L’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice a conçu un long dossier consacré à la radicalisation violente dans le dernier numéro de sa revue trimestrielle.

Élaboré à partir de l’automne 2014, ce travail est devenu d’une actualité brûlante depuis janvier 2015 et les attaques terroristes intervenues en France et dans plusieurs autres pays. Il porte de façon prioritaire sur la radicalisation islamiste qui est aujourd’hui la plus menaçante. Les cahiers de la Sécurité et de la Justice est ouverte non seulement à des auteurs issus de la recherche académique et universitaire, mais également à des gens de terrain.
La revue propose des regards croisés et pluridisciplinaires sur le phénomène de la radicalisation violente. Plusieurs contributions s’efforcent de définir un phénomène que Xavier Crettiez décrit dans l’entretien qui ouvre le dossier comme un « terroritarisme », dans la mesure où les attaques menées touchent des cibles combattantes aussi bien que non combattantes, et où elles tuent des personnes pour ce qu’elles sont, et non pour ce qu’elles font.
La rédaction de la revue a également manifesté un intérêt pour les différentes méthodes de déradicalisation. Sont privilégiées des approches psychologiques ou comportementalistes, dans la mesure où l’endoctrinement des personnes radicalisées tient peu à la puissance de l’idéologie à laquelle ils adhèrent. En effet, il est frappant de voir que celles-ci n’ont généralement que des connaissances très élémentaires de l’Islam. Différents types d’approches mises en œuvre depuis le 11 septembre 2001 sont analysées par Mathieu Guidère, qui s’efforce également d’en souligner les limites.

Approche internationale

Les cahiers se sont également ouverts à une approche internationale. D’une part, elle propose des contributions sur la Grande-Bretagne et l’Afrique sub-saharienne. D’autre part, elle met en avant des chercheurs étrangers à l’image de la sociologue Hanifa Touag qui relativise le lien entre colonisation et radicalisation, les radicaux de Belgique étant d’origine marocaine et turque.
En tant que président de la MIVILUD, Serge Blisko, dont la contribution au dossier analyse les liens entre dérive sectaire et radicalisation, est davantage confronté à la radicalisation non violente. A ce titre, il s’interroge de façon prioritaire sur ce qui pousse un jeune à entrer dans un cycle de violence, qu’il tourne avant tout contre lui-même. Il remarque que les jeunes radicaux sur le départ ou au retour de lieux de combat, posent un problème de santé publique important en raison de l’état psychologique très particulier dans lequel ils se trouvent. Ceux qui reviennent sont souvent traumatisés par ce qu’ils ont vu et se trouvent dans un état psychologique très fragile. Ils restent souvent dans leur famille, sans autre structure d’encadrement. Les familles elles-mêmes sont généralement dans un grand désarroi. La MIVILUD est particulièrement préoccupée par la radicalisation des jeunes filles, car aucune n’est encore rentrée du champ de bataille, sans doute parce qu’une fois parties, elles se trouvent dans un dénuement matériel complet et que le contrôle de la part des hommes est plus important que pour les garçons.
Pierre Conesa, auteur d’un rapport sur la déradicalisation remis en décembre 2014 et d’une contribution au dossier, souligne qu’en France, la classe moyenne musulmane est tout à fait intégrée, et qu’elle demande à être indifférenciée d’avec les autres Français plutôt qu’elle ne revendique un régime particulier au nom de l’Islam. Elle s’est d’ailleurs mobilisée contre la radicalisation bien avant que les pouvoirs publics ne commencent à s’y intéresser. Une difficulté importante que ceux-ci rencontrent est que la lutte contre la radicalisation ne relève pas d’un service unique, mais de plusieurs ministères selon les situations : Intérieur, Justice ou encore Affaires étrangères. S’agissant de la lutte contre l’islamisme radical et le salafisme, il est particulièrement regrettable que le ministère des Affaires étrangères ne soit pas plus impliqué car ces courants sont très sensibles aux questions géopolitiques.
De ce point de vue, le rapport de la France à l’Arabie Saoudite constitue un problème majeur. L’alliance avec ce pays qui bafoue ouvertement les droits de l’homme en toute impunité et sans susciter de protestations officielles, alimente le sentiment d’un double standard de la part de la France qui prétend agir pour la défense de principes qui sont piétinés par son alliée.

Les États pourvoyeurs

Par ailleurs, l’Arabie Saoudite a joué un rôle de tout premier plan dans le passage du tiers-mondisme comme principale idéologie mobilisatrice au djihadisme, en investissant massivement dans la diffusion de la doctrine religieuse wahhabite à partir de 1973. Les occidentaux ont longtemps été aveuglés par la logique de guerre froide et n’ont pris conscience de l’émergence de ce phénomène que tardivement.
Il est difficile de combattre l’idéologie islamiste radicale dans la mesure où les théologiens musulmans n’ont pas réalisé de lecture historique du Coran, en dehors de certains libéraux tels Tarek Oubrou et Mohammed Arkoun. Les hadiths violents sur lesquels s’appuient les djihadistes ne sont pas remis dans leur contexte, qui était celui d’une concurrence extrêmement vive entre les premiers califes. En outre, l’Islam sunnite, qui est le plus répandu en France, n’est pas hiérarchisé. De ce fait, les autorités religieuses variées et les institutions représentatives du culte musulman ne sont pas capables de s’accorder sur des positions communes qui pourraient être opposées aux radicaux. La création d’une faculté de théologie musulmane en France ou dans un autre pays démocratique permettrait de résoudre ces difficultés. Celle-ci pourrait en outre être le lieu où serait développée et mise en avant une vision et une pratique de l’Islam compatible avec les valeurs républicaines, afin de combattre les courants islamistes qui perçoivent la République comme persécutrice. Ceci n’empêche pas que, comme avec les catholiques à l’époque de la loi de 1905, les autorités recherchent des « accommodements raisonnables » avec les musulmans.
L’un de ces accommodements consisterait d’ailleurs pour l’État à s’impliquer dans l’organisation du culte musulman en donnant l’impulsion nécessaire. Cette intervention n’étant pas durable, elle ne ferait pas entorse au principe de laïcité, mais elle permettrait, par exemple, d’instituer un système d’agrément des imams, qui pourrait être assuré par la faculté de théologie, afin de ne plus subir la situation actuelle qui n’est soumise à aucun contrôle de la part d’aucune autorité politique ou religieuse.

Martin Véber