Sur l’auteur, Michel FOUCHER, géographe confirmé spécialiste de géopolitique, on apprend peu de choses, prof à Lyon II, à Varsovie, il est aussi fondateur de l’Observatoire Européen de Géopolitique. De la part des éditeurs et des auteurs, on attendrait un peu plus de transparence afin de permettre au lecteur de bien situer « d’où » écrivent les auteurs, notamment dans leurs rapports avec les pouvoirs politiques (expertise, programmes de recherche).

Préface commune de C.PIERRET maire de St Dié et R.KNAFOU, géographe parisien et président du festival.

Belin en collaboration avec le festival de géographie de Saint-Dié des Vosges, Sept 98

Introduction / L’Europe un nouveau monde ?

L’Europe est d’abord une posture philosophique (individu et liberté, doute, autocritique), un continent par essence inachevé. Références aux philosophes, historiens et artistes, alors quelle place pour la géographie ? Ils se sont légitimé par la carte dès la Renaissance.
Mis en parallèle de l’abandon du projet colonial français et son remplacement par l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, mais désintérêt relatif des sciences humaines jusqu’à l’Evénement (1989-92), d’ou un nouveau monde à explorer et enseigner, d’où nombreuses recherches et publications. Désir de travailler pas seulement sur les crises, mais aussi sur la construction européenne, jeu à somme positive entre les nations (win win), or constat que la géographie est souvent embarquée dans une logique de compétition (perd/gagne) et de peur. Critique aussi de la notion de puissance dans les programmes scolaires aux dépens d’une logique d’équilibre multipolaire
Envisager l’Europe comme bien commun, res publica à prendre en charge, notamment par les géographes.

Chapitre 1 / le pouvoir d’un nom de la longue durée (histoires I)

Carte du peuplement englobant Maghreb, Turquie, Russie. / carte « financière » / carte des langues
L’Europe est une « tradition inventée », exemple la racine démocratique athénienne est d’invention récente (XIX) et a été réutilisée récemment par la Grèce pour rejoindre d’une manière anticipée la communauté européenne. « européens » attribué au pape PI II (1458/1464) contre la menace de l’islam. puis les images de la centralité (Athènes/Rome/Paris), rôle de la Réforme, puis des Lumières (la république des Lettres)
Une fin provisoire d’Europe fin XIX, avec la montée des nationalismes, puis viennent les projets géopolitiques totalitaires à dimension européenne.
Dans la construction européenne, pas d’antagonisme de fond entre état-nation (E.N.) et Europe construite, mais interaction structurante. L’Europe est une stratégie du discours des E.N. qui y trouvent les modalités de leur coexistence.

Chapitre 2 / L’Europe comme perspective (histoires II)

Carte géoéconomique (sans le Maghreb)
L’Europe n’est ni inévitable, ni de toute éternité. Discours fréquent à double finalité sur le passé de l’Europe. Justifier le rêve fédéraliste considérant les E.N comme une forme transitoire (rêve aujourd’hui en déclin), ou montrer le caractère eschatologique du projet européen en sélectionnant le passé à vocation européenne.
Plutôt relire le passé pour y trouver un « complexe européen » (dans son sens proche de celui de concept), individu, nation, capitalisme, état de droit et attachement à une rhétorique unitaire (culture, économie et politique).
Le bonne monnaie commune ne peut exister sans un ordre politique européen.
Les aléas de la construction européenne. La valorisation des petits états comme équilibre entre les grands, la question de sa puissance externe (pas de politique étrangère commune), la fragmentation de l’Europe orientale et centrale, les nations internes de l’ouest ( basque, écossaise) dont l’insertion européenne peut limiter le conflit avec l’état-nation. D’où un certain parallélisme et convergence paradoxale entre toute cette fragmentation et l’union européenne. Manque d’espace public européen, autonomisation de certaines élites du contrôle démocratique national, risque de la « nation désœuvrée » privée de certains débats essentiels.
Doutes sur l’Europe, ex « peut adhérer à l’union tout état européen » (Amsterdam 1997) pour la Commission « européen » c’est posséder certains critères culturels (prépondérance de la civilisation occidentale)

Chapitre 3 / Vision d’Europe (Géographies I )

Carte des enjeux nationaux (dont le Maghreb est à nouveau exclu)
Question, l’Europe politique est-elle érosion dangereuse des Etats ou continuité de leurs attributs à une autre échelle ? Chaque partenaire trouve un intérêt propre (la France vise la réincarnation, l’Allemagne la rédemption), interaction franco-allemande : 4 forces distinctes, le méthode de Monnet (stratégie fédéraliste), le soutien américain contre l’URSS, la volonté française d’encadrer l’Allemagne, la volonté allemande de se réhabiliter et d’envisager la réunification.
La plupart des états de l’Union ont eu un deuil territorial (colonial ou non) à faire plus ou moins récemment.
L’Europe vue d’Allemagne : économie libérale et stabilité financière, idéal fédéral, élargissement à l’est, car l’Allemagne se sent au centre de l’Europe, et non en frontière orientale, mais contradiction avec le désir de réduction de la contribution financière allemande, sur la soutenabilité du modèle social allemand (avec les délocalisations), inégalités avec l’Est (type USA/Mexique). Rôle de l’Europe dans les stratégies des autres états.

Chapitre 4 / L’Europe et ses frontières aujourd’hui (Géographies II)

Carte de l’UE et de ses partenaires, engagés ou bénéficiaires de programmes (Maghreb inclus cette fois ci)
La suppression des frontières internes, une des 4 libertés agrées dans l’acte unique de 86.(cas des zones frontalières comme espace et non comme limite), mais lenteur d’application ex Schengen entré en vigueur à partir de 1995, 5 ans après la signature de la convention d’application. est-ce aussi le passage d’une souveraineté territoriale à une souveraineté juridictionnelle ? la nouvelle carte douanière française concentre les agents aux frontières extérieures de l’Union (Suisse, aéroports et ports maritimes) tout en intégrant tout l’espace national (respect des normes, contrefaçons), dilution du fait frontalier tous les nœuds de communication. Fluidité des flux d’étudiants et de formateurs (1,3 milliards de passages par an dans les frontières de l’espace Schengen).
Mutation du système migratoire avec une perspective de mise en place de quotas comme en Suisse. Le gestion de l’immigration aux frontières Schengen est un élément fondamental de la définition des frontières de l’Europe organisée. Cas de l’Allemagne qui renvoie ses clandestins venus par la frontière polonaise en donnant au gouvernement polonais une compensation financière. (accord similaire avec Tchéquie, Roumanie, Hongrie et bientôt Bulgarie), idem entre l’Italie et Tunisie et Maroc.
Les périphéries : le Maghreb dont les PIB agrégés représentent 4 % de celui des Quinze. UE, 1er client et 1er fournisseur, soit états plus intégrés dans le marché communautaire que les pays de l’est européen. Aide européenne 4,7 milliards d’ECU (95/99) contre 7,2 à l’Europe centrale et orientale. Influence croissante de l’Italie et de l’Espagne, blocage de cette aire de la Méditerranée occidentale par la guerre civile en Algérie. Les Balkans, où la Grèce ne joue guère un rôle de point d’appui de l’Union (cavalier seul), gros retard de l’Europe du SE, la Grèce seul état de l’Union qui pourrait être directement engagé dans un conflit territorial et militaire. Les multiples formes de l’interaction frontalière de l’Union s’appliquent à la quasi-totalité des ensembles majeurs de l’espace européen.

Chapitre 5 / Des Europes à géométrie variables (Géopolitiques I)

Carte des maillages régionaux, carte stratégique
Pendant tout le temps de la construction, on ne s’est jamais soucié des frontières ultimes de l’ensemble européen. 1992, après énoncé des critères culturels de l’identité européenne la Commission écrit  » il n’est donc pas possible ni opportun d’établir maintenant les frontières de l’UE dont les contours se construiront au fil du temps ». Préalable démocratique et de protection des minorités (ex Lettonie mise en demeure de revoir son droit sur la minorité russe pour prétendre postuler) prochain élargissement entre 2002 et 2006. Le problème sera la gestion d’une frontière externe plus orientale, que les prochains pays de l’Union voudront garder ouverte.
L’Europe des 6 avait été dessinée par ceux qui avaient refusé d’y participer, maintenant l’Europe est la perspective de presque tous les états, mais il faut dissiper l’illusion cartographique, l’extension de l’Europe ne peut que s’accompagner de sa dilution comme processus de convergence politique maîtrisée. L’élargissement n’est pas une fin en soi et ne doit pas entraîner la destruction de l’acquis communautaire actuel (efficacité déclinante à mesure de l’élargissement). Si l’UE fonctionne comme pôle de stabilité, les conditions d’entrée doivent être strictes et cette nouvelle translation prendra de toute manière du temps. L’Europe centrale en prise avec sa propre Renaissance.
L’Europe multiscalaire, emboîtement d’échelles NIVEAU 1 : l’élargissement à 15 limite la communauté d’intérêts et apparaissent les coopérations renforcées entre certains états (Schengen, euro) comme cœur de l’Europe. NIVEAU 2 : aux yeux des candidats, l’Europe idéale à 27 ! processus enclenché depuis 93 (critères, préadhésions, programmes PHARE, agenda 2000). 5 pays soumis à un examen analytique, inclus avant 2006. NIVEAU 3 : UE, 1er partenaire de tous les pays européens et méditerranéens et 1er contributeur. Couverture énergétique déclinante, problème des corridors de transport NIVEAU 4 : les partenariats avec les grands pays proches (Russie, Ukraine et Turquie si on choisit de refuser le principe de son adhésion comme état non-européen). Partenariat UE/CEI trop dissymétrique. Maillage de traités. Importance de la perspective européenne pour la Turquie pour sa vie démocratique interne.
Projet d’une confédération européenne pour tous ces états autour des problèmes de sécurité commune dissociée de l’UE et permettant sa conservation sans un élargissement excessif. Apurer tous les conflits frontaliers, en se dégageant de l’influence américaine.

Chapitre 6 / L’Europe et le monde, le retour de la modernité (Géopolitiques II)

Carte d’un modèle géopolitique européen
Jusqu’en 1990, processus européen construit de manière introvertie, depuis prise en compte plus forte des conflits externes et de la mondialisation en cours. Europe, province du monde global ? La « géoéconomie », comme forme commerciale de la géopolitique. Rappel des insertions anciennes dans le monde. 1/4 du produit brut mondial. Problème de la relation centrale avec les USA : importantes diasporas centre et est-européennes aux USA, forts investissements US à l’est. Beaucoup d’états de l’UE consulteraient les USA avant les grands débats de l’UE. Construction d’une Euramérique aux intérêts symétriques des deux partenaires.

Epilogue / Au café de l’Europe.
Entre histoires et géographies règne le Politique. Absence de menace extérieure justifiant la construction (sauf à y mettre les « étrangers » migrants). l’UE produit du droit qui s’impose sans être un état, donc déficit démocratique, cf. Jürgen HABERMAS qui propose en 1995 la rédaction d’une constitution européenne. Invention du café, de l’espace public de discussion en Europe, mais pas d’espace public européen comme il en existe dans chaque pays membre. Refonte des élections européennes, du mode de désignation du président de la commission. Rôle des intellectuels dans ce processus de débat européen démocratique et forcément conflictuel

Commentaire
Le terme « essai » demanderait à être justifié par l’auteur et l’éditeur. Pour qui est écrit ce livre ? Est-ce à cause des réflexions, des citations historiques ou philosophiques ? La réflexion est variée dans ses approches et très intéressante, elle déblaie beaucoup de lieux communs journalistiques ou pédagogiques, même si le découpage choisi, histoire, géographie, géopolitique qui semble au premier abord facilement acceptable peut apparaître comme un parti pris.
Remarques : la cartographie me semble vraiment sous-utilisée dans le livre, c’est dommage. Le Maghreb apparaît comme le grand oublié quand l’auteur traite des limites. Enfin, manque sans doute une présentation de « l’intérieur » des élites européennes.

Février 1999.

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Voir aussi le CR de Marie-Christine Doceul paru sur la liste en avril 2001 :

L’éditeur Belin vient de lancer sous le titre de Frontières une nouvelle collection de géographie et de géopolitique. L’objet est  » d’observer les nouvelles configurations en cours d’édification  » à commencer par l’Europe (1er ouvrage de la collection). Il s’agit aussi d’étudier les grandes questions géopolitiques et le devenir des frontières aussi bien en Europe occidentale qu’en Europe balkanique, au Caucase (3ème ouvrage à paraître) ou au Proche-Orient, en Afrique (2ème ouvrage paru) ou en Asie. Enfin, seront analysées les compétitions pour les ressources (eau, énergie, diamants). Les auteurs des ouvrages sont des chercheurs géographes, politistes, sociologues, ethnologues proches de l’Observatoire Européen de Géopolitique de Lyon, fondé par Michel Foucher.

La collection Frontières s’ouvre sur l’Europe. Il s’agit de l’ouvrage de Michel FOUCHER déjà publié en septembre 1998 chez le même éditeur à la suite du FIG de Saint-Dié, à la différence près que les 10 cartes en couleur (une nouvelle carte sur les scénarios européens 2000-2020 a été ajoutée) sont regroupées dans un atlas au début du livre et que la bibliographie a été mise à jour. Le titre, La République européenne, renvoie à l’idée-clef du livre : l’unité européenne est un bien commun construit dans la diversité des Etats-nations. Le sous-titre Entre histoires et géographies a été supprimé, c’est dommage car il indiquait la démarche : une approche d’abord historique (ch. 1 et 2) afin d’inscrire l’Europe dans le temps, puis une analyse géographique (ch. 3 et 4) qui en montre les représentations et les limites spatiales, pour aboutir à une perspective géopolitique (ch. 5, 6 et 7) à plusieurs échelles.

Cet ouvrage est utile dans le cadre de la préparation des IEP. Il le sera aussi dans la perspective du futur programme d’histoire et de géographie de Première qui fait une place importante (toute la 5ème séquence) à la construction européenne et à la géopolitique de l’Europe contemporaine. On retiendra en particulier la carte des enjeux nationaux dans le continent européen, et celle du modèle géopolitique européen.