La « Révolution française est terminée », il faut « refroidir » l’objet Révolution française. Telles étaient les incantations du chef de file du révisionnismeMot péjoratif dans la bouche des gardiens marxistes de l’orthodoxie universitaire des années 1970-1980. Cependant tout historien est voué à être, à un moment ou à un autre, un révisionniste, à partir de l’instant où ses recherches apportent de nouvelles données et contribuent à remettre en cause les théories de ses prédécesseurs, aussi illustres soient-ils. de l’histoire de la Révolution française, François FuretFURET François, Penser la Révolution, Paris, Folio histoire, 1978, p.27.au cours des années 1970-1980. Ces recommandations n’ont pourtant pas empêché les polémiques à l’heure du Bicentenaire, bien au contraire.
Cependant, une fois l’effervescence retombée du Bicentenaire, le départ prématuré de François Furet, les chercheurs, assagis, s’en sont retournés à leur « atelier »Furet François, L’Atelier de l’histoire, Paris, Flammarion, 1982. . De ces ateliers de France et d’outre-Atlantique ont émergé un profond renouvellement historiographique des études sur la Révolution française.
En France, le virage a été amorcé par de jeunes chercheurs autour de l’Institut d’Histoire de la Révolution Française. L’objectif historiographique était clair, rassembler les différentes tendances dans une histoire volontairement ouverte et pluraliste de la Révolution, alliant les perspectives politiques, sociales, économiques, religieuses, culturelles…
Plusieurs colloques sous la houlette de l’Institut et à la société des études robespierristes n’ont eu de cesse depuis la décennie des années 2000 de faire le point sur les recherches en cours et ainsi de souligner la vitalité, moins médiatique certes, des études révolutionnaires.
A la manière de l’ouvrage de Jacques SoléSOLE Jacques, La Révolution en questions, Point Seuil, 1989. à l’heure du Bicentenaire, l’ouvrage ici présenté se fixe pour but de faire un point historiographique sur les grandes questions qui ont guidé les historiens d’hier et d’aujourd’hui.

Le refroidissement de l’objet Révolution, Michel Vovelle joue aux anciens combattants

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la préface d’un ouvrage exposant les nouvelles pistes historiographiques a été confiée à M. Vovelle, ex-gardien de l’orthodoxie universitaire. Passage de flambeau ou hommage pré-posthume ?
Dans cette ouverture, M. Vovelle s’essaie à un tour d’horizon historiographique des années post-Bicentenaire en y tirant des constats pertinents. Sa vision du paysage historiographique révolutionnaire actuel y est lucide, mais elle est entachée par la lourdeur d’une plume trempée dans l’amertume d’un combat perdu et d’une certaine nostalgie des projecteurs.
Ainsi M. Vovelle regrette en premier lieu la perte de terrain voire la quasi absence de l’objet Révolution française dans le champ médiatique français depuis les années Bicentenaire. Dans un couplet aux relents d’ancien combattant, il dénonce pêle-mêle la désaffection et l’indifférence des politiques pour la mémoire républicaine et l’héritage révolutionnaire et semble regretter la dépolitisation des recherches sur la Révolution. Il conte avec nostalgie ses années de « ferraillage médiatique » avec son «meilleur ennemi», François Furet et fustige son héritage, laissé en déshérence selon lui. M. Vovelle a la défaite amère, mais dans un dernier effort de lucidité, il concède la bonne vitalité de la recherche scientifique sur la Révolution.
La deuxième partie de son « pamphlet », comme il le nomme, le conduit à souligner, en effet, le rajeunissement du corps des chercheurs réunis autour de l’Institut et de la société des études robespierristes ainsi que l’éclatement des chapelles.
Il met également en lumière l’élargissement des perspectives de recherches opéré par cette « nouvelle vague » post-90 partie à la conquête de nouveaux territoires.

Cette préface volontairement polémique voire provocatrice, outre le fait qu’elle détonne avec l’esprit dans lequel s’opèrent les recherches actuelles, pose une importante question d’épistémologie de l’histoire. En effet, M. Vovelle semble regretter le temps des polémiques médiatiques lorsque les universitaires sortaient de leur atelier pour aller ferrailler sur les plateaux de télévision. Mais, à la lecture de ces propos, et d’une certaine conception du «faire l’Histoire», on peut légitimement se poser la question de savoir si la recherche historique a vraiment à gagner en efficacité et pertinence lorsqu’elle s’adonne à la polémique partisane sous les projecteurs ou plutôt lorsqu’elle reste confinée à l’humilité et à la quiétude de l’atelier et des colloques savants ?
M. Vovelle, dans un regain de fierté, ne s’est pas tout à fait accoutumer au refroidissement de l’objet Révolution ; il a enfilé une énième fois son bonnet et empoigné sa pique à la conquête de Bastilles d’un autre temps qui ne survivent que dans son imaginaire teinté de nostalgie et saupoudré d’un zeste d’amertume.

Une histoire du politique renouvelée à la croisée du social et du culturel :
La Révolution comme laboratoire socio-politique

Sans grande surprise, c’est le champ du politique qui concentre le plus grand nombre de contributions de ce recueilOn peut dénombrer au moins 11 contributions sur 28 touchant au champ du politique. Mais ce comptage reste en grande partie artificiel car toutes les recherches révolutionnaires mènent plus ou moins directement à la sphère politique.

Quoiqu’en dise M. Vovelle, l’héritage de Furet n’est pas totalement en déshérence et le glissement de l’économique et du social vers le politique s’est confirmé. En effet, le politique reste encore le fil rouge de la majorité des recherches et le prisme premier de l’intelligibilité de l’objet Révolution. Cependant c’est une histoire du politique renouvelée qui se situe dans le prolongement de cette histoire socioculturelle du politique initiée par M. Agulhon AGULHON Maurice, Pénitents et francs-maçons de l’ancienne Provence, Paris, Fayard, 1968., voilà déjà quelques décennies, autour des notions novatrices à l’époque de « politisation » et « sociabilité politique ». Ainsi s’entremêlent finement politique, social et culturel dans cette histoire du politique de la Révolution afin de retracer les contours et la genèse de la sociabilisation démocratique des Français au cours de la décennie révolutionnaire et au-delà. Ces contributions ont donc un point commun et se rejoignent autour du concept de « politisation » des Français et du thème de la naissance d’un espace politique public en voie d’autonomisation vis-à-vis du pouvoir.

Ainsi ces contributions s’attachent à éclairer, à la lumière des dernières recherches, les processus et les modalités de l’entrée des Français en politique tout comme les diverses expériences du vivre ensemble autour de la constitution d’un « pacte républicain ». Les contributions mettent en avant de nouvelles formes de sociabilité, de nouvelles pratiques, de nouveaux gestes politiques : l’analyse des sociétés populaires tente d’appréhender le « processus révolutionnaire par le bas » L’auteure reprend ici l’expression de Georges Lefebvre. en considérant ces sociétés comme des laboratoires de démocratie au sein desquels des catégories plus modestes de la population, auparavant tenue éloignée des questions politiques, fait son apprentissage de la citoyenneté. Les pratiques du vote et de la délibération de la décennie révolutionnaire sont également abordées sous l’angle de la sociabilité et de l’émergence d’une culture démocratique, d’une véritable passion pour la discussion et le vote et ce jusque dans la modestie des plus petites communes. Le Directoire voit son image totalement renouvelée par Pierre Serna qui voit en lui le véritable laboratoire d’une république démocratique, laïque et méritocratique naissante mais encore balbutiante à la recherche de la modération et de l’ordre qu’il croit trouver en la personne d’un jeune général.
La Contre-révolution voit également son angle d’approche renversé en étant étudiée par le biais d’une politisation du peuple fondée sur l’opposition à la Révolution.
L’imagerie politique tient aussi une place de choix au sein de cette thématique de la politisation grâce aux innombrables caricatures qui ont fleurie au cours de la décennie. Annie Duprat met en avant cet avènement de l’image politique comme une des modalités de la politisation des citoyens mais également comme un observatoire privilégié pour appréhender et comprendre l’ambiance de la France révolutionnaire. Il en va de même, dans une contribution complexe de Jacques Guilhaumou, du langage révolutionnaire qui connaît une mutation sous la Révolution et oscille entre langage politique et langage du peuple. L’étude du langage public sous la Révolution est constitue alors pour les historiens un moyen d’observer l’irruption du peuple dans l’espace public.
La guerre aussi voit son champ d’investigation soumis au prisme du politique en mettant l’accent sur le lien entre service militaire et citoyenneté autour du concept de citoyen-soldat. L’univers de l’armée est revisité à l’aune de la sociabilisation démocratique des Français. L’armée devient alors un laboratoire de régénération de l’homme, une école de citoyenneté grâce à l’alphabétisation, l’apprentissage civique.
Enfin, la contribution sur l’école s’inscrit également dans le sillage du politique. Selon Jean-Luc Chappey, l’école constitue un observatoire privilégié pour suivre les dynamiques révolutionnaires au travers des débats d’idées et de lois ainsi que des réalisations qui ont lieu au fil des changements de politiques. D’un projet pédagogique prométhéen visant à forger un citoyen guidé par les lumières de la raison, l’institution scolaire se heurte à la réalité du politique et en devient l’instrument sous Napoléon : Au service du « vivre ensemble », l’école se range au service de l’Etat et de ses élites.

Une histoire socio-économique revisitée et assagie en quête de nouveaux horizons

L’histoire économique et sociale de la Révolution paraît encore convalescente et semble avoir quelques difficultés à se départir de la chape de plomb marxiste la scellant dans la thèse de la « révolution bourgeoise ». Elle a souffert des interprétations globalisantes à visées idéologiques. Cependant la recherche dans ces domaines n’est pas atone, mais elle s’est transformée et s’est déportée sur d’autres questionnements et d’autres territoires. En effet, les études d’histoire sociales et économiques se sont lancées à la conquête d’autres horizons et ont délaissé une interprétation globale pour une plongée dans la micro-histoire. C’est cet émiettement social qui a été perçu comme le symptôme d’une crise. Si crise il y a, de l’histoire sociale et économique, c’est une crise de l’interprétation sociale globale de la Révolution, mais non de la recherche qui semble cependant avoir renoncé à fournir une lecture globale du changement social sous la Révolution. Ainsi s’est opéré un changement d’échelle, un glissement de focal afin de conjurer une lecture idéologique de la Révolution, en privilégiant les acteurs, le temps long et en tentant de mesurer l’impact de la Révolution sur les grandes catégories sociales. C’est pourquoi nous retrouvons dans ce recueil des contributions s’attachant aux itinéraires nobiliaires lors de la Révolution ainsi qu’à ceux du monde paysan. Un autre champ d’investigation a également été ouvert, celui des comportements et des normes organisant la vie collective, autrement dit, les évolutions du rapport de l’individu au collectif au travers d’études portant sur la plus petite cellule collective, la famille.
De ces travaux émergent les idées de continuité et de nuances. En effet, le changement social se montre rebelle aux analyses conjoncturelles et la Révolution ne semble pas avoir provoqué une rupture radicale dans les cadres sociaux ou le comportement des individus et communautés, ni individualisme ni dirigisme.
Dans le domaine économique, ce sont les chocs et les impacts du moment révolutionnaire qui sont privilégiés. La thèse du déclin ou de la catastrophe économique revenue sur le devant de la scène lors du Bicentenaire a fait long feu et c’est la nuance qui est à l’honneur. Malgré la rupture archivistique et les difficultés méthodologiques qui en découlent, il semblerait que la Révolution n’ait pas entamé la marche de la France vers le capitalisme industriel et la libération dus système productif. Du côté agricole, la production, sans bouleversements techniques et cultural aurait permis de nourrir une population en augmentation.
Le champ économique et social rejoint également le champ du politique en apportant une nouvelle épaisseur à la notion de culture politique. C’est le cas de l’histoire du Genre ou de l’histoire de l’esclavage en Révolution.
En effet, l’histoire des femmes constitue le symbole d’une histoire qui part du social, la remise en cause des normes sociales par la Révolution, pour aboutir au champ politique à savoir les manières dont les femmes ont fait une incursion dans l’espace politique alors exclusivement masculin.

Une histoire culturelle et artistique en cours de redéfinition, entre politique, social et anthropologie

L’histoire du genre ainsi que l’histoire artistique témoignent de cette volonté de décloisonner les territoires de l’historien de la Révolution.
En effet, ces histoires combinent les catégories du politique, du social, de l’anthropologie mais aussi des méthodes mêlant prosopographie et biographie pour susciter de nouvelles interrogations, explorer de nouvelles contrées et décrire des univers tous reliés entre-eux et nous ramenant inlassablement au champ du politique. Ainsi, les études sur la plume et le théâtre nous exposent un monde en mutation entre continuités des pratiques, des thèmes, des acteurs du XVIIIème siècle et les changements plus ou moins radicaux issus du contexte révolutionnaire. Les parcours d’un Talma, Chénier, Mercier, Collot d’Herbois ou Fabre d’Eglantine témoignent à eux-seuls des trésors de nuances qu’il faut convoquer pour dépeindre ce monde complexe en pleine mutation. Le théâtre, qui fût très étudié après le Bicentenaire incarne ce contraste entre la nouveauté et la persistance de pratiques héritées : les thèmes politiques patriotes sont à l’honneur et le théâtre prend de plus en plus des allures de divertissement spectaculaire sans oublier la dimension pédagogique que souhaitent donner à celui-ci les députés de la Convention. Mais à côté, les réseaux de sociabilité artistique prédominent.
La problématique de la Révolution envisagée comme laboratoire et espace privilégié de création trouve une nouvelle résonance dans le champ du culturel, après celui du politique, dans le cadre des sciences et des arts. En effet, ces deux domaines d’activités jouissent d’une image plutôt négative et de clichés faisant de la Révolution un temps de destruction plus que de création. Cependant, il n’en est rien comme en témoignent la création du système métrique par exemple, aujourd’hui quais-universellement reconnu, la Création de l’Institut, . Dans le domaine artistique, Philippe Carbonnière, attaché de conservation au Musée Carnavalet, souligne la prédominance des ruptures sur les continuités ainsi que la création d’un art authentiquement révolutionnaire source d’inspiration féconde pour les années postérieures. Il insiste sur la vitalité artistique de la Révolution qui a promu la liberté de l’artiste ainsi qu’un art politique mettant en scène une esthétique propre dans les symboles et allégories utilisées. Cet esthétique révolutionnaire était au service du politique mais également de la pédagogie des foules comme en témoignent l’organisation de nombreuses fêtes créant un art à part entière, celui de la mise en scène.
Enfin, une mise au point très intéressante de Serge Bianchi sur la politique patrimoniale de la Convention en déconstruisant le néologisme à succès de l’abbé Grégoire né après la chute des Montagnards. Bianchi dénonce la légende noire du vandalisme jacobin et souligne le volontarisme culturel, patrimonial et scientifique de la Convention montagnarde. Selon lui, il ne faut pas confondre « vandalisme » crée pour dénoncer et stigmatiser le groupe politique écarté du pouvoir, les jacobins, et l’iconoclasme, destruction symbolique et légale s’inscrivant dans le cadre d’une politique de régénération républicaine.
Ces différentes contributions du champ culturel ont le mérite d’être claires et au plus près de l’actualité de la recherche, mais surtout de nous dépeindre des champs de recherche qui s’entrecroisent, effectuant des va-et-vient incessants entre eux, entre politique, social, culturel…

Un hymne à une histoire plurielle et transversale de la Révolution française

Ce recueil de contributions d’une grande diversité balaie la quasi-totalité des territoires d’investigation de l’historien de la Révolution. Le fait que les contributions n’aient pas été classées en différentes rubriques comme « histoire politique, sociale, économique… », est très significatif et manifeste la ferme volonté de décloisonner les domaines de recherche et de privilégier la transversalité dans les sujets d’études abordés.
Cet éclatement des sujets d’études n’est qu’apparent car il est contrebalancé par ce souci de transversalité, même si on reste loin, pour l’histoire de la Révolution, de ce vieux rêve brisé d’histoire globale. Les mauvaises langues jugeront cette fuite en avant de la recherche, partant à l’abordage de tous les territoires de l’historien comme un antidote, une échappatoire aux polémiques idéologiques stériles. Il n’en est rien car cette exploration tous azimuts témoigne d’une nouvelle conception de la Révolution française, celle d’un laboratoire dans lequel ont été expérimentés de nouveaux mécanismes politiques, sociaux, culturels. C’est ainsi que pour rendre compte au mieux de la créativité de cette période, l’histoire de la Révolution s’est faite plurielle et ouverte à tous les horizons de la recherche historique française comme outre-Atlantique. Cette transversalité des sujets de recherche se regroupe toujours cependant autour du champ politique qui reste le point d’ancrage interprétatif du moment Révolution. En effet, à la lumière de nouveaux questionnements et à l’aide de nouveaux concepts, le politique fédère les domaines sociaux, économiques et culturels autour de la culture politique, de la culture démocratique naissante dans la France révolutionnaire.
En ce sens, cet ouvrage réaffirme les nouvelles orientations de la recherche révolutionnaire déjà exposées en 2004 dans un colloque organisé par l’IHRF sous la houlette de J.C MartinMARTIN Jean-Clément, La Révolution à l’oeuvre, Rennes, Presses universitaires, colloque 2004 Université Paris-1,IHRF, 2005. , une histoire renouvelée qui a pris acte des évolutions historiographiques françaises et internationales et souhaitant se débarrasser de sa gangue idéologique pour mieux se concentrer sur son objet.
C’est ce que la dernière contribution, celle de Claude Mazauric, réaffirme en brossant un panorama précis et pertinent de l’historiographie de la Révolution française, domaine d’étude quelque peu délaissé depuis le Bicentenaire Aucune synthèse générale, mis à part les colloques, n’est parue depuis le Bicentenaire dans le champ de l’historiographie de la Révolution française.. Dans ce panorama, Claude Mazauric s’arrête plus particulièrement sur les héritages, encore vivants selon lui, de Jaurès et Lefebvre, et en profite pour dresser un véritable éloge à l’œuvre d’ouverture de Michel Vovelle, attaché comme lui à « l’historiographie classique de la Révolution ». Il affirme ainsi la filiation de l’histoire actuelle, ouverte et plurielle avec l’impulsion donnée après le Bicentenaire par Michel Vovelle. Il attribue à M. Vovelle l’initiative d’élargissement du territoire de recherche de l’historien de la Révolution sur des horizons encore inexplorés : le social, le culturel et surtout les mentalités.

Plus qu’un livre sur la Révolution, un manifeste scientifique et institutionnel

Enfin, on aura bien conscience que ce recueil collectif, outre la mise à jour scientifique qu’il propose, souhaite avant tout poser un solide jalon significatif dans le paysage longtemps embrumé de l’historiographie de la Révolution française. En se situant dans le prolongement des grands colloques organisés par la nouvelle génération d’historiens post-Bicentenaire, ce recueil affirme le tournant historiographique et scientifique pris par les recherches révolutionnaires en France.
Le champ politique reste le terrain d’investigation fondamental des études révolutionnaires, mais il voit son champ redéfini : le politique se mêle au social et au culturel pour mettre au jour la genèse de la culture démocratique en France. La Révolution devient alors le laboratoire inédit où s’expérimentent un nouveau « vivre-ensemble » et où se forge peu à peu le pacte républicain. En ce sens, les recherches sur la Révolution restent d’une incroyable actualité et pertinence en tentant de dessiner les contours de l’identité contemporaine de la nation France.
On notera également que derrière ces contributions très franco-françaisesSeuls deux contributeurs sur trente et un sont d’origine anglo-saxonne alors que le colloque de 2004 cité ci-dessus mentionnait en introduction l’importance prise par les études révolutionnaires réalisées hors de France… dont la majorité des auteurs entretiennent des liens avec les deux grandes institutions de l’histoire de la Révolution française, que sont l’Institut d’histoire de la Révolution et la Société des études robespierristes est affirmé la prédominance de lieux d’écriture de l’histoire de la Révolution en France. Le laboratoire de Paris I L’Institut d’Histoire de la Révolution Française, en collaboration avec le CNRS, vient de créer une revue exclusivement électronique visant à favoriser la visibilité des travaux du centre de recherche.
http://lrf.revues.org/index.html
ainsi que la Société des études robespierristes chargée de la publication des Annales de la Révolution constituent les principaux espaces de la recherche française dans le domaine révolutionnaire témoignant ainsi de la perte d’influence de l’EHESS sur ce terrain, après la disparition de François FuretA ce titre, la polémique, par ouvrages interposés, entre Patrice Gueniffey, disciple de Furet et membre de l’EHESS et Michel Biard et Jean-Clément-Martin à propos de la Terreur témoignent, indirectement de cette lutte d’influence institutionnelle..

Conclusion : un ouvrage dense et complexe en forme d’invitation à la recherche

Ainsi, nous sommes en présence d’un ouvrage très stimulant aux contributions courtes mais denses ayant à cœur de faire le point sur les grandes questions historiques de la période révolutionnaire. Chaque contribution est munie de l’appareillage scientifique et se clôture par une bibliographie succincte mais précise rassemblant les travaux les plus récents et les plus pertinents sur chaque sujet. Cependant, force est de constater que ce recueil met en œuvre un savoir scientifique de haute volée ne pouvant être mis à la portée du novice. La lecture de cet ouvrage nécessite en effet des connaissances tant historiques qu’historiographiques de la Révolution pour saisir réellement les enjeux d’un tel manifeste. L’enseignant n’y trouvera pas matière à étoffer son cours mais plutôt sa réflexion et sa curiosité, le passionné d’histoire devra quant à lui être bien armé pour s’aventurer dans un tel ouvrage car celui-ci est en réalité destiné au monde, relativement étroit, de la recherche sur la période révolutionnaire. Il siéra donc aux chercheurs et à leurs étudiants ainsi qu’aux professeurs, piqués par ces contributions stimulantes et novatrices, souhaitant se replonger non sans nostalgie, dans ses premières amours, ses recherches universitaires « lâchement » abandonnées pour la vocation d’enseignement. Cet ouvrage a donc réussi son pari en dévoilant une recherche rénovée et ambitieuse sur la période révolutionnaire suscitant l’irrésistible envie de rejouer au chiffonnierPour reprendre l’heureuse expression de Lucien Febvre, 1907

© Sébastien Coupez