Rencontrées lors du dernier Salon du livre des sciences humaines les éditions Antipodes proposent un catalogue varié en histoire. Si beaucoup de choses ont pu être écrites sur la confédération helvétique pendant la seconde guerre mondiale, plus rares sont les études sur les relations avec la France. C’est la raison pour laquelle notre rédacteur a choisi de traiter cet ouvrage, paru il ya dix ans, mai stoujours au catalogue de cet éditeur dont nous attendons un partenariat.
Les Éditions suisses Antipodes ont publié en 2003 cet ouvrage dont les auteurs sont des universitaires de Fribourg, membres du Groupe de recherches en histoire intellectuelle contemporaine. Il a pour thème les relations culturelles entre la France et la Suisse romande durant la Seconde Guerre mondiale, mais les immédiats avant et après-guerre ont été inclus dans l’étude afin de pouvoir montrer, d’une part ce qui va changer avec le conflit, d’autre part, dans quelle mesure les changements perdurent, s’ils laissent des traces ou s’ils s’effacent rapidement.

Par relations culturelles il faut entendre :
– Les relations personnelles privées et les réseaux intellectuels, qui s’extériorisent souvent par le placement croisé d’articles français dans des journaux et revues suisses ou inversement.
– Les relations commerciales, appréhendées par l’examen de la presse, de l’édition et des conférences.
– Les chassés-croisés qui voient les uns, d’abord résistants, puis vichystes, se réfugier en Suisse et collaborer à sa vie intellectuelle, tandis que d’autres « montent » à Paris se mettre au service de l’occupant.
– Les relations institutionnelles que constituent les politiques culturelles.

Il s’agit d’un ouvrage universitaire, construit en 13 chapitres regroupés en trois parties, complétées par quelques notices biographiques, une solide bibliographie, un inventaire des sources (de très nombreux fonds d’archives français et suisses, publics et privés ont été inventoriés ainsi que des journaux et revues) et d’un index des noms. L’étude est très technique et très rigoureuse (plus de 800 notes infrapaginales) et la recherche privilégie surtout le point de vue suisse. Mais la qualité de l’écriture, la clarté de la construction et la limpidité de l’expression, en rendent la lecture aisée et tout à fait utile à la connaissance de l’histoire culturelle et politique française.

Première partie. Avant-guerre : 1935-1940

Les trois chapitres de cette première partie montrent que dans l’avant-guerre les relations culturelles franco-suisses sont marquées par la très nette domination du centre parisien sur une périphérie suisse romande, regardée avec condescendance comme provinciale.

Le tropisme parisien

Paris est alors la capitale de la culture, européenne et même mondiale. Pour un écrivain francophone, la consécration est forcément parisienne, c’est plus globalement la capitale des arts et des lettres qui attirent les étudiants étrangers. Si Paris et le centre, la Suisse romande n’est rien d’autre qu’une périphérie provinciale. Les quelques intellectuels et écrivains français qui résident alors en Suisse, tels Jacques Chardonne, Pierre Jean Jouve, Romain Rolland ou Edmond Jaloux, le sont pour s’y faire soigner ou y prendre des vacances. Les Suisses qui « montent » à Paris, au contraire, ont l’intention d’y faire leurs études ou l’ambition de se lancer dans la vie littéraire, de se faire une place, le plus rapidement possible. Les auteurs appellent ces derniers des « Rastignac », qui parviennent parfois à tisser un large réseau de connaissances. C’est le cas du dramaturge et pamphlétaire genevois Georges Oltramare qui démarche les directeurs de théâtre et fréquente le milieu des comédiens : Michel Simon et Robert Le Vigan sont ses amis, et ce dernier est lui-même un ami de Louis-Ferdinand Céline. De retour à Genève en 1930, Oltramare se lance dans la politique et devient le leader d’une organisation fasciste.

Les relations personnelles des journalistes et écrivains

Le Journal de Genève est alors l’un des pôles majeurs de la vie littéraire et intellectuelle romande. L’équipe littéraire du journal dispose d’une position dominante, qui repose sur la notoriété et le talent de quelques hommes de lettres, fils de famille de la grande bourgeoisie, politiquement de droite. Ce sont des critiques écoutés du public cultivé et ils présentent fréquemment des livres d’auteurs français connus. Ils ont de solides amitiés françaises et proposent régulièrement à leurs lecteurs des contributions d’intellectuels français, eux aussi de droite. « Dans le courant des années 30 s’instaure ainsi par-dessus la frontière, entre deux milieux intellectuels proches, un système de circulation fluide, lubrifié par une homologie des positions et une connivence de classe. » À côté du Journal de Genève, La Gazette de Lausanne est le second quotidien romand qui publie régulièrement des intellectuels français, mais il le fait uniquement pour des raisons commerciales, aucune relation personnelle, aucune connivence n’est ici en jeu. Parmi les signatures qui reviennent le plus souvent, celles d’André Maurois, de Paul Morand, d’Abel Bonnard, de Georges Duhamel. Leurs articles sont sans intérêt, ce sont des bavardages mondains « témoignant de l’arrogance et de la suffisance des intellectuels parisiens face à la périphérie ». Les revues littéraires de la Suisse romande sont alors très francophiles, mais à Paris on trouve qu’elles font « provincial ».

Les relations institutionnelles

Les contacts personnels entre journalistes et écrivains ne constituent pas la somme des relations intellectuelles entre la France et la Suisse. Il faut tenir compte également des contacts institutionnels, académiques et associatifs, dont l’étude permet de saisir la réalité des politiques déployées par les diplomaties suisse et française. Mais là encore, les échanges sont déséquilibrés.

En 1920 a été créé le Service des oeuvres françaises à l’étranger, dont la mission première est de travailler à l’image de la France, à son « influence morale et intellectuelle dans le monde », elle est donc un instrument culturel de la diplomatie. Par contre les autorités fédérales suisses n’ont jamais cru nécessaire de développer une politique culturelle extérieure. La pression nazie provoque un changement et la création, en octobre 1939, d’un organisme destiné à promouvoir et défendre une singularité culturelle suisse, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, Pro Helvetia.

L’action culturelle française en Suisse s’appuie sur une série d’associations créées sous l’impulsion de Français établis en Suisse où fondées sur l’initiative de citoyens helvètes francophiles. Mais elle passe aussi par la présence de professeurs français dans les universités helvétiques, qu’ils soient invités ponctuellement ou qu’ils occupent une chaire de manière permanente. Elle passe enfin par l’organisation de conférences françaises en Suisse, données par des écrivains, des académiciens, parfois des militaires, dont la mission diplomatique française en Suisse suit de très près les tournées. La Suisse n’est cependant pas une priorité dans la politique culturelle française, sa part dans le budget de cette politique étant inférieure à celle de la Pologne ou de la Yougoslavie.

Deuxième partie. La guerre : 1940-1944

Six chapitres composent cette seconde partie, la plus importante du livre dont elle occupe la moitié du volume. Elle montre que, puisque Paris n’est plus Paris, « La province n’est plus la province », comme le constate, avec joie, en 1942, un poète et chroniqueur vaudois. La Seconde Guerre mondiale apparaît comme un moment singulier dans l’histoire des relations culturelles entre la Suisse et la France : Paris perd de son prestige et les artistes et intellectuels français d’avant-guerre qui n’avaient pour la Suisse que condescendance, cherchent désormais à s’y faire publier ou à s’y faire nommer professeur. Mais l’étude montre également que la Suisse n’est pas alors qu’un havre de liberté pour des écrivains censurés en France, que la Révolution nationale y est souvent très appréciée, que la censure y existe, que le collaborationnisme s’y déploie, et que la résistance n’y sera la bienvenue qu’assez tardivement.

Censure française et censure suisse

L’édition française est désormais étroitement contrôlée et encadrée par l’occupant qui met en place un solide appareil de répression. La presse française est soumise aux autorités allemandes dans la zone occupée et à la censure vichyste dans la zone Sud ; dans les deux zones les réductions d’attribution de papier obligent les journaux et les revues à diminuer à la fois leur format, le nombre de pages de leurs numéros et leur fréquence de parution. Beaucoup d’intellectuels sont désormais confrontés à la nécessité de subvenir à leurs besoins financiers.

La Suisse n’a pas attendu la guerre pour contrôler la presse, mais ce contrôle s’est renforcé avec la guerre et un organisme dépendant de l’armée a été créé, afin de surveiller toute publication ou information qui remettrait en cause la neutralité du pays. Cet organisme met en place des offices de censure régionaux.

Pour le Conseil fédéral suisse, le gouvernement de Vichy est le légitime successeur du gouvernement de Paul Reynaud. « La Suisse cultive avec son voisin hexagonal des rapports qu’il serait malvenu d’interrompre et auquel il serait même inconcevable de renoncer ». Les journaux qui veulent exporter en France devront donc accepter de se soumettre à la censure française.

Les partisans suisses de la Révolution nationale, et ceux qui s’en accommodent

Pour La Gazette de Lausanne et Le Journal de Genève, la guerre a d’abord des aspects bénéfiques car les tirages s’envolent, dopés par les ventes en France. On décide de retrancher de l’édition suisse les dépêches d’agences anglo-saxonnes et « tout ce qui pourrait contrarier le gouvernement de Vichy ». Mais en octobre 1942, les exigences de la censure française sont telles que le gouvernement suisse demande aux journaux de renoncer à la vente en France.

Les collaborations françaises à ces deux journaux suisses sont également en augmentation, mais elles sont plus politiques au Journal de Genève que chez son confrère, car il soutient la politique pétainiste et tente même de s’imposer comme une des voix importantes du débat intellectuel hexagonal. Il est ainsi à l’origine d’un débat polémique sur la responsabilité de la littérature française de l’entre-deux-guerres dans la défaite, débat qui se fait avec des journaux français, Le Figaro, Le Temps, Candide, L’Action française etc. Les Suisses interviennent dans la discussion sur un pied d’égalité avec leurs confrères français : la province n’est plus la province ! La censure suisse ne trouve rien à redire à cette défense de la Révolution nationale.

Au printemps 1941, plusieurs intellectuels proches du Journal de Genève fondent une nouvelle maison d’édition, Le Milieu du Monde. « Offrir aux amis, tant suisses que français, la possibilité de publier et d’être diffusés, en ces temps où l’édition d’outre-Jura connaît de sérieuses difficultés, est une autre manière de s’intégrer au monde intellectuel français. Calcul commercial, intérêts politiques, ambitions littéraires se mêlent pour déboucher sur un catalogue de 130 titres en 1950. »

Le Milieu du Monde soumet systématiquement ses ouvrages aux censeurs de Vichy, ce qui le conduit à se concentrer sur la littérature et l’histoire, et à ne plus publier d’ouvrages ouvertement politiques. À l’été 1944, Le Milieu du Monde prend des contacts qui le conduisent à publier des témoignages de résistants, opportunisme qui cependant divise profondément la direction. L’un de ses membres quitte la maison et, avec la complicité de l’ancien conseiller d’ambassade français Jean Jardin, lance les éditions du Cheval Ailé, qui se spécialiseront dans la publication de livres d’anciens collaborateurs et collaborationnistes.

Fondée en 1939, la revue Le Mois suisse s’établit sur une ligne nettement pro fasciste, et accepte des financements italiens et allemands. À ses yeux, l’Axe a gagné la guerre et il faut sans attendre s’adapter à l’Europe nouvelle. Ni la censure, ni les grands journaux de droite ne s’offusquent d’une telle vision, du moins jusqu’à ce que la revue ne remette en cause la neutralité suisse en proposant l’alignement du pays sur l’Axe. Dès le printemps 1943, Le Mois suisse passe dans le camp du collaborationnisme le plus extrême.

Des relations institutionnelles qui demeurent inégales

« La guerre ne modifie pas foncièrement le schéma des rapports institutionnels entre la France et la Suisse. Elle n’entame pas la détermination française à maintenir en Suisse une propagande intellectuelle active. » Sous couvert de conférences littéraires, les autorités de Vichy encouragent l’envoi en Suisse des plus fidèles disciples de la Révolution nationale. Du côté suisse, malgré un attachement maintes fois répété à la neutralité intégrale, les autorités fédérales laissent pénétrer en Suisse les défenseurs de la Révolution nationale alors qu’elles se montrent plus réticentes par rapport à la France résistante. Durant tout le conflit, la mission diplomatique française veille à maintenir une présence dans les milieux scolaires suisses. Hormis quelques professeurs d’université invités à venir donner des conférences scientifiques en France, aucun intellectuel suisse ne traverse la frontière durant la Seconde Guerre mondiale pour aller prendre la parole dans l’Hexagone.

La Suisse, « refuge de la pensée libre »

À l’automne 1940, naît une revue assez confidentielle, Traits, adressée sous pli à un cercle restreint d’abonnés. Affirmant vouloir préserver ce qu’ils considèrent comme l’essence de la Suisse, les valeurs de liberté, de justice sociale et d’engagement moral, les rédacteurs en arrivent à une sévère critique de la politique menée par les autorités, en particulier les restrictions au droit d’asile. La revue adopte une vue panoramique sur le conflit mondial et publie une revue de presse internationale originale. Elle publie des écrivains français et consacre de fréquentes chroniques à des auteurs de la résistance ; elle estimera avoir été en Suisse le relais de la pensée française et un surgeon de l’esprit de résistance à l’Ordre nouveau. Les auteurs estiment que l’existence de cette revue démontre qu’un « espace d’expression existait réellement, comme le prouve l’exemple de quelques voix fortes, parfois tancées mais jamais totalement bâillonnées »

Attaché de la légation suisse à Vichy, François Lachenal anime en Suisse les éditions des Trois Collines, tout en jouant les passeurs de manuscrits, de livres et de revues, au cours de ces incessantes traversées de frontière. Il fait paraître en Suisse une édition clandestine d’un recueil de poèmes anonymes que les Éditions de Minuit réalisèrent en juillet 1943, L’Honneur des poètes.

Les Cahiers du Rhône, édités dans le canton de Neuchâtel, sont généralement considérés comme « le refuge de la pensée libre ». Le fondateur, Albert Béguin, entretient des relations avec la revue algéroise Fontaine, dirigé par Max-Pol Fouchet. Cette revue publie surtout des auteurs français, dont la plupart sont catholiques (Pierre Jean Jouve, Jacques Maritain), mais on y trouve aussi Aragon (Les yeux d’Elsa et Brocéliande) ou Éluard. La censure se montra très indulgente, et Les Cahiers du Rhône furent même subventionnés par la fondation Pro Helvetia, ce qui témoigne de la faveur de la Suisse officielle. Les auteurs font observer, et démontrent que « L’expérience éditoriale des Cahiers du Rhône ne saurait, en dépit de son rayonnement particulier, résumer le foisonnement exceptionnel du monde littéraire romand au début des années 40. Les initiatives se succèdent, mêlant les hommes et les milieux les plus divers, pour des réalisations dont les points communs semblent être une certaine idée de la culture chez les initiateurs et un succès de diffusion tout à fait inédit. »

Chassés-croisés

La guerre provoque une série de chassés-croisés géographiques pour une frange d’intellectuels suisses et français. Quelques intellectuels français doivent quitter une France qui leur est devenue hostile. Mais la Suisse accueille également certains défenseurs du pétainisme tombés en disgrâce à Vichy suite au retour de Pierre Laval au pouvoir (René Gillouin, Bertrand de Jouvenel, Francis Carco). Viennent également en Suisse, des intellectuels soucieux de se dégager des tracas financiers : c’est le cas d’Edmond Jaloux. Mais certains intellectuels gaullistes sont eux aussi attirés par le confort matériel qu’offre la Suisse : c’est le cas d’Henri Guillemin ou de Pierre Jean Jouve. Pour certains intellectuels helvétiques, l’heure est à la recherche d’une reconnaissance dans le Paris allemand : c’est le cas de Georges Montandon, qui est nommé expert racial auprès du Commissariat général aux questions juives, et abattu par la résistance en août 1944 ; c’est aussi le cas de Georges Oltramare qui devient un proche d’Otto Abetz, dirige le journal collaborationniste La France au travail, puis devient une véritable vedette de la radio, spécialisée dans l’antisémitisme et l’antimaçonnisme.

Troisième partie. L’après-guerre 1944-1950

Les quatre chapitres de la troisième partie montre que rien n’a changé en profondeur dans les relations de dépendance du champ culturel suisse romand par rapport au centre parisien. Le modèle centre périphérie continue de prévaloir.

Chassés-croisés bis

A la libération, les Suisses compromis rentrent au pays en se faisant discrets, ce qui ne leur évitera pas toujours des procès pour mise en danger de la sécurité du pays et trahison en faveur de l’Allemagne. Mais ils échappent ainsi à la justice française, qui, par contumace, prononcera contre eux des peines plus sévères. Certains collaborateurs français se tournent vers la Suisse, à la recherche d’un exil sûr, parfois après un passage par Sigmaringen. Le flux d’intellectuels collaborationnistes ou pétainistes qui veulent s’installer en Suisse dure de 1943 à 1950, mais les auteurs distinguent deux pics : le printemps 1945 (ils développent le cas du journaliste Jean Azéma qui sera autorisé à émigrer en Argentine) et l’année 1947. L’ancien directeur de cabinet de Pierre Laval, Jean Jardin, joue un rôle très important dans le soutien actif à ces émigrés de la collaboration, y compris en leur permettant de publier leur défense dans une maison d’édition spécialisée, Au Cheval Ailé. Les collaborationnistes suisses, français et belges disposent également d’une revue, Le Courrier du continent, pour continuer à mener leur combat d’extrême droite sur deux axes principaux : l’Europe et la réécriture de l’histoire. Avec les lois d’amnistie de 1951 et 1953, la plupart des intellectuels compromis réfugiés en Suisse vont rentrer au pays, tandis que plusieurs suisses condamnés s’installeront en Argentine à leur sortie de prison.

Relations institutionnelles : continuité française, évolution suisse

L’action culturelle de la France en Suisse ne s’interrompt pas à la Libération. Les tournées de conférenciers français recommencent, « sous l’oeil attentif de la mission diplomatique française, qui tente de mettre en place des réseaux institutionnels dévoués à la cause de la France nouvelle et d’écarter les structures de sociabilité nostalgiques de Vichy ». Henri Guillemin est nommé attaché culturel en avril 1945, entamant une longue carrière diplomatique en Suisse.

Par contre, et c’est nouveau, les autorités suisses élaborent un discours culturel destiné à l’étranger. Les premiers instruments d’une telle politique sont façonnés, les premières initiatives culturelles et universitaires échafaudées, au moment où le pays traverse une période de crise sur la scène diplomatique internationale et réfléchit au concept de neutralité intégrale alors qu’éclate la guerre froide. Pro Helvetia organise désormais des manifestations culturelles à l’étranger, notamment en France, tandis que sont créés les premiers postes d’attachés culturels. Mais il faudra attendre 1985 pour qu’un centre culturel suisse, subventionné par Pro Helvetia, voie le jour à Paris.

La province redevient la province

En peu de temps Paris redevient le centre intellectuel du monde francophone, aux dépens des foyers alternatifs de culture, dont la Suisse romande, « Paris recouvre ses privilèges et ses monopoles de fait ». Les intellectuels français qui avaient trouvé en Suisse un asile sous l’occupation vont, pour la plupart, regagner la France dès la Libération, du moins quand ils ne se sont pas trop compromis avec Vichy : Edmond Jaloux et Paul Morand choisissent par exemple de prolonger leur exil ! Les maisons d’édition françaises reprennent de la vigueur tandis que les petites maisons d’édition suisses ne réussissent pas leur implantation.

Si les liens ont été étroits et nombreux entre les intellectuels français et suisses pendant les années sombres, ils n’ont pas inauguré une nouvelle période dans les relations culturelles franco-suisses. C’est même plus grave, car la coopération active qui existait entre quelques milieux intellectuels français et suisses avant la guerre (autour de la revue Esprit par exemple) va s’évanouir après le conflit. « La nouvelle génération qui se précipite vers Paris libéré va certes nouer de nouveaux liens. Et la mode de l’existentialisme germanopratin n’épargne pas les étudiants suisses. Mais on reste ici dans une relation classique de dépendance. »

© Joël Drogland