La biographie d’Henry Chéron, député et ministre sous la IIIe République, vient s’ajouter à la pile des ouvrages consacrés au régime qui installa la démocratie libérale dans notre pays. Monumentale autant que précise, cette biographie permet de dresser, au-delà de la personne d’Henry Chéron, un portrait du personnel politique français des années 1890 jusqu’aux années 1930. Un grand merci à son auteur, le Clionaute Cédric Le Cannelier, pour la qualité de son travail et aux éditions OREP.
Henry Chéron, cet illustre inconnu
Autant les noms de Jules Ferry, Georges Clemenceau, Alexandre Millerand évoquent encore quelque chose, autant celui d’Henry Chéron n’est guère passé à la postérité. Certes, la bonne ville de Lisieux dont il a été maire pendant près d’un demi-siècle a laissé son nom à la rue principale mais au-delà du Calvados, qui se souvient de ce personnage ?
Cédric Le Cannelier entend réparer cet oubli en trois grandes parties ordonnées comme suit:
- « Le Cid de Normandie » (1867-1913)
- « Le Gambetta normand » (1913-1928)
- « Le Père Gaspard » (1928-1936)
Comme bien des députés, Henry Chéron était un gros poisson de la politique habitué à nager entre radicalisme et conservatisme, entre nécessités locales à Lisieux et ambitions nationales à Paris. Avocat et journaliste, il était adepte des bons mots, de ses formules qui font mouche et qui lui rallient un large public. On se moquait de son obésité ? Lui-même affirmait que son ventre était « un cimetière à poulets ». Les participants d’un banquet républicain lui trouvaient une petite voix à son discours ? Il répondait que c’était sans importance, qu’il « aurait bientôt les vôtres ».
Henry Chéron, le politique
Bien entendu, le lecteur peu scrupuleux du XXIe siècle pourrait voir là l’archétype d’un politique sans épine dorsale. Pourtant plusieurs faits saillants montrent qu’il faut dépasser ce préjugé. D’abord, l’homme a fait ses armes dans un département fort peu républicain. Radical dans une région bonapartiste, laïc à l’heure où ses administrés se répandent en dévotions à sainte Thérèse, il fallait au contraire force conviction pour tenir le cap. Travailleur acharné, il lui fallut attendre 1906 pour arriver au Palais-Bourbon et occuper des postes au gouvernement, jusqu’à ceux de ministre des Finances (1928-1930) ou de la Justice (1934).
Ensuite, que ce soit en temps que maire ou que ministre, Henry Chéron s’est préoccupé particulièrement des questions d’hygiène et d’assistance au point que les médecins militaires, du temps où il officiait rue Saint-Dominique, parlaient de « chéronite aiguë » en voyant déferler les circulaires. Les troupiers doivent à Chéron le chauffage dans les réfectoires et les chambres, les chaussettes obligatoires, etc. Finalement, lui qui n’avait rallié que sur le tard le camp dreyfusard, il fit déposer un projet de loi interdisant les conseils de guerre et toute juridiction d’exception en temps de paix. Conseiller général du Calvados, Henry Chéron se fit connaître par une lutte vigoureuse contre la mortalité infantile: lutte contre les taudis, construction de HBM, création d’une maternité pour les accouchements anonymes, etc.
Enfin, il est frappant de constater la complexification croissante des dossiers en charge, parallèle à l’extension des missions de l’État et au nouveau monde créé par la Grande guerre. Juriste de formation, Henry Chéron devient tour à tour capable de traiter tous les dossiers relatifs, à la guerre, à l’agriculture, aux finances, jusqu’à siéger longuement dans la très prestigieuse commission sénatoriale des finances.
Un échec à la présidence de la République
On peut raisonnablement s’interroger sur les raisons qui ont empêché Henry Chéron d’accéder à des responsabilités plus hautes. Un temps pressenti pour la présidence du Sénat puis à la présidence de la République, il ne réussit pas à créer l’adhésion. À la lueur de la première et de la seconde partie du livre, il ressort que Chéron a préféré la position d’administrateur à celle de dirigeant de premier plan, en somme la gestion au gouvernement. Il tient les réseaux républicains de Normandie, avec des ratés d’ailleurs, mais la biographie fait assez peu étalage de ses amitiés à Paris, si ce n’est pour évoquer les ruptures ou encore, de manière indirecte, à l’évocation du décès de R. Poincaré.
De même, la fin de carrière ministérielle de Chéron ne se déroule pas sous de bons auspices: il est ainsi ministre des finances après la crise de 1929 ou encore ministre de la Justice du temps de l’affaire Stavisky. On pouvait rêver meilleures circonstances.
L’ouvrage de Cédric Le Cannelier est d’une grande clarté d’exposition. Le style est sobre, efficace, très bien charpenté par des titres et intertitres qui permettent une circulation commode. Un solide appareillage bibliographique soutient l’ensemble, tant dans les notes en bas de page que dans la copieuse bibliographie finale. Quelques pages sont même consacrées à des photographies, dont une présentant H. Chéron devant le perron d’un HBM. On y trouve également des tableaux sur les différentes fonctions occupées et la composition des gouvernements.