« Un homme qui ne marche pas ne laisse pas de traces » disait Georges Wolinsky. Cette phrase ouvre l’éditorial de la Revue dessinée qui réfléchit entre autres, et dans plusieurs reportages, au rapport entre l’homme et l’environnement. Mais on peut entendre ce terme de traces autrement comme le montre l’enquête sur les collections du Quai Branly.
Privés de retour
Que voit-on aujourd’hui exactement quand on admire certaines des oeuvres exposées au musée du Quai Branly ? Ce reportage retrace d’abord l’histoire de la colonisation et montre l’appropriation qui a eu lieu au début du XX ème siècle. Ces arts qu’on disait auparavant primitifs sont devenus premiers. Ils sont aussi devenus l’objet de spéculations financières et peuvent servir également d’outils diplomatiques. On compte aujourd’hui 70 000 objets d’Afrique subsaharienne dans ce musée parisien. Des personnes se mobilisent pour réclamer leur retour sur leur continent. Deux universitaires français ont produit un rapport sur l’idée de restitution des objets. Mais, même une fois qu’on a posé ce principe, de nombreuses questions demeurent comme à qui restituer et comment fait-on avec les peuples transfrontaliers ? Il y a aussi la question des collections privées qui, pour l’instant, restent en dehors de tous ces changements. Les chiffres sont éloquents : 66 % des collections d’Afrique du Quai Branly ont été prélevées dans la période coloniale entre 1895 et 1960. Le reportage se conclut en montrant comment ces objets peuvent être aussi des outils diplomatiques comme le montre le cas récent entre la France, Madagascar et les iles éparses.
Musique, olympique et sémantique
« Face B » retrace la carrière de Catherine Ringer. La rubrique montre bien l’aspect novateur des Rita Mitsouko quand ils ont surgi dans le paysage de la chanson française. On voit aussi l’importance de bien écouter certaines des paroles comme dans « Marcia Baila » ou encore dans la réinterprétation du « Petit train » d’André Claveau. L’album « The No comprendo » en 1986 et sa machine à tubes représenta sans doute un des sommets du groupe. « Instantanés » s’arrête sur une photographie d’Usain Bolt lors de la demi-finale des jeux olympiques de Rio en 2016. Le cliché est assez étonnant et c’est un mélange entre technique et chance pour obtenir ce cliché. « La sémantique, c’est élastique » se penche sur le fait de savoir qui tranche entre l’Académie française et l’usage pour déterminer le sexe de certains mots. A travers plusieurs exemples, on s’aperçoit qu’il n’est pas toujours facile de déterminer si un nom est masculin ou féminin. « Au nom de la loi » s’intéresse aux lois mémorielles. Après un rappel sur l’importance de la loi de 1881 quand la France interdit la publication de propos diffamatoires ou insultants, Jean-Christophe Mazurie rappelle que, jusqu’en 1972, le racisme est une opinion avant de devenir alors juridiquement un délit. Il souligne aussi les débats qui ont eu lieu autour des lois Gayssot de 1990. En effet, certains historiens, et pas des moindres, insistent alors pour dire que ce n’est pas aux juges de dire l’histoire.
Le resto du coeur
Julien Brygo et Benoit Guillaume racontent un exemple étonnant lié à un Mac Donald’s des quartiers nord de Marseille. Il est installé en 1992 dans un des quartiers les plus pauvres de France et mis en avant à l’époque au niveau politique. Pourtant, en 2019, il est liquidé pour des raisons de non rentabilité. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. C’était un ilot à part dans la galaxie du groupe. Les salariés ont lutté pour obtenir des droits et cela a commencé à essaimer dans le groupe. Les salariés mis au chômage soupçonnent fortement que la liquidation a à voir avec ce mouvement de revendications. Leur lutte a même eu un écho dans le « New York Times ». Le Mac Do est aujourd’hui réquisitionné par les anciens salariés qui l’ont transformé en espace de solidarité pour les habitants du quartier. Il a été baptisé « l’après M ».
Le poison des Antilles
Dire du chlordécone qu’il a effectué des ravages n’est pas exagéré quand on examine ce qui s’est passé en Guadeloupe et en Martinique pendant des années. Il a été utilisé en abondance dans les bananeraies. Il est présent aujourd’hui dans le sang de neuf personnes sur 10 dans cette région. Ce qui est particulièrement dramatique, c’est qu’on ne sait pas actuellement comment faire pour dépolluer. Ce qui frappe surtout dans le reportage, c’est l’inaction de l’Etat malgré les alertes lancées par plusieurs personnes, dont Eric Godard, ingénieur sanitaire. Mais, face à lui, il y a le poids des lobbies qui arrivèrent à faire repousser plusieurs fois la date de fin d’utilisation du chlordécone. Le reportage retrace aussi l’histoire de ce produit et insiste sur l’excuse, trop souvent avancée, qu’on ne pouvait pas faire autrement pour protéger les bananeraies.
La fièvre du caoutchouc
Daphné Gastaldi et Tristan Garnier font découvrir un étonnant marché, celui des baskets de sport. Le reportage retrace quelques étapes de l’histoire de cette chaussure, de son origine au milieu du XIX ème siècle, jusqu’à sa démocratisation dans les années 1970. Certaines sont devenues des objets de collection et elles peuvent valoir plusieurs milliers d’euros. Il existe même un sytème de bourse. On suit une collectionneuse qui explique comment le système fonctionne. Ce qui est étonnant également, c’est qu’aujourd’hui il existe des programmes informatiques qui aident à acquérir les baskets les plus demandées ce qui a généré en retour un marché des bots ! En conclusion, la chercheuse Pascale Ezan poursuit le décryptage du phénomène et souligne qu’ « une collection doit être alimentée, sinon elle meurt ».
A l’état sauvage
Angela Bollis et Sébastien Vassant parlent du « rewilding » ou « réensauvagement » à travers une zone dans le Vercors. De quoi s’agit-il ? D’une vision utopique et passéiste ou d’une révolution philosophique ? L’idée est qu’on a un espace où les humains ne font rien, n’interviennent pas, alors que dans le terme de nature tel qu’on l’entend souvent, se cache en fait la patte de l’homme. Le reportage donne la parole aux deux camps car la zone du Vercors est loin de faire l’unanimité. Les auteurs reviennent également sur la genèse d’une telle idée qui se trouve aux Etats-Unis à la fin du XIX ème siècle. Plusieurs autres cas dont l’Espagne sont évoqués. Finalement, on peut provisoirement retenir que l’opposition entre exploiter la nature domestique et sanctuariser la nature intacte est vide de sens.
Le narcoterrorisme
Le dernier reportage de ce numéro évoque le narcoterrorisme. Il montre comment la drogue sert de financement à certains groupes armés. Les comprimés de captagon, parfois improprement appelés drogue du djihad, sont un marché particulièrement lucratif. Les auteurs expliquent aussi que la cocaïne avait servi à financer, plus anciennement, les FARC. A travers l’exemple d’une cargaison de captagon saisie en Europe, les auteurs expliquent les ramifications d’un tel marché.
Pour le mois de septembre, « La Revue dessinée » annonce, entre autres, un reportage sur le désarmement nucléaire et un sur la catastrophe de Lubrizol.
Jean-Pierre Costille