L’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler et du parti nazi, en janvier 1933, est un thème qui alimente encore aujourd’hui les débats entre historiens, érudits, politiques et autres commentateurs en tout genre. Après la sortie du livre de Peter Fritzsche et du manuel de Patin et Ingrao, Johann Chapoutot qui a préfacé le premier et participé au second, revient lui aussi sur cette période délicate et charnière. Pour cela, il publie dans la prestigieuse collection NRF essais de Gallimard, maison d’étions avec laquelle il a collaboré à de multiples reprises.

Ce qui est certain, c’est que les livres de Johann Chapoutot suscitent désormais énormément de réactions à chaque sortie. Reconnu pour son travail d’historien et sa connaissance extrêmement profonde et fine de la société et de la culture allemandes, il est aussi de plus en plus actif en tant qu’historien citoyen de son époque et son engagement politique génère nécessairement des critiques en amont de son travail, sans même forcément avoir lu la moindre ligne de ses travaux.

Le livre se trouve dans la lignée d’un précédent ouvrage de Chapoutot, paru en 2010, Le meurtre de Weimar. Chapoutot s’interroge sur les responsables politiques qui ont, de manière totalement assumée, amené Hitler au pouvoir. Un des objectifs de la réflexion de Chapoutot est de combattre un certain nombre d’idées reçues sur cette arrivée au pouvoir, notamment le concept d’arrivée légale au pouvoir des nazis. C’était d’ailleurs l’un des axes de réflexion du manuel Le monde nazi paru à l’automne. En revenant sur le contexte de crises multiples et des réponses qui touche l’Allemagne entre les années 20 et 30.

L’autre motivation est plus politique et c’est elle qui engendre le plus de réactions et réflexions. Johann Chapoutot est profondément marqué, depuis le Covid particulièrement, par la politique mise en place par le gouvernement actuel. Il fait un parallèle entre ce qu’il appelle « l’extrême-centre actuel » et son basculement vers la droite, voire l’extrême-droite, et ce qui s’est passé sous Weimar, en essayant de tirer des enseignements de tout ce qui a été fait (ou non-fait) à l’époque, notamment par manque de courage politique.

Chapoutot rappelle que le parti nazi n’a jamais eu la majorité des voix en Allemagne, que ce soit au niveau fédéral ou régional, et qu’Hitler n’a jamais été élu. Partant aussi d’une analyse constitutionnelle du monde politique allemand, il montre un système qui fonctionne par décrets signés par le présidente la République, sans l’approbation d’un parlement profondément divisé. Les élections de mars 33 sont le dernier clou planté dans cette illusion d’une arrivée légale au pouvoir, puisque truquées et censurées, alors même que les Nazis n’obtiennent pas la majorité au niveau fédéral.

La décision de mettre Hitler au pouvoir est donc une décision présidentielle, typique d’un régime qui l’est devenu. La décision du président Hindenburg et de son entourage proche : des élites paysannes, industrielles ou issues de la haute fonction publique. Cette arrivée est issue d’alliances, de tractations, de menaces, de mélanges d’intérêts alors même que le parti nazi connait un reflux électoral puisque le sommet de la vague nazie arrive à l’été 1932. Ces échecs nazis provoquent d’ailleurs des dissensions au sein du pouvoir nazi, notamment chez les SA, et remettent même en cause la position d’Hitler. En cela, Chapoutot détruit la vision téléologique de l’arrivée au pouvoir des Nazis, en expliquant comment chaque acteur a joué son rôle, sa partition et que les dés étaient très loin d’être jetés à l’avance. Ce sont ces figures qui sont au centre de l’essai et de la réflexion de l’historien.

 

A travers dix chapitres, classés chronologiquement, Johann Chapoutot nous livre donc une réflexion convaincante, écrite dans un style toujours aussi pointilleux et accessible. L’objectif d’un essai est d’émettre un certain nombre de convictions, de susciter des réactions chez le lecteur, de provoquer le débat et ce livre y parvient de manière édifiante. Et personne ne peut remettre en cause le travail d’historien de Chapoutot: sa connaissance des sources, de la langue allemande, du système nazi ne sont plus à prouver.

Les parallèles entre Weimar et la société française actuelle peuvent surprendre voire choquer, mais il ne faut surtout pas s’arrêter à des titres racoleurs et des commentaires politiques non-fondés pour juger la pensée de Johann Chapoutot. Tout comme pour les polémiques liées à la sortie de Libres d’obéir, il est nécessaire de dépasser des a priori pour se plonger dans le lecture et se faire son propre avis. De plus, ces comparaisons reposent d’abord et avant tout sur la maîtrise parfaite du fonctionnement de chacune des sociétés comparées. Ce qui rend l’auteur plus légitime que beaucoup de commentateurs actuels pour dresser ces parallèles.