L’éditorial de La Revue Dessinée met l’accent sur les écrans qui nous entourent au travail et se demande ce que racontent ces innovations du monde vers lequel nous allons ? Nulle technophobie dans ce propos mais des interrogations légitimes pour un numéro une fois de plus passionnant.
Le monde au temps de la Covid
Le premier reportage sur Amazon raconte la vie dans l’entreprise au temps de la Covid. Longtemps, l’entreprise a nié tout problème alors que les conditions mêmes de travail induisaient des risques élevés de contamination. Le reportage suit le quotidien des salariés et, dans un groupe où la productivité est minutée, impossible de se protéger efficacement. Amazon a rusé autour de l’expression « besoins essentiels » pour continuer à vendre pendant le confinement. Résultat : la fortune de son PDG Jeff Bezos a bondi durant cette période. La partie « En savoir plus » pointe la politique fiscale d’Amazon en soulignant que « Le bon coin » paye douze fois plus d’impôts sur les bénéfices avec un chiffre d’affaire dix fois inférieur !
Un autre reportage revient sur le scandale des masques et retrace ce qui s’est passé en France depuis l’apparition de la pandémie. Un rapide historique permet de montrer qu’il y avait eu des alertes précédemment, comme la grippe H1N1 en 2009, mais face à la relative faible mortalité de ce virus, l’Etat a baissé la garde et a commencé à ne plus remplacer ses stocks de masques. On pense alors, qu’en cas de besoin, il sera toujours temps de se tourner vers la Chine. Quant aux temps les plus récents, il est indéniable que la politique des masques a été ajustée aux capacités de la France.
Tics, traversée et Beck
Les rubriques de ce numéro permettent d’en savoir plus sur les tics de langage d’une époque. James décrypte la fonction sociale des « J’avoue », « Du coup » et autres « Grave ». Ces mots servent à créer de la connivence mais ils disparaissent aussi avec le temps. « Instantané » montre ce cliché étonnant de Philippe Petit traversant sans filet les 60 mètres qui séparaient les deux tours jumelles à New York en 1974. « Lieu de pouvoir » nous embarque pour un autre type de traversée à bord du porte-avions Charles De Gaulle. Plus de 50 métiers s’y côtoient dans ce navire surnommé « Charles de geôle » par ses habitants, tant les conditions de vie sont spartiates. « Face B » dresse le portrait d’un petit génie de la musique, Beck. Cet artiste a flirté avec de nombreux styles musicaux et s’est même payé le luxe d’un contrat avec une maison de disques qui lui permet de publier certains albums sur un grand label et d’autres plus expérimentaux sur un autre.
Nos droits et nos libertés
« Au nom de la loi » retrace l’histoire de la liberté d’association. On compte aujourd’hui en France 1,5 million d’associations et 21 millions d’adhérents. Isabelle Dautresme et Alizée de Pin retracent elles l’histoire de la Sécurité sociale. Partant d’aujourd’hui, elles insistent sur la mise en place du système aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale grâce à l’action du Conseil National de la Résistance en 1944. L’idée de paritarisme est clairement expliquée ainsi que les nombreuses tentatives, plus ou moins abouties, de réforme. Récemment, une évolution se dessine avec la définition d’objectifs à réaliser par les caisses d’assurance maladie, ce qui semble peu compatible avec un traitement humain des assurés.
Allons enfants
Dans ce reportage, on découvre que, pendant une vingtaine d’années, soit de 1964 à 1982, un peu plus de 2 000 enfants de La Réunion ont été envoyés par l’Aide Sociale à l’Enfance en métropole et notamment dans la Creuse. A l’époque l’île est dans une situation économique catastrophique et le pouvoir politique en métropole s’inquiète du grand nombre de jeunes. Le contexte est celui de la décolonisation et la France a peur d’une agitation qui irait plus loin. On découvre le parcours de plusieurs de ces enfants dont beaucoup n’ont su que tardivement ce qui leur était arrivé. La première plainte a été déposée en 2002 et a permis de braquer l’attention sur cette affaire. Une commission historique a rendu son rapport en 2018 avec plusieurs préconisations qui attendent toujours de se traduire en actes. Le reportage va plus loin et s’interroge aussi sur les rapports actuels entre La Réunion et la métropole.
Obéissance sur ordonnance
Cette enquête fait froid dans le dos. Elle évoque la médicalisation des enfants dans le cadre scolaire. Un sigle résume le problème : les TDAH ou troubles du déficit de l’attention, avec ou sans hyperactivité. 62 000 élèves sont traités actuellement en France, un pays qui adore les médicaments. Ce chiffre est pourtant encore relativement faible par rapport aux Etats-Unis et on comprend donc bien qu’il y a là un marché porteur. Le reportage s’appuie sur un certain nombre de témoignages après avoir retracé l’historique de la ritaline, cette molécule qui traite ce type de troubles. Ses effets sont controversés et pourtant certaines célébrités comme Justin Timberlake ou Emma Watson en vantent les bienfaits. Enfin, Sandrine Deloche, psychiatre pour enfants, souligne que la réponse médicamenteuse ne doit pas faire oublier les causes sociétales.
Le futur est dans le pré
L’agriculture a bien changé comme le montre ce reportage de Marion Touboul et Léo Quievreux. Un rapide regard sur le passé montre qu’en terme de matériel ou de productivité on est passé dans une autre dimension. Aujourd’hui, il existe des applications qui permettent de gérer les exploitations agricoles d’où le terme d’ageekulteur. Les innovations apportent certes de la rentabilité mais elles ont aussi un coût. Il est possible aujourd’hui de mettre un collier connecté à une vache pour connaitre exactement la date de ses chaleurs pour garantir une bonne insémination. Comme dans d’autres domaines, il existe un véritable marché de la donnée collectée. A la fin du reportage, on découvre une alternative avec une coopérative d’autoconstruction agricole.
En décembre, La revue Dessinée tournera son regard vers Bruxelles, « capitale fantôme », et reviendra aussi sur la précarité numérique.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes