Ce numéro de la revue sécurité globale ouvre des perspectives intéressantes sur l’évolution la conflictualité, dans le monde de l’après-guerre froide et de l’après 11 septembre.
Avec la création des États-nations, il était naturel de considérer que ce qui relevait de la défense de la chose militaire devait rester de la compétence exclusive de l’État souverain. Les libéraux comme Adam Smith estimait que le domaine régalien par excellence était celui la force de la violence légitime. Même à l’époque moderne, les régiments étaient privatisés de fait, puisque les colonels qui les commandaient étaient chargés d’organiser leur recrutement. Ils faisaient tout simplement appel à des mercenaires qui se sont d’ailleurs cruellement illustrés pendant les guerres de religion. Les armées nationales ne se sont constituées que tardivement sensiblement après les traités de Westphalie. De ce point de vue, l’armée suédoise était l’exemple le plus précoce et le plus achevé, même si la défaite de la Poltava en 1720 a porté un coup fatal aux ambitions de ce pays au Nord de l’Europe.
La Révolution française à diffusé sur tous les champs de bataille de l’Europe cette conception du peuple en armes et de cette relation fusionnelle entre l’armée et la nation. Il ne pouvait y avoir aucun doute, l’usage de la violence légitime ne pouvait relever que du domaine régalien.

Dans l’article : «Armées et sociétés militaires privées en Irak de l’amalgame à la symbiose» Georges-Henri BRICET DES VALLONS, montre comment les troupes américaines ont été amenées peu à peu à faire appel à des sociétés militaires privées remplissant de plus en plus des missions de combat.

En France, même si depuis 2007, la révision générale des politiques publiques, vise à favoriser le recours au secteur privé, pour tout ce qui ne relève pas du coeur de métier de l’État, l’externalisation par le biais de sociétés d’appui stratégique est en marche. L’article
«Politique d’externalisation : l’enjeu des sociétés d’appui stratégique» de Olivier HUBAC et Luc VIELLARD fait le point sur cette évolution à la française qui limite toutefois le recours aux sociétés militaires privées à des missions qui relèvent de la logistique, de la coopération militaire, et du renseignement. Les deux auteurs souhaitent que cette externalisation ne puisse porter atteinte au sanctuaire régalien de l’usage de la violence légitime. On aimerait pouvoir partager leur optimisme, lorsque l’on sait que les forces spéciales ont pu à plusieurs reprises, dans des missions outre-mer faire appel à des « retraités actifs » issus de leurs rangs. Il semblerait d’ailleurs qu’une société française de sécurité se soit portée candidate à la des missions de sécurité maritime au large de la Somalie.
En Irak, les Anglo-Saxons, et notamment les Américains, ont très largement intégré le recours aux sociétés militaires privées. L’attraction salariale, 1000 $ par jour pour un privé, contre une centaine pour un soldat du rang a pu d’après Georges-Henri BRICET DES VALLONS peser sur les recrutements. il est vrai que pour les Anglo-Saxons, le phénomène n’est pas nouveau, puisque c’est le fondateur même du spécial air service, David Sterling qui a créé la première société de sécurité militaire privée, Watch Guard international en 1967. On apprend d’ailleurs que cette concurrence du secteur privé à favoriser une dynamique de surenchérissement que les armées régulières doivent assumer. Pour les bérets verts ou les commandos de marine, SEALS, la prime de réengagement peut atteindre 150 000 $. On sait que les unités des États-Unis engagées en Irak ont dû incorporer des volontaires au casier judiciaire plutôt chargé. Il semblerait que la nouvelle administration Obama ait souhaité en finir avec cette fuite en avant des républicains qui avaient favorisé outrageusement certaines sociétés militaires privées proches des cercles du pouvoir. Il ne sera pas facile de revenir en arrière tant la symbiose est désormais forte. De plus pour les sociétés de reconstruction intervenant en Irak, le recours au personnel des sociétés militaires privées est désormais naturel. Le problème des bavures est cependant récurrent.

«Après la guerre d’Irak, quel avenir pour les sociétés militaires privées ?» s’interroge Philippe CHAPLEAU. Il est vrai que les contrats attribués aux sociétés militaires privées par les gouvernements américains et britanniques, par les agences internationales et par les entreprises civiles ont mis en jeu des sommes considérables. Des contrats annuels de plus de 600 millions de dollars, protection des transports, ou déminage, sont tout à fait courants. Si les États-Unis mettent en oeuvre à court terme un processus de désengagement de l’Irak, on peut craindre que ces sociétés militaires privées ne voient disparaître la poule aux œufs d’or. D’après l’auteur il n’en est rien, dans la mesure où de nombreuses activités resteront dans le secteur privé, comme la formation des personnels irakiens, contrat de 545 millions de dollars pour la formation de la police, et les sociétés privées américaines établies sur place et pour longtemps exprimeront toujours des besoins de ce type.

L’article: «Les relations houleuses entre SMP et tenants de la doctrine de contre-insurrection» de Christian OLSSON, pointe à juste titre les limites politiques du recours massif aux sociétés militaires privées. Les contractuels armés, les mercenaires à des sociétés de sécurité, peuvent par leur comportement remettre en cause les efforts des soldats réguliers engagés dans la reconquête des populations elles-mêmes. Un mercenaire peut ouvrir le feu dans le cadre de son contrat sans forcément tenir compte des conséquences d’une bavure. Heureusement en Afghanistan, ce recours aux sociétés militaires privées a été moins important qu’en Irak, ce qui permet aux armées occidentales engagées de participer à des efforts de développement local visant à sécuriser le pays et à réduire l’influence des talibans. Un certain nombre d’officiers supérieurs américains ne cache pas son opposition au recours massif à ces sociétés militaires privées qui exposent leurs hommes au ressentiment des populations.

Les deux autres articles de ce dossier, « Le bel avenir de la privatisation » par Tanguy STRUYE DE SWIELANDE et «L’économisation de la Bundeswehr : de la modernisation à l’externalisation, en passant par la privatisation?» par Christophe PAJON et Jan STÔBER montrent que ce ne sont pas seulement les théâtres d’opérations lointains qui sont concernés. Pour les sociétés militaires privées, le marché de la formation, de l’entretien des matériels, de la sécurité des installations, des services informatiques est parfaitement considérable. De ce point de vue, la privatisation de la guerre semble offrir des perspectives de développement économique considérable et il semble aujourd’hui difficile de revenir en arrière. Pourtant, c’est la souveraineté de l’État, son coeur de métier qui pourrait être remis en cause par cette symbiose qui deviendrait fusionnelle entre le secteur militaire privé et ceux qui seraient les vestiges d’un service public de la sécurité et de la défense.

Bruno MODICA