Marie-Aleth Grard est alliée du mouvement ATD Quart Monde depuis 40 ans. Photographe de profession et membre du Conseil économique, social et environnemental depuis 2008 (elle a été rapporteure au CESE de l’avis « Une école de la réussite pour tous »), elle est ,depuis 2020, présidente d’ATD Quart Monde.
Dans son propos liminaire, Marie-Aleth écrit que « l’école est le socle de notre démocratie. Or, aujourd’hui, notre système est terriblement inégalitaire. Il favorise les plus aisés qui ont les codes de l’école et laisse sur le bord de la route les plus fragiles. Nous devons tout faire pour que notre école tienne la promesse républicaine de permettre à tous, quelle que soit son origine, de réussir et de choisir sa voie et par là même son avenir ».
Marie-Aleth Grard plaide pour une formation des enseignants prenant en compte les différences de milieu social et pour une formation initiale induisant l’apprentissage des pédagogies différenciées.
Elle évoque également les 100000 jeunes sortant du système éducatif chaque année sans diplôme et sans inscription dans des formations et les « 1,5 million de jeunes âgés de quinze à vingt-neuf ans » qui « ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (p.12) ». Les effets de la crise sanitaire sur la scolarisation des enfants défavorisés sont mentionnés et Marie-Aleth Grard revient sur le souci constant d’ATD Quart Monde pour la scolarisation de toutes et tous, de la fondation du mouvement en 1957 avec les combats de Joseph Wresinski (à l’origine de l’organisation) à Noisy-le-Grand à l’expérimentation CIPES, acronyme qui signifie « Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation ».
L’ouvrage offre ensuite une série de témoignages de militantes et de militants d’ATD Quart Monde, évoquant leur parcours de vie, leur vécu scolaire et, pour certains, ceux de leurs enfants.
Franck, militant ATD Quart Monde de 52 ans, dit ainsi (p.30-31) : « l’école, ça s’est passé sans se passer. Je pouvais bien aimer l’école mais l’école ne m’aimait pas. C’était plutôt un calvaire qu’autre chose. On disait que j’avais des capacités mais que je ne voulais pas. On peut avoir des capacités et être empêché par l’environnement autour de soi. J’étais insulté par ce que je suis issu d’une famille des gens du voyage. Les personnes qui ne vivent pas comme les autres dans un appartement ou dans une maison, c’est forcement des clochards, des pouilleux… On est les boucs émissaires.
J’ai pris le parti de ne pas aller vers les autres, de ne pas parler, de m’enfermer sur moi-même, de recevoir la tempête et de faire le grelot pour ne pas être mouillé. Au début, c’étaient des bagarres et des insultes envers mes parents. Et puis quand quelque chose disparaît, c’est toujours toi qui es accusé. Quand mes camarades m’injuriaient, les profs ne réagissaient pas. Ils voyaient mais je n’allais pas me plaindre, ça n’était pas dans mon caractère d’aller chouiner. Moi, c’était plutôt me défendre tout seul. Tous les enseignants n’étaient pas pareils. Je me souviens d’une enseignante très douce, très proche de ses élèves, surtout les plus laissés de côté. Je me souviens d’un autre qui, comme je restais dans mon coin et que je ne décrochais pas un mot, m’appelait « l’homme de Cro-Magnon ». Je ne faisais plus attention. Je n’ai pas de haine envers les enseignants. Non, mais j’ai eu de la haine envers les préjugés sur ton origine, sur l’endroit d’où tu viens, sur là où tu habites et comment tu habites ».
Nombreux sont les intervenants qui mentionnent une orientation scolaire subie pour eux comme pour leurs enfants, leur colère passée contre l’institution. Les espoirs placées en l’école, avec un dialogue et un changement relationnel avec les personnels sont aussi souvent au cœur des écrits des militants. Les effets de la crise du COVID sont aussi régulièrement soulignés.
L’ouvrage se termine par les interventions d’enseignants et d’une chercheuse, Dominique Reuter, didacticienne des mathématiques et membre du mouvement ATD Quart Monde.
L’égale dignité des invisibles est ouvrage sensible qui permet d’offrir un autre regard sur les problématiques de grande précarité et d’éducation.
Grégoire Masson