernement des journaux sobres.
Après 1789, n’importe qui peut s’établir comme imprimeur, en 1798, on en dénombre 221 à Paris. On peut le devenir avec un investissement de départ aux alentours de 4 000 livres, et un manuel pour les débutants existe même !
Si la majorité des journaux crées sous la Révolution font rapidement faillite, certains témoignent de cette réussite fulgurante pour séduire de nouveaux venus.
A Paris, les imprimeries se concentrent au centre près des lieux de pouvoir, de rencontres et d’agitation, en somme près de l’évènement.
Cependant, faut de temps et de moyens, l’imprimerie ne connaît guère en France de progrès technique contrairement à l’Angleterre où se développe la presse en fer Stanhope vers 1800. Cette activité constitue une source d’emplois importante car elle nécessite une certaine main d’œuvre travaillant « sous la pression de l’horloge Op. Cit., p. 81.», essentiellement la nuit pour l’impression. Un salaire sans primes est de l’ordre de 6 à 8 livres par jour à Paris.
Des lecteurs aux citoyens, vers une communauté nationale
La culture de la presse se démocratise grandement sous la Révolution. En effet, ni l’analphabétisme ni la pauvreté ne constituent des obstacles rédhibitoires à l’accès aux nouvelles journalistiques. Les journaux sont souvent lus en public au cours de réunions ou dans les clubs et la moitié des hommes adultes savent lire et écrire à l’époque. De plus, si les abonnements ne sont pas à la portée de tous, il existe nombre de moyen d’avoir accès aux journaux : au café, dans les cabinets littéraire, abonnements en commun…
Le nombre de tirages par journaux est mal connu, sous le Directoire, unique statistique officielle, on évoque entre 2 500 et 5 200 exemplaires pour les principaux titres. Cependant, ces exemplaires vendus ne permettent pas d’évaluer le nombre de lecteurs potentiels car le même journal peut être lu par plusieurs personnes.
Si la culture de la presse n’atteint pas la totalité des citoyens, il n’en reste pas moins que le journal reste le vecteur essentiel qui conduit la population française à se muer en communauté nationale, voilà la thèse défendue dans ses recherches par Jeremy Popkin.
Les journaux révolutionnaires, conservatisme de forme et innovation de fond
Au contraire de ce qui se passe en Angleterre, souligne Popkin, les journaux français se démarquent peu du livre, dans leur typographie. Le petit format (in-octavo), proche du livre et plus commode, est le plus répandu et cette forme est attachée aux pamphlets. L’in-quarto, plus grand, se développe peu à peu au fil des années et caractérise plutôt le journal d’information.
Le sujet principal de ces journaux, quelque soit leur format reste la politique, à la différence des journaux anglais qui remplissent la moitié de leurs colonnes par de la publicité commerciale, du sport et des évènements culturels.
Même sujet mais style différent entre « le ton mordant du journal contre-révolutionnaire des Actes des Apôtres, le style personnel de Camille Desmoulins dans ses Révolutions de France et de Brabant, la langue populacière du Père Duchêne et l’objectivité du Moniteur universel »Op. Cit., p. 103..
La matière première de ces journaux est constituée des comptes rendus des séances de l’Assemblée, obligeant les journalistes à travailler sept jours sur sept. Les débats sont rapportés de manière libre et agrémentés de commentaires et d’opinion engageant ainsi un dialogue entre la presse, les hommes politiques et les lecteurs. La neutralité des journaux, objectifs pour certains, n’est que rarement atteinte, seuls le Moniteur universel ou le Journal logographique se bornent à retranscrire les débats tout en renonçant à influencer les opinions des lecteurs. Mais leur lecteur en est fastidieuse.
Dans les autres journaux, l’intervention du journaliste est beaucoup plus visible et certains se donnent même une visée pédagogique comme la Feuille villageoise destinée aux populations rurales. Le Patriote français de Brissot s’adresse, lui, un public plus instruit et vise à éclairer l’opinion et les députés. Il crée également le débat politique en catégorisant les participants.
Le journal révolutionnaire, un organe de représentativité
En effet, pour les journalistes, le journal doit constituer un lien indispensable entre la classe politique et l’opinion publique incarnée par les lecteurs. Mais comment représenter la présence du peuple dans l’arène politique ?
La réponse vient des journalistes radicaux, note Jeremy Popkin , qui réussissent à mobiliser le peuple, presque mieux que les clubs et à établir un programme d’un mouvement populaire virtuel. Ces journalistes radicaux font plus que s’adresser au peuple, ils l’incitent à intervenir directement sur la scène politique. Ces journalistes souhaitent parler AU peuple mais aussi POUR le peuple. Marat est un des premiers à se lancer dans cette voie, il se présente comme le porte-parole et le guide du peuple. Selon lui, le peuple ne connaît pas ses propres intérêts et seul un grand choc peut le pousser à les identifier te les défendre. C’est en ce sens qu’il prédit au fil des pages de son Ami du peule, de grands désastres. Il invite également ces concitoyens à se méfier des gouvernants et argue que la violence du peuple est le seul moyen de forcer les dirigeants à faire leur devoir.
Cependant, Marat reste un intellectuel et son style classique. Ce n’est pas lui, d’après Popkin, qui réussit à élaborer le modèle du citoyen, mais ses confrères du Père Duchêne dont Hébert qui emprunte leur style au théâtre de foire.
Le personnage du Père Duchêne existe déjà avant 1789, il incarne le simple homme du peuple animé de bons sentiments et d’honnêteté, malgré son langage peu châtié qui renforce sa sincérité. C’est ainsi que plusieurs Père Duchêne voient le jour, on en dénombre une demi-douzaine en 1791.
Le Père Duchêne est surtout connu pour ses jurons tout en respectant la grammaire française ! Il s’identifie également grâce à ses métaphores hautes en couleurs : « Double million de Bastilles démolies ! », « Je vous jure par le ventre de mille femmes grosses ! », « le vis-à-vis du Maître Sanson » Op. Cit., p. 134. pour évoquer la guillotine…
La presse au cœur des journées révolutionnaires : la construction de l’évènement
La presse révolutionnaire se trouve en effet très proche des évènements comme en témoignent la localisation de leurs bureaux, au cœur de Paris. Les journaux ne racontent pas que des faits, ils les transforment, par leur narration, en évènements. Grâce à leur mise en intrigue à l’aide de différents procédés littéraires, comme l’immersion du lecteur, ils racontent l’Histoire qui se déroule au jour le jour sous leurs yeux. Cependant le récit journalistique est un récit particulier : il peut aussi bien suivre l’évènement en mêlant chroniques des faits et interprétation comme lors du 21 juin 1791, ou au contraire, il peut servir l’incitation et jouer un rôle d’organisation comme lors du 10 août 1792.
Ainsi, les journaux ont pu créer la situation de tension et d’attente préalable à un évènement révolutionnaire ou au contraire, conférer, après coup, un sens aux évènements.
La fin de la presse révolutionnaire, l’impossible unité d’opinion
L’incapacité à penser la diversité d’opinion et le débat politique
C’est la diversité d’opinions qui a tué la presse révolutionnaire, ou plus exactement, l’incapacité pour les révolutionnaires, apprentis démocrates, à créer et gérer le débat libre d’opinion, cœur d’un régime démocratique.
L’auteur cite Brontislaw Baczko qui concluait que les révolutionnaires n’ont jamais pu sortir de la conviction d’Ancien régime, qu’un Etat stable doit être un Etat sans divisions d’opinion.
La presse révolutionnaire a visé le pouvoir en tentant de parler au nom du peuple en même temps qu’elle n’a cessé de dénoncer ce pouvoir jugé corrompu car éloigné du peuple. C’est cette contradiction qui a, selon François Furet Op. Cit., p. 186., rendu impossible le dialogue entre le peuple et le pouvoir.
La presse révolutionnaire, facteur de divisions
Malgré sa volonté initiale et par certains aspects utopique de réunir autour d’elle une communauté de citoyens, la presse révolutionnaire n’a cessé d’exacerber les divisions de l’opinion publique.
En effet, dans la compétition journalistique que se sont lancées les différentes feuilles, la dénonciation des ennemis politiques et des concurrents de presse, dans le but de mobiliser le lectorat, a entretenu un climat de suspicion et de dénonciation généralisé.
C’est pourquoi la presse, malgré sa liberté proclamée en 1789, a dû faire face à nombre d’assauts contre ses droits. Par exemple, une loi est votée, après la fuite du roi et le massacre du Champs-de-Mars, autorisant les poursuites contre les journalistes. Marat en fera les frais. La période de la Terreur marque aussi une forte volonté de mise sous tutelle de la presse, au nom de la sauvegarde de la patrie.
La période du Directoire est également difficile pour la presse qui doit payer un timbre-taxe et témoignent de la méfiance des républicains qui souhaitent alors réduire considérablement la capacité d’influence de la presse en diminuant son lectorat.
Après 1800, la presse devient plus institutionnalisée comme le souligne Popkin, et les structures de l’Etat plus solides, atténuant peu à peu cet aspect révolutionnaire et conflictuel de la presse.
Conclusion : la presse, un autre regard sur la question de la représentation ne démocratie
Cet ouvrage est avant tout un résumé et un aperçu des recherches que mène Jeremy Popkin (car auteur peu traduit en français au contraire de ses collègues anglosaxons) sur la presse révolutionnaire. En ce sens, ce livre est plutôt un livre de réflexion et d’interprétation sur l’objet historique qu’est la presse révolutionnaire. Le lecteur n’y trouvera donc que peu de matériaux, de faits historiques mais plutôt une mise en perspective de ce champ de recherche.
La thèse de l’auteur qui parcourt l’ouvrage tel un fil rouge est la question de la représentation politique du peuple au travers de la presse. Ainsi, on perçoit sans peine la filiation avec les auteurs anglo-saxons des années 60, Doyle et autres Cobban, mais également avec le français François Furet pour qui la Révolution est avant tout cette compétition pour la légitimité politique, pour l’incarnation de la parole du peuple.
On regrettera cependant que l’ouvrage soit insuffisamment organisé. Les cinq chapitres ne sont pas découpés en sous chapitres ou paragraphes ce qui peut en ralentir la lecture et ombrer la vue d’ensemble de la thèse de l’auteur.
Malgré tout, il faut souligner que la pensée de l’auteur se suit aisément et que la succession des différentes idées reste très repérable pour le lecteur attentif.
Quel en est l’intérêt pour l’enseignant d’histoire-géographie ?
L’enseignant du secondaire n’y trouvera pas beaucoup de matière, même s’il faut souligner les quelques tableaux statistiques sur le profil des journalistes ou les nombres de tirages. Il lira avec profit les trois premiers chapitres et les dernières pages.
L’intérêt de cet ouvrage pour l’enseignant est de remettre en perspective la presse au sein de son cours et de la relier à la question de la représentation du peuple en démocratie.
En 4ème, c’est dans le deuxième chapitre consacré à la Révolution, dans la séquence sur l’apprentissage politique que l’on pourra évoquer la révolution de la presse.