« La Révolution des Métiers Verts », tout un programme décliné par vingt passionnés qui témoignent dans un ouvrage proposé par le collectif Adret.
Adret est né au milieu des années 1970 au moment du rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance. Parmi ses publications nous relevons « Travailler deux heures par jour » (Le Seuil, 1977), « Résister » (Ed. de Minuit, 1997), « Le changement climatique : aubaine ou désastre ? » (Ed. du Cerf, 2007).
Ce collectif entend défendre l’idée d’une croissance verte « qui ne serait pas subordonnée à la satisfaction d’intérêts financiers à court terme, mais qui […] aurait l’avantage de créer un grand nombre d’emplois […] ».
Le ton est donné mais l’interrogation reste : la révolution serait-elle conduite par les Métiers Verts ou les Métiers Verts subiraient-ils une révolution ou tout simplement une révolution inéluctable mettrait-elle les Métiers Verts au centre ?
A ce stade, il est vrai que le titre appelle plus de questions qu’il ne lève le voile sur un fil conducteur.
La table des matières se veut plus explicite. Divisée en six parties plus une grande conclusion, l’ouvrage égrène des titres qui vont des sciences du climat à l’économie verte en passant par l’agriculture et la sylviculture, le bâtiment ou la gestion de l’espace et des ressources. Et pour finir, l’ouvrage intègre sa réflexion dans « l’enseignement et la formation » avant de conclure que « l’urgence est politique ».
Dès lors, on saisit mieux la construction de ce long plaidoyer pour une économie verte.
En fait, les auteurs, à travers des témoignages souhaitent tout d’abord s’appuyer sur les connaissances scientifiques actuelles, puis exposent des réalités du terrain avant de prendre de la hauteur pour faire adhérer le lecteur à l’économie verte. Enfin, les auteurs lancent quelques pistes pour sa mise en œuvre.
Conçu sous la forme d’interviews, le ou les auteurs (parce que le lecteur ne saura jamais qui écrit) donnent la parole à dix-neuf personnes d’horizons divers mais qui ont toutes un point commun : l’écologie.
1) Les bases scientifiques
Deux scientifiques, Valérie Masson-Delmotte, Paléoclimatologue et Hervé Le Treut, climatologue, dressent un tableau de l’état des recherches actuelles sur le phénomène du réchauffement climatique. La première, sous le titre « science et conscience, le devoir d’expliquer », nous expose les grands axes de la recherche sur le climat. Assez technique, cette partie explique que pour connaître l’évolution probable du climat et donc d’appréhender un éventuel réchauffement climatique il faut se baser sur les climats passés. Ces derniers sont reconstitués à partir de données fournies par d’importantes campagnes de mesures dont celles relevées dans les carottes de glaces. Valérie Masson-Delmotte, sans jamais tomber dans la démagogie, nous dit que si ces travaux « ont toutes les caractéristiques d’une science exacte […] l’objet d’étude est complexe et les données sont imparfaites ».
Quant à Hervé Le Treut, son intervention est davantage axée sur l’éclaircissement du débat scientifique entre les « pros » et les « antis » réchauffement climatique. D’entrée il se positionne en précisant que « le seul côté positif de ces débats, c’est de nous pousser à inventer le moyen d’avancer ». Il défend certes la probabilité d’un changement climatique vers le réchauffement, mais ne tranche pas la question. Il souligne toutefois que dans tous les cas il faut se préparer. Et se préparer c’est anticiper. Mais anticiper en évitant d’évoquer « l’apocalypse » qui a, selon lui, « un effet paralysant » alors que, dit-il, « on peut motiver les gens positivement en misant sur leur capacité d’agir ».
Avec ces deux interviews, le plaidoyer apparaît clairement. Les auteurs du livre adhèrent à la thèse d’un réchauffement climatique probable qu’il faut dès à présent combattre en modifiant notre mode vie. Mais au lieu de jouer sur la partition du catastrophisme, ils se positionnent sur le terrain de l’emploi qui apporte une note d’espoir quand il fait miroiter le recul du chômage.
La stratégie est bien choisie. Mais avec ces deux premiers intervenants, il paraît difficile de soutenir une « Révolution » des Métiers Verts…
2) La réalité du terrain
Dix interviews regroupées en trois grands thèmes nous apportent un éclairage de la réalité du terrain. Des personnes qui toutes sauf un Sénateur, exercent au quotidien ce que l’on pourrait qualifier de « Métier Vert ».
Ce qui semble paradoxal au premier abord, c’est que la plupart exerce des métiers très traditionnels comme cet architecte, cet entrepreneur en couverture ou cet agriculteur.
Ce n’est qu’à la lecture de leur témoignage que l’on comprend mieux le qualificatif de « vert ». En effet, chacun, dans son métier a pris, à un moment donné, le tournant de l’écologie.
Il en va ainsi de ce technicien agricole qui relate bien les méfaits de l’agriculture productiviste. Il narre son propre parcours, sa prise de conscience de l’atteinte à l’environnement et nous fait partager sa nouvelle orientation d’une agriculture respectueuse de la planète. Les arguments sont convaincants, bien illustrés. Mais on serait davantage tenté de parler de « renaissance » que de révolution du métier…
Il en est de même de la deuxième interview concernant cet agriculteur qui s’est converti à l’agriculture biologique diversifiée. Néanmoins ce qui apparaît ici, c’est que si les métiers verts ne sont pas nouveaux pour l’essentiel, les postes de travail deviennent plus nombreux par le simple jeu de l’adaptation à un mode de production plus « humain » et moins « industrialisé ».
En revanche, avec l’interview de cet ingénieur forestier, on apprend qu’il s’agit moins de convertir des métiers à, l’écologie mais plus d’ouvrir réellement la filière bois en France. Les exemples avec nos pays voisins démontrent en effet, le manque de volonté politique pour permette une bonne gestion de nos forêts. Là, les métiers seraient nouveaux non pas forcément au sens technique du terme mais au sens du nombre de poste à créer. Même si les auteurs avancent qu’autour de la cartographie et de l’analyse d’images numériques de nouveaux métiers apparaîtraient il semble bien que c’est dans la réhabilitation de la filière que les emplois naîtront.
Mais dans le bâtiment, il en va tout autrement. La révolution des métiers verts pourrait avoir lieu. En effet, les architectes et autres métiers du bâtiment soulignent à quel point leur profession pourrait et même devrait être tournée vers l’écologie. Sous des titres évocateurs comme « Urgente rénovation thermique des logements », « construire avec le climat », « du recyclage à l’isolation des toits » on comprend mieux le tournant écologique de ce secteur et avec le dernier titre « les filières des énergies renouvelables peuvent créer une myriade d’emplois », les bases de la réflexion sont jetées.
Et, si l’on reprend le vieil adage « quand le bâtiment va, tout va », on saisit mieux l’enjeu. Aujourd’hui, nous disent les quatre professionnels du bâtiment qui sont interviewés, la filière toute entière du BTP est responsable du réchauffement climatique. Et ils déclinent. Tout d’abord les bâtiments anciens sont mis en cause. Les déperditions sont tellement importantes que l’énergie nécessaire pour le confort des personnes s’apparente à du gaspillage. La réflexion ici est profonde. Notre parc immobilier ancien n’avait pas été conçu pour l’utilisation que nous en faisons aujourd’hui. Là où nos aïeux se regroupaient autour d’un poêle ou d’un feu de cheminée, nous avons aujourd’hui un chauffage central qui assure une température homogène d’au moins 20°. Quand nos aïeux mettaient une « petite laine » pour mieux supporter le froid de l’hiver dans leur logis, nous cherchons à augmenter le chauffage pour être à l’aise. Et tout cela dans des logements qui n’ont pas été conçus pour cela. En d’autres termes, nous chauffons notre jardin…. Et, pour les climatisations en été, il en va de même…. Nous rafraîchissons nos jardins….. D’où le cri d’alarme de l’expert Olivier Sidler, la rénovation thermique des logements est urgente, et du même coup les métiers qui l’accompagneront aussi.
L’architecte Mathieu Belcour lui s’attaque davantage aux bâtiments neufs qui devraient être construits en tenant compte du climat de la région. A le lire, c’est tellement vrai que l’on est tenté de se demander pourquoi la raison ici ne l’a pas emporté depuis longtemps. En effet, quelle idée de concevoir une maison, un logement avec des ouvertures presque exclusivement orientées au nord ? Oui mais, la raison s’oppose à la logique financière. Imaginez une maison individuelle dont le terrain est situé nord/sud, la rue qui le dessert étant au nord. Cela reviendrait à dire que la façade « principale » serait borgne ! Et comment construire un immeuble de plusieurs centaines de logements sans exposition au nord ? Mathieu Belcour préfère évoquer les possibilités techniques d’isolation qui sont offerte aujourd’hui. Il ne fait aucun cas de l’explosion démographique qui exige des logements de plus en plus nombreux, ni de l’importance du coût supplémentaire de ces bâtiments isolés.
L’entrepreneur en couverture, Yves Martin est beaucoup plus pragmatique. D’après lui, les déperditions de chaleur en hiver et de fraîcheur en été sont principalement le fait d’une absence ou d’une mauvaise isolation des toitures dans notre pays. Il soutient que l’isolation faite selon les anciennes normes avec de la laine de verre est insuffisante et peu écologique. Il préconise des calculs plus rigoureux et des matériaux mieux adaptés. Il utilise par exemple des matériaux nouveaux qui ont été « découverts » au Canada. Ce sont des « matériaux faits de tissus, de papier et de carton » tous recyclés à partir du tri des déchets. L’idée est séduisante mais dans l’hypothèse où tous les logements en France étaient ainsi isolés, y aurait-il assez de déchets utiles ? Et là encore, on peut difficilement parler de « Révolution des Métiers Verts ». Tout au plus si les isolations des toitures s’imposaient, il y aurait des postes de travail supplémentaires…. pour un certain temps !
Enfin, Jean-Louis Six, le dernier à intervenir sur le bâtiment soutient que les énergies renouvelables peuvent créer de très nombreux emplois. Il expose les dernières recherches et applications de l’énergie solaire mais il souligne également l’importance de la « question de l’acceptabilité des innovations ». Et surtout il ouvre une porte, celle de la rentabilité. Tous ces nouveaux produits entraînant de fait de nouveaux métiers, apportent au départ leurs lots de gains inéluctables. C’est évidemment une note d’espoir. Mais il n’analyse en aucun cas le revers de la médaille.
Puis interviennent un Directeur du Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, Serge GROS, un Sénateur, Gérard Miquel et un élève de l’École Nationale du génie de l’eau et de l’environnement, Pierre Harguindeguy. Tous trois ont des statuts de décideurs à des niveaux différents. Sous la rubrique « la gestion de l’espace et des ressources » ils orientent leurs interventions vers des échelles plus grandes. Il ne s’agit plus là de toitures, de bâtiments mais de régions. Serge GROS insiste sur le nécessaire équilibre paysager sous couvert de développement durable. Et avance trois mots-clés qui selon lui caractériseraient « cette nouvelle façon de penser l’aménagement ». Il s’agit de la mixité, la densité de l’habitat et la concertation. Amplement argumenté, il termine néanmoins son intervention en précisant que « nous ouvrons des perspectives à nos concitoyens, nous développons des outils pédagogiques ».
Quant au Sénateur, il emboîte le pas à Serge Gros et fait état de réalisations concrètes à petite échelle dans le département du lot. Enfin, l’élève de l’École Nationale du génie de l’eau et de l’environnement, rapporte un projet d’adduction d’eau fait au Mali pour lequel il souligne que la participation de la population est indispensable pour assurer une pleine réussite.
3) L’économie verte
Après une interview assez brève d’un député, Jean-Yves Deaut sur le « panorama des nouveaux métiers, la parole est donnée à un économiste Christian Golier.
Si le député mentionne des filières soumises à mutation avec quelques nouveaux postes à créer, l’économiste explique bien les freins à cette économie verte.
C’est du reste l’interview la plus longue, et la mieux documentée. Sans en dévoiler les détails pour inciter le lecteur à s’y pencher, on pourra toutefois en ressortir l’essentiel.
D’après Christian Golier, les financiers n’y trouvent pas encore leur compte. Régie par le court terme, la haute finance hésite à investir dans le long terme.
Ce que vient confirmer Fabrice La Sache, Directeur associé d’Ecosur (production et négoce de crédit de carbone). Pour lui, le véritable travail c’est de « convaincre de l’intérêt économique de ce que nous proposons et à les intéresser à des projets ambitieux et innovants qui nous permettront de sauver la planète ». Mais nous dit-il, les industriels et les financiers sont « totalement obsédés par la rentabilité » et lui rétorque « souvent que l’environnement ne rapporte rien, que c’est l’affaire de scientifiques, d’écologistes ou d’ONG».
Et pour conclure ce passage sur l’économie verte, nous avons une note d’optimisme que veut nous faire partager Martin Chaste, responsable de projets chez Carbone 4 à Paris avec son interview intitulée « aller au travail avec le sentiment de sauver la planète ». Une note d’espoir qui tranche avec toutes ces dépressions et même ces suicides au travail qui font le quotidien de nos journaux malheureusement.
4) L’éveil
Enfin, dans une dernière partie, les auteurs donnent la parole à David Wilgenbus, responsable des projets pédagogiques de la Main à la pâte, ENS, Paris. On y apprend qu’un programme de sensibilisation à la nécessaire sauvegarde de la planète a été mis au point et est, à l’heure actuelle déjà largement diffusé dans nos écoles. Basé sur des expérimentations scientifiques simples, le projet vise à faire découvrir à l’élève la réalité du réchauffement climatique avant qu’il ne pose la question : « mais que pouvons-nous faire pour l’éviter ? ».
Interviennent ensuite, Jean-Marc Bernard, directeur, Les Compagnons du solaire et Jean-Paul Veanderlinden responsable des masters sciences de l’environnement, du territoire et de l’économie qui nous présentent leurs formations. Mais ils concluent que si des débouchés existent, trop souvent le développement de ces filières est trop souvent bloqué faute de moyens financiers. Ce que ne démentent pas les auteurs de l’ouvrage dans leur grande conclusion intitulée « car l’urgence est politique ».
Véritable point d’orgue de ce long plaidoyer, les auteurs insistent ici sur les réels freins, en France. Mais ils évoquent aussi le danger d’une « bulle verte » au sens financier du terme que pourrait entrainer une croissance verte. Arguments et contre arguments sont ici présentés pour permettre au lecteur d’orienter son opinion.
En conclusion :
Un livre qui apporte beaucoup mais qui ne tient pas ses promesses. Quand le lecteur attend la révolution par ou avec ou même pour les « métiers verts » il découvre un long plaidoyer en faveur d’un changement pour éviter le réchauffement climatique décrit comme inéluctable.
Mais au-delà du changement climatique, il transparaît à la lecture de cet ouvrage que les métiers verts pourraient être le vecteur d’une harmonisation entre les humains d’une part et avec la nature d’autre part. Mais le titre ne le traduit pas
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