Il s’agit d’une réédition (et c’est même la cinquième, depuis une première parution en 1989), mais l’actualité la plus récente nous indique combien l’ouvrage est nécessaire. A l’heure où une forme d’union politique semble s’établir en Irlande du Nord (avec une échéance au 8 mai à laquelle on sera attentif), il est certainement important d’avoir sous la main une présentation aussi claire et complète de la question irlandaise dans ses principaux aspects. Dans la tradition des Editions Complexe, c’est un format poche très pratique et accessible (puisque annoncé par l’éditeur à 11,60 €). La collection « Historiques » a déjà permis nombre de parutions importantes, d’auteurs reconnus et sur des thèmes variés. Souvent, comme ici, des rééditions, mais avec l’avantage de mises à jour consistantes et même approfondies.
L’auteur, Jean Guiffan, professeur d’histoire en première supérieure, au Lycée Clemenceau de Nantes, est aussi chargé d’enseignement à l’Université de la même ville. Il est présenté en quatrième de couverture comme « spécialiste de la question irlandaise et des pays celtiques », ce dont témoigne une liste importante de publications sur l’Irlande, mais aussi des échappées latérales (sur Churchill, l’anglophobie, ou…Nantes, bretonne donc celtique ?), chez des éditeurs variés, et même en ligne sur clio.fr.

De la partition

La problématique est classique : née de la colonisation anglaise, la « Question d’Irlande », vieille d’au moins quatre siècles, aurait-elle enfin trouvé une solution à l’aube du troisième millénaire ?
Le problème semble pratiquement résolu pour le Sud de l’île. Si la langue anglaise a fini par y supplanter le gaélique, l’impérialisme britannique a perdu l’essentiel de son influence, tant sur le plan politique (dès 1921), qu’économique grâce à la croissance dont a bénéficié l’Irlande depuis son intégration dans l’Union européenne.
Mais depuis la partition de 1920-1921, le problème de l’Irlande du Nord reste entier. Il a même violemment resurgi à la fin des années 1960, avec des affrontements sanglants entre les deux communautés jusqu’à la fin des années 1990. A la recherche d’une solution, les parties engagées dans ce conflit ont conclu difficilement un accord en avril 1998. L’annonce de l' »adieu aux armes » de l’IRA (2005), n’a pas débouché encore sur une véritable réconciliation entre les communautés protestantes unionistes et les catholiques. Depuis quelques jours seulement (mars 2007), et donc après la parution de cette édition (fin 2006), de nouvelles perspectives semblent ouvertes. Elle donnent encore plus d’intérêt à un ouvrage qui se pose comme une source de référence.
Une riche introduction à la « question d’Irlande » est faite dans une première partie (Une longue mise en place) qui passe en revue les racines de la situation dans une sorte de vaste tableau géohistorique : « Pas seulement libre, mais également gaélique », les invasions anglo-normandes ; la naissance, dans la « question d’Irlande », de la « question d’Irlande du Nord » ; le rôle central de la colonisation anglaise ; le nationalisme, qui va des protestants aux catholiques ; l’échec de la tentative d’un nationalisme unitaire ; la tragédie de la « Grande Famine » (on lira avec profit le beau roman de Nuala O’Faolain, « My dream of you », traduit sous le titre français « Chimères », chez 10/18, Domaine étranger) ; et finalement l’émergence du séparatisme républicain.

Au tigre celtique

Dans la seconde partie, la partition de l’île est qualifiée de « mauvaise solution à la question d’Irlande » : sont décrits les grands évènements de la fin du XIX° siècle (en particulier les débats autour du Home Rule », ainsi que la gravité de la question agraire). L’extrême gravité des épisodes qui suivent est clairement rappelée, avec recul et synthèse (« la cassure », la violence de la « guerre d’indépendance » (1919-1921) et la « solution incomplète » à la question d’Irlande qu’apporte le Traité de Londres (6 décembre 1921).

L’ambiance de violence politique, récemment mise en images par Ken Loach dans le film récompensé à Cannes en 2006 (« The Wind that Shakes the Barley », en français « Le vent se lève ») est aussi au cœur de la troisième partie, centrée sur l’Irlande du Sud : de la guerre civile aux premiers pas d’un Etat « semi-libre » qui devient l’Eire. Les tensions persistantes avec l’Angleterre sont évoquées (guerre économique anglo-irlandaise, rôle de l’I.R.A. entre les deux guerres, « NEP irlandaise sous tutelle britannique »), puis, dans l’après-guerre, l’importance de la construction européenne dans l’apparition d’un « miracle économique » furtif . Les déconvenues économiques, les incertitudes politiques et les pesanteurs cléricales surmontées amènent l’auteur à conclure sur le passage de la « verte Erin » au « Tigre celtique ».

La dernière partie reprend les données de la question de l’Irlande du Nord, avec un certain optimisme (« une question en voie de règlement ? » ), que les derniers développements (mars 2007) semblent justifier. Même si la prudence est encore perceptible, par exemple à travers un parallèle à discuter avec la « guerre d’Algérie des Britanniques ».
Des notes précisent les sources majeures utilisées. Quelques documents majeurs sont reproduits en annexe(textes essentiels, schémas, ou statistiques. Une chronologie générale (qui distingue Nord et Sud après la partition, mais ne prend pas beaucoup en compte ce qui relève de l’Angleterre. Une bibliographie, qualifiée de « sommaire » donne quelques pistes complémentaires récentes. Bonne idée de penser à une filmographie. J’y aurais bien ajouté des références concernant la musique irlandaise actuelle : de Van Morrison et Rory Gallagher à U2, Sinead O’connor, The Pogues ou The Cranberries, la scène rock irlandaise est aujourd’hui un vecteur majeur de l’identité irlandaise et de ses nuances et évolutions (ainsi que pub et Guiness ?). Nos élèves en savent quelque chose. De même, le sport, comme le plus souvent en géopolitique, est un lecteur de grande pertinence : le football gaélique (et son stade sanctuaire des nationalistes) « contre » le soccer anglais ;, deux équipes « nationales » en football (Eire et Ulster), mais une seule en rugby (unifiant les deux côtés de la frontière) ; sous le nom de Ligue Celtique, un championnat de rugby commun aux clubs gallois, écossais et irlandais (et donc sans les anglais, qui ont le leur); et même des clubs irlandais « de l’extérieur », issus de la diaspora irlandaise : à Glasgow (Celtic F.C. en football), Londres (London Irish en rugby) ou Boston (Basket).
Beaucoup plus décevant : si un index très utile complète le livre de Jean Guiffan, on est très déçu de ne trouver AUCUNE carte : que la cinquième édition n’ait pas corrigé cette carence est pour le moins étonnant.
Au total, c’est un ouvrage de qualité, qui répond parfaitement à ses objectifs : synthèse claire et aussi complète que possible dans ce type de format, il est d’une utilité évidente tant pour les professeurs que pour les élèves. On peut bien sûr penser que les sections européennes en particulier, mais que tous les lycées, avec les programmes en classe de première, ceux de géographie comme ceux d’histoire, en tireront le plus grand profit.

Compte-rendu de Gérard BUONO,
L. Soult de Mazamet et Centre Universitaire Champollion d’Albi.
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