Dans le numéro de cet automne, « La Revue Dessinée » pose la question, à travers plusieurs de ses reportages, d’une économie à visage humain.
FMI, Niger et Emmaüs
Jérémy Tordjman et Erwann Terrier proposent un état des lieux sur le FMI, institution affublée d’une mauvaise image, mais qui, sous la présidence de Christine Lagarde, aurait amorcé un virage. Après un rapide historique, le reportage rappelle les propos cinglants de Joseph Stiglitz sur l’institution. Le FMI traine derrière lui une mauvaise réputation comme le montre une traduction alternative peu flatteuse du sigle. Après la crise de 2008, le FMI revient dans le jeu et cette fois il a aidé, chose nouvelle, des pays industrialisés. Ensuite, l’enquête se focalise sur l’époque « Christine Lagarde » en rappelant qu’elle est la première femme à diriger l’institution. Elle représente aussi un bon casting pour le FMI qui se refait ainsi une nouvelle image. Le discours traditionnel évolue jusqu’à dire qu’il était parfois nécessaire d’augmenter le déficit d’un pays ! Cependant, il faut faire la part des choses entre discours et réalité comme le montre l’intervention du FMI en Grèce après 2008. Parmi les avancées, il faut noter la réforme du système des votes dans l’institution, mais on constate aussi une tension interne avec d’autres avis que celui de Christine Lagarde. Le « En savoir plus » fournit plusieurs chiffres éclairants : le FMI possède 2814 tonnes d’avoirs en or ce qui en fait l’un des plus gros détenteurs officiels d’or au monde.
Taina Tervonen et Jeff Pourquié parlent du Niger et de la question actuelle des migrations. A travers le cas d’Ousman Gaye, jeune Gambien de dix-neuf ans, on se rend compte de toute l’économie qui tourne autour du passage de ceux qu’on appelle les migrants. Parti avec 100 euros et quatre copains, il a déjà essayé deux fois sans succès de passer en Europe. Le reportage change ensuite d’angle en suivant Kirsi Henriksson qui dirige une opération de l’Union européenne dans la zone visant à lutter contre l’immigration irrégulière. On découvre également des personnes comme Bashir Amma qui transportait auparavant les candidats au départ en direction de la Libye.
Marie Pragout et Hélène Aldeguer proposent une enquête dérangeante intitulée « A l’ombre de l’abbé Pierre ». Alors que la communauté va fêter ses 60 ans d’existence, elles sont allées voir quel était le quotidien de celles et ceux qui vivent au sein de l’une d’elles. Le moins que l’on puisse dire c’est que la différence entre la théorie et la réalité est conséquente. Pêle-mêle le reportage pointe des formes de travail très précaires et des logiques économiques parfois très violentes. L’entretien qu’elles relatent avec Michel Frederico, vice-président d’Emmaüs France, se termine d’ailleurs brutalement.
Briser le silence
L’enquête de We Report et Fabien Toulmé porte sur la pédophilie dans l’église catholique et surtout sur sa dissimulation pendant des décennies. Elle raconte l’histoire de Pierre Vignon, prêtre depuis 1980, qui a commencé à avoir connaissance d’affaires dans les années 90. Il fait alors remonter l’information à sa hiérarchie mais rien ne se passe. Mais une nouvelle affaire et le discours engagé du Pape François poussent Pierre Vignon à rédiger une lettre au cardinal Barbarin. Mis à l’écart par sa hiérarchie, le prêtre se retrouve d’un seul coup propulsé sur les plateaux de télévision pour porter son message.
Philippe Pujol et Yvan Alagbé ont enquêté sur les trafics à Marseille et racontent cette véritable économie souterraine. On suit notamment un commissaire nommé Jean-François qui raconte la longue traque pour arrêter le « chef de plan ». On découvre surtout la logique de réseaux, les différents rôles avec le vocabulaire qui va avec. Il y a ceux qu’on appelle les « stylos », qui ont juste un peu de drogue sur eux, les « nourrices », qui hébergent de la drogue chez elles avec parfois des situations très surprenantes, ou encore les « guetteurs ». Le reportage n’oublie pas de parler de la question des règlements de compte et le « En savoir plus » donne quelques chiffres : ainsi, le gros des effectifs formé par les guetteurs et rabatteurs peuvent toucher 100 euros par jour et un chef de plan qui s’occupe d’un point de deal peut amasser 500 euros sur la même durée.
Du côté des rubriques
« Face B » nous entraîne à la rencontre de Lydia Lunch, présentée comme « l’idole radicale de la scène No Wave » qui, à force de vouloir « détruire les icônes », en est peut-être devenue une elle aussi ! Membre de nombreux groupes, elle a poursuivi une démarche souvent très radicale, anticipant avec quelques années comme le dit l’article « la figure d’artiste multimédia ». Multipliant donc les expériences artistiques, elle considère que « seul le plaisir libère, qu’il soit mental, sexuel ou artistique ».
Wouzit s’attaque à un nouveau sport, le e-sport, qui a maintenant sa rubrique sur le site de l’Equipe. On voit l’équipement nécessaire et aussi quelques principes comme le fait que la plupart des jeux se jouent à cinq contre cinq. Au bout de quarante minutes, les participants ressortent lessivés. Aujourd’hui, certains professionnels s’entrainent huit heures par jour dont deux heures pour l’activité physique. A trente ans, c’est le temps de la retraite car les réflexes ne suivent plus ! Brian de Palma est à l’honneur de la rubrique « Cinéma ». Son film « Phantom of the Paradise », sorte d’opéra pop, baroque et barré, est devenu culte et on décèle son influence dans bien des productions. « Instantané » revient sur une des photographies les plus célèbres de la fin de la Seconde Guerre mondiale avec un jeune marin qui embrasse fougueusement une infirmière. Si on n’est pas certain de l’identité des protagonistes, le baiser en tout cas n’apparait pas en réalité réellement consenti.
Défendre la liberté
Acquérir et défendre des libertés sont l’angle de deux livraisons de la Revue dessinée. Dans « Au nom de la loi », Jean-Christophe Mazurie retrace le long chemin et les aléas de la liberté de la presse. Partant d’aujourd’hui, il remonte en 1631 et on s’aperçoit qu’en ce qui concerne la liberté de la presse, c’est souvent « oui, mais ». En 1777, le premier quotidien parait puis c’est le temps de la Révolution française. Il montre aussi combien les journalistes participent activement à 1830 et donne des chiffres pour ce qu’on a coutume d’appeler l’âge d’or de la presse, c’est-à-dire le XIXe siècle : 36 000 exemplaires vendus en 1800 et 5 millions en 1914. Au XXe siècle le « oui, mais » se remet en place à l’occasion des crises et, hormis la naissance du Canard enchainé, la presse apparait toujours sous surveillance plus ou moins étroite. Il termine son tour d’horizon en revenant sur la situation depuis le début des années 80, à savoir une concentration croissante entre quelques mains. « Droit de suite » s’intéresse à ce qu’il faut bien appeler le scandale Cambridge analytica. Pour l’instant, l’amende d’un demi million de livres dont a écopé Facebook apparait dérisoire quand on sait que le chiffre d’affaires de l’entreprise au premier trimestre 2019 s’est élevé à plus de quinze milliards de dollars.
Au menu du mois de décembre, La revue Dessinée proposera des reportages sur Interpol, les stations de ski ainsi que sur la délicate question de l’utilisation des armes par la police.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes